À la suite d’une lecture de Quelques considérations sur l’enseignement des sciences naturelles, dans les écoles, au début du XXIe siècle, essai signé Frédéric Metz aux éditions Pontcerq et paru en 2021, Jean-Louis Coatrieux, écrivain, poète, mais surtout scientifique, en fait un compte-rendu pour le moins nuancé…

Étrange concours de circonstances hier. Je conduisais mon petit-fils à l’école et nous parlions en roulant des jours plus longs, des bonheurs du printemps avec les arbres en fleurs dans les jardins et le long des routes. Tu vois ces arbres très hauts tout en jaune ? Des mimosas. Et les autres là-bas en robes blanches ? Des prunelliers. Les arbustes sur les talus, en jaune eux aussi ? Des ajoncs. Nous regardions les jonquilles, les primevères de mon enfance, toutes ces fleurs alors encore libres de pousser partout dans les champs. La route défilait ainsi, il les découvrait maintenant de loin le premier. Je lui promettais dans quelques semaines les cerisiers, les pommiers, une fête en somme pour les yeux des grands comme des petits. Une manière d’occuper le temps du voyage mais pas seulement comme vous allez vous en apercevoir.

mimosas
© Florencia Galan

Ce même jour, hier donc, je feuilletais un livre dans la perspective d’une émission sur Radio Laser à venir avec mon complice Félix Boulé, esprit curieux du monde et des autres s’il en est. Ce livre sur les graines et la biodiversité, sur une agriculture participant à une relation heureuse avec la terre, ses animaux, ses plantes, appelle aussi à une prise de conscience collective. Et vient s’ajouter à ces deux épisodes, l’émission Pluriel où je suis invité par Ronan Manuel et Loïc Turmel, cette fois sur Radio Rennes, créée voilà 40 ans par le toujours passionné Gaby Aubert. Une séquence radiophonique que vous pourrez voir bientôt sur YouTube, partagée avec l’éditeur de la maison Pontcerq (dont je tais le nom puisqu’il a refusé de s’identifier par l’image lors de l’enregistrement), venu avec quelques ouvrages récents et parmi eux un court essai sur l’école de Frédéric Metz.

Un livre-plaidoyer pour équilibrer leçons de biologie (où se dissèquent molécules, gènes, protéines, etc.), désormais dominantes selon l’auteur dans l’appréhension du vivant, et cours de sciences naturelles dispensés, et c’en est la condition, par des naturalistes. Un plaidoyer pour faire place à ce que le regard peut embrasser d’immédiat autour de nous. Les oiseaux, leurs chants, les arbres, les plantes, leurs couleurs, leurs odeurs. Ce qui s’offre à l’œil curieux dans les formes, les saisons, les rencontres fugitives, le milieu même de vie. Oui, il a ici raison Frédéric Metz, cette capacité d’observer et d’enchanter le monde se perd comme si nous ne l’habitions plus vraiment. D’où mon mimosa, mes pruneliers dans leur état nature, c’est-à-dire non devenus de simples lois mathématiques de croissance. D’où les graines, les fleurs et leur prodigieuse capacité à se renouveler. D’où l’importance de nommer les vivants comme les minéraux avec en récompense des bonheurs simples devant leur beauté.

prunellier
© Hansjörg Keller

Plaidoyer mais aussi lourde charge contre les sciences telles que nous les penserions et les pratiquerions, où objets comme sujets deviendraient constructions de l’esprit et remplacerait l’évidence donnée par la nature, où le monde se résumerait dans des lois abstraites et contraignantes, où la plus élémentaire perception serait annulée, frappée de caducité. Bachelard, abondamment cité, en prend pour son grade et peut-être le mérite-t-il par certains de ses propos. Ne le jetez pas trop vite cependant, il est de notre actualité par bien des aspects de sa pensée et de sa vie. Sont convoqués dans l’argumentaire de Frédéric Metz, Jünger, Merleau-Ponty, Canguilhem, Foucault, Finkielkraut, Lévi-Strauss, Rousseau, mais aussi Linné, Buffon, Cuvier comme bien sûr Darwin et Humboldt. Difficile d’opposer une quelconque résistance face à un tel tableau de maîtres et pourtant !

La caricature est un peu forcée pour ceux dont le métier, que dis-je, la passion, a été de découvrir, de comprendre, de réparer. Car le visible, l’apparence, le donné, ne peuvent suffire. D’ailleurs si l’anatomie des plantes passionnait tant et plus Aristote et Théophraste (autour de 300 av. J.-C.), les ouvrages Chinois anciens parlaient eux déjà de greffage, de bouturage et de marcottage. Rappelons aussi nos dettes en médecine pour les anatomistes comme Claude Galien, Ambroise Paré, André Vésale, William Harvey et beaucoup d’autres. Si je prends ce domaine familier pour moi ce n’est pas un hasard car il est exemplaire d’une certaine manière du propos de Frédéric Metz. Oui, l’examen approfondi et l’écoute attentive d’un patient pèsent lourd dans un diagnostic et ils manquent parfois aujourd’hui. Cependant ni le regard, ni l’oreille (et malgré Laennec) ne peuvent répondre à l’impératif de le guérir.

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Frontispice de l’édition illustrée de 1644 du De historia plantarum de Théophraste.

La forme de ce bref essai (50 pages et autant en notes) interpelle et n’est pas exempte d’affectation s’amusant d’insertions dans le corps du texte de citations en allemand renvoyées à la fin du livre pour les traductions. Quant au sous-titre, il s’éclairera à la page 106, note 159. Quoique rien n’est moins sûr. Si nous pouvons nous accorder sur le fait de multiplier nos regards, l’exercice mené dans ce livre me semble un peu facile à tel point qu’il faut vraiment chercher pour trouver un passage concédant quelque intérêt à la biologie et plus généralement aux sciences. Il y a là comme une réticence à l’avancée des connaissances qui interroge et un soupçon de complot autour d’une méthode exclusive de pensée visant à dématérialiser les êtres et les choses qui serait imposée à l’école.

Quelques mots simples et accessibles à tous auraient mérité de trouver une place plus conséquente. Parmi eux, découverte, curiosité, compréhension, intuition, imagination, toutes choses que les scientifiques n’ont pas abandonnées et que pour beaucoup ils savent cultiver au même titre que les botanistes, les entomologistes et… les naturalistes. Supposer un seul instant que le pédagogue moderne ne s’intéresse qu’à des processus complexes, des problèmes à mettre en équations ou pire encore qu’aux nouvelles technologies, c’est aller un peu loin en la matière. Supposer qu’il ne manifeste aujourd’hui que condescendance ou autosatisfaction en supprimant dans ses raisonnements toute référence au réel, au concret, à ce qui s’offre au regard, cela relève d’un mauvais procès.

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© Kevin Schmid

Et puis pourquoi l’école serait-elle le seul et unique lieu pour cet enseignement des sciences naturelles ? Nous lui demandons tout et plus encore à cette école. Ne serait-ce pas une nouvelle fois nous défausser ? Car où sont les parents et les grands-parents pour faire connaitre, aimer, protéger la nature et les vies qui nous accompagnent partout où nous allons ? Commençons donc par débrancher nos téléphones et éteindre nos écrans. Alors nous pourrons peut-être vraiment toucher, sentir, regarder, écouter et goûter le monde autour de nous. Et réapprendre à le partager.

Frédéric Metz, Quelques considérations sur l’enseignement des sciences naturelles, dans les écoles, au début du XXIe siècle, ou le plongeur de Pélasge, Pontcerq, 2021, 107 pages, 10 euros

Jean-Louis Coatrieux
Jean-Louis Coatrieux est spécialiste de l’imagerie numérique médicale, écrivain et essayiste. Il a publié de nombreux ouvrages, notamment aux éditions La Part Commune et Riveneuve éditions.

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