La stratégie du pourtour d’Estelle Ribeyre, Cécile Rescan et Emilie Morin relie textes, gravures, photographies et sons dans une exposition de recherches sensibles autour des comparutions immédiates. Leurs points d’ancrage ? Le texte éponyme de Michel Foucault, l’affaire Bagelstein et le journal d’Amaël Tertrais, écrit à la prison de Vezin-le-Coquet, de mai à août 2016. À découvrir au Parlement de Bretagne du 4 février au 1er mars.

La stratégie du pourtour

L’affaire Bagelstein

Rennes, mai 2016. La franchise Bagelstein lance une nouvelle campagne de publicité, bien loin de faire l’unanimité puisque jugée sexiste et homophobe par l’opinion publique. Une manifestation de protestation est alors organisée devant le restaurant, rue de Bertrand à Rennes.

Climat de tension indéniable (manifestations contre la loi travail, Nuit debout, etc. 2016 est riche en mouvements sociaux), cette mobilisation prend des proportions surprenantes. Tout s’enchaîne alors très vite : altercation entre des jeunes et le gérant du Bagelstein, arrestation de 4 d’entre eux, comparution immédiate devant le tribunal, jugement 24 h après les faits puis incarcérations à la prison de Vezin-Le-Coquet. Malgré le retrait de plainte du gérant de Bagelstein, Amaël Tertrais (19 ans au moment des faits) écope de la plus forte peine avec 3 mois de prison.

« (…) et bien ce stock de pensées est continu. Et il défile à toute vitesse. Et il part, plus loin dans ma mémoire. Et dans ma mémoire ça n’a jamais été éclairé, il fait vite très sombre. » — Extrait du journal D’Amaël Tertrais, 29e jour.

La stratégie du pourtour

La stratégie du pourtour

Paru en 1979 dans Le Nouvel Observateur, Michel Foucault présente La stratégie du pourtour (de Dits et Écrits (1954-1988), Tome III : 1976-1979, Gallimard) en écho à la loi anticasseur promulguée en juin 1970 — suite aux événements de mai 1968. Pour Foucault, la précipitation des interpellations en flagrant délit est un réel danger pour la justice. De fait, une même personne accuse et établit les faits, fermant toute discussion, plaçant ainsi police, procureurs, magistrats, et juges au même rang : celui de « défenseur social », mesures prises selon les objectifs personnels de chacun.

« De l’homme casqué et matraquant à celui qui juge en son âme et conscience, tout le monde, d’un mouvement solidaire, s’entend pour jouer un même rôle. »

Défenseur social contre quoi ? « Gros danger d’un caillou lancé; petit danger d’une grosse fraude fiscale. Et puis l’infraction est-elle mal établie ? Peu importe, si, derrière ces faits douteux, se profile un danger certain. On n’est pas sûr qu’un manifestant ait cogné ? En tout cas, derrière lui, il y avait la manifestation, et au-delà, toutes celles qui vont venir (…) comment s’en protéger ? En poursuivant les auteurs d’infraction réelle ? (…) la stratégie du pourtour est plus efficace : faire peur, faire des exemples, intimider. Agir sur cette «population cible» qui est mouvante, friable, incertaine et qui pourrait un jour devenir inquiétante : jeunes au chômage, étudiants, lycéens, etc. » écrit Foucault.
 

La stratégie du pourtour

L’exposition  

Cet assemblage de fragments gravés, de photographies, de textes, et de documentation sonores, témoigne d’une mise en tension entre le droit commun et la justice d’exception.

Les oeuvres des trois artistes résonnent dans la salle des Pas perdus du Parlement comme un fragment de mémoire qui erre dans nos souvenirs. Les expositions multiples des photographies argentiques rappellent ce souvenir que l’esprit essaie tant bien que mal de recréer. Souvenirs flous, photographies obscures aux contours des ombres dessinées ; gravures abruptes où les images se révèlent d’elles-mêmes après quelques secondes d’observations méticuleuses.

« Les détails les moins importants s’évanouissent, leurs contours sont lissés. » — Extrait du journal Amaël Tertrais, 50e jour.

L’exposition La Stratégie du Pourtour est une expérience sensible. Mêler art et faits tangibles de justice est un parti risqué. Estelle Ribeyre, Cécile Rescan et Emilie Morin ouvrent un trou de poésie dans les mémoires de la justice. Expérience subjective artistique ou expérience subjective d’un fait passé, jugé, les similitudes sont là. Et au cœur des images, il y a les mots sincères d’Amaël qui se raccrochent à la réalité et résonnent dans la salle des Pas perdus.

La stratégie du pourtour
Vernissage de l’exposition La stratégie du pourtour au Parlement de Bretagne.

La Stratégie du Pourtour – Exposition dans le cadre du festival Images de Justice. Du 4 février au 1er mars 2020, Salle des Pas perdus au Parlement de Bretagne à Rennes.
Du lundi au vendredi : 9h-12h / 14h-17h

Estelle Ribeyre Cécile Rescan Emilie Morin

Le programme d’Images de Justice

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