Le Meunier Hurlant

En adaptant un récit de Arto Paasilinna, Nicolas Dumontheuil dessine une fable cynique qui démontre la difficulté d’être différent. Édifiant.

« Quäk!! Quäk!! », « Käkk!! Käkk!! », « Wäfff ! Wäff!! », « Gröarr!! Groärr », rarement une bande dessinée aura donner à entendre et à lire autant d’onomatopées. Il faut dire que le titre Le Meunier Hurlant annonce la tonalité. Vous l’avez deviné, c’est un meunier tout fraîchement arrivé, qui répond au nom de Agnar, mais on préfèrera l’appeler Nanar, c’est un meunier donc, qui hurle ses imitations de cris d’animaux. Il les crie de préférence la nuit, comme cela, sans raison, pour le plaisir, parce que ça lui vient du ventre. Et cela, le village à proximité, ne peut le supporter. Certes il vend des bardeaux moins chers, certes il arrête le cours de la rivière, certes…. mais il est trop différent. Pas fou, quoique… Surtout, comme le chante Brassens, Nanar va découvrir que « les braves gens n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux ».

Le Meunier Hurlant

Les lecteurs assidus de l’écrivain finlandais, Arto Paasilinna, auteur du célèbre Le Lièvre de Vatanen, ne seront pas étonnés de cette adaptation graphique d’un de ses premiers romans. Celui que l’on peut qualifier d’auteur iconoclaste, déploie déjà les caractéristiques de son oeuvre c’est à dire un humour grinçant, cynique parfois, qui met à jour, sous le couvert du sourire, les petitesses et les bassesses de l’espèce humaine. Le village finlandais de Oulu est un peu le condensé de ces défauts et la galerie de portraits de ses habitants met en joie, ou fait grincer des dents. C’est selon. La grosse madame Siphonne qui a autant de haine que de kilos superflus, le médecin, peut être plus malade que le plus dérangé de ses patients, le commissaire cynique à souhait, et tant d’autres, représentent une normalité, qui frôle paradoxalement la folie.

« Jouer les fous n’est pas à la portée de n’importe qui. Il faut réfléchir et avoir de la suite dans les idées pour qu’on vous croie. »

Le Meunier Hurlant

Le dessin de Nicolas Dumontheuil qui avait déjà adapté précédemment un roman de l’auteur finlandais, La forêt des renards pendus, ne pouvait passer à côté de ce récit, de cette fable. Son dessin caricatural fait merveille et il saisit à la manière d’Uderzo et de son fameux village gaulois, la multitude d’une foule amusante, puis menaçante, avant de s’attacher à portraiturer quelques uns de ses habitants emblématiques qui révèlent tout à tour, moult turpitudes de l’âme humaine. C’est que pour quelques nuisances nocturnes, ils sont prêts à tout ces croquantes et ces croquants, pour écarter un homme qui n’a comme défaut, outre son goût pour les hurlements, que d’être « grand », et d’avoir les oreilles biens collées grâce aux soins attentifs de sa mère. Certes il est aussi un peu benêt au point d’être amoureux maladroitement, mais amoureux sincèrement, d’une jolie déléguée du club rural, un peu en marge elle aussi de la collectivité. Elle prône l’agriculture domestique, porte parole de la fibre écologique de l’écrivain finlandais. C’est beaucoup, c’est trop pour une communauté où l’on préfère s’enfermer seul le soir, où l’on préfère cancaner, où l’on préfère faire semblant. Le jour où le village décide d’écarter le meunier, l’histoire drôle devient une drôle d’histoire, beaucoup moins rieuse. Comme souvent chez Paasilinna le drame peut alors côtoyer une ambiance déjantée. Le récit se transforme en satire sociale et Nanar n’aura d’autre solution que de s’en retourner dans la nature en compagnie des animaux, dont il imite si bien les cris, et de sa chérie dont Dumontheuil s’amuse à dessiner les courbes rafraîchissantes et innocentes comme par contraste avec la laideur physique des villageois à l’âme si hideuse. Seul face à la meute hurlante, il va devoir survivre avec pour compagnon sa seule « folie », qui est peut être simplement la démesure d’avoir d’autres valeurs morales que celles de la majorité.

Le romancier écrivait : « Les humains en général sont un peu fous, d’une manière touchante, et les Finlandais plus encore, peut-être, que les autres ». On aurait pu le rassurer, les Finlandais ne sont guère différents des autres membres de la communauté humaine quelle que soit leur nationalité. Dans ce récit sombre et cynique l’histoire devient une fable à portée universelle. Et la morale, que l’on vous laisse deviner, n’est guère réjouissante. En Finlande ou ailleurs.

Le Meunier Hurlant de Nicolas Dumontheuil d’après le roman de Arto Paasilinna . Éditions Futuropolis. 152 pages. 24€

Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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