Avec Le bal des ombres, Joseph O’Connor renoue avec le roman historique, mais dans une fiction où l’amitié et l’amour triomphent au coeur d’un Londres gothique où plane l’ombre de Jack l’Éventreur.

Le bal des ombres

 

Aujourd’hui, je vous emmène au théâtre, mais pas n’importe lequel ! Nous partons au Lyceum Theater of London pendant la période victorienne. Là, vous entendrez la voix tonitruante de sir Henry Irving (1838-1905), un des plus grands acteurs shakespeariens de son époque, vous participerez à la naissance du personnage de Dracula sous la plume de Bram Stoker (1847-1912) et vous succomberez au charme d’Ellen Terry (1847-1928), actrice majestueuse adulée de son public.

 

Henry Irving
L’acteur Henry Irving (1838-1905).

Tout naît de la rencontre entre un passionné de théâtre et d’écriture, rédacteur d’articles pour un journal irlandais et un acteur anglais, fantasque et fascinant. Abraham Stoker, jeune écrivain sans succès accepte, au regret de sa femme, de devenir administrateur du théâtre du Lyceum, récemment repris par l’acteur Henry Irving. De cet endroit accablé de crasse et de décrépitude, Irving veut faire un haut lieu du théâtre shakespearien où il pourra briller de toute sa splendeur. Stoker, délicieusement sérieux, travailleur, reconnu par l’ensemble de la troupe comme une « tatie » bienveillante gère admirablement ce lieu où l’extravagant Irving sème panique et démesure. Mais terreur et pitié sont les secrets du théâtre.

«Les gens aiment être choqués. C’est la nature humaine, voilà tout. La peur, c’est de l’argent, ma chère tatie. Shakespeare le savait.»

Ce trio fantastique est magistralement mis en scène par Joseph O’Connor. Henry Irving a cette fougue du génie dramatique, cette arrogance de seigneur, ce trac qui le pousse à dépasser les limites. Par jalousie ou colère, il s’oppose souvent aux idées de Stoker. Bram admire le talent de l’acteur, ce qui l’aide à supporter ses frasques. Leur relation est particulièrement ambiguë entre admiration, amitié voire passion. Indubitablement, leur amour du théâtre les lie. Ellen Terry, maîtresse d’Irving et amour caché de Stoker, apaise les colères de l’arrogant seigneur et conforte les doutes littéraires de l’écrivain méconnu.

Londres
Londres à l’ère Victorienne

L’ambiance gothique est un point fort de ce roman. Bram Stoker aime se promener la nuit dans les rues de Londres malgré la présence de Jack l’Éventreur. C’est dans le grenier du théâtre, lieu soi-disant hanté par Mina, une jeune Écossaise tuée jadis avec son bébé par son amant, que Bram Stoker trouve l’inspiration et écrit Dracula, roman qui deviendra un succès littéraire après sa mort. Cette histoire s’est immiscée en lui, elle hante ses pensées et ses nuits. L’homme ne vit plus que par son théâtre et l’écriture, délaissant sa femme et son fils. Celui qui eut une enfance difficile a besoin de souffrir, de se sentir en danger :

« Je me hais d’être né avec cette maladie de l’écriture et d’avoir gaspillé à son service la vie que j’aurais pu mener. »

Le roman de Dracula inspire aussi Joseph O’Connor qui donne le nom de Jonathan Harker (principal protagoniste du roman de Bram Stoker) au talentueux peintre des décors du théâtre. Mina est aussi le prénom de la fiancée d’Harker dans Dracula.

« N’est-ce pas bizarre que les araignées n’aient pas de voix et que les gens aient si peur d’elles ? C’est peut-être à cause de ça, en fait. De leur silence ? »

L’auteur irlandais ne néglige pas son décor. Outre la grandeur des décors de théâtre, c’est aussi l’histoire de l’Angleterre qui défile en arrière-plan. La misère hante les rues de Londres, refuge d’immigrés irlandais. Les prostituées continuent à prendre des risques malgré les meurtres de Jack l’Éventreur. On y évoque rapidement le procès d’Oscar Wilde, la grève des mineurs et plus tard le mouvement des suffragettes.

Jack l'éventreur
Une affiche d’époque à la recherche de Jack L’éventreur à Londres.

Malgré un récit non linéaire agrémenté de lettres, articles de journaux, copies d’entretiens, Joseph O’Connor construit une fiction passionnante autour de la genèse du roman Dracula, mettant en scène les relations passionnelles d’un trio théâtral au coeur du Londres victorien. Un roman magistral à ne pas manquer.

Le bal des ombres (Shadowplay) de Joseph O’Connor, traduit par Carine Chichereau, publié aux Éditions Payot et Rivages le 8 janvier 2020. 550 pages, prix : 23 euros, ISBN : 9782743649272.

 

Joseph O’Connor

Né en 1963 à Dublin, frère aîné de la chanteuse Sinead O’Connor, journaliste à The Esquire et à l’Irish Tribune durant dix ans, Joseph O’Connor est considéré comme l’un des écrivains les plus importants de sa génération. Son œuvre est traduite en trente-cinq langues. Découvert en France en 1996 avec Les Bons Chrétiens (Libretto, 2010), il est primé des deux côtés de l’Atlantique lorsque paraissent L’Étoile des mers (Phébus, 2003) puis Redemption Falls (Phébus, 2007). Avec Le bal des ombres, Joseph O’Connor est le lauréat du roman de l’année aux Irish Book Awards 2019.

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Marie-Anne Sburlino
Lectrice boulimique et rédactrice de blog, je ne conçois pas un jour sans lecture. Au plaisir de partager mes découvertes.

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