La musique, en sus d’être un moment de plaisir – partagé ou non, est devenue un objet de recherches scientifiques. De nombreuses études valident les apports sociétaux et thérapeutiques de la musique et les neurosciences s’intéressent au pouvoir de la musique : ce feu d’artifice neuronal et hormonal dans notre cerveau qui active le circuit du plaisir. D’autres pistes archéologiques suggèrent que l’homme aurait chanté avant de parler ? On l’utilise de plus en plus dans des soins, par exemple pour apaiser les douleurs ou calmer les angoisses. Pourquoi l’histoire humaine est-elle si étroitement mêlée à ce monde sonore, qu’il écoute et qu’il crée ? En quoi la musique est-elle une première communication pour l’homme ?

Une certaine idée moderne de la musique

Selon le musicien de génie Yehudi Menuhin « la musique est notre plus ancienne forme d’expression, précédant le langage et l’art. Cela commence avec la voix et par notre désir accablant de joindre les autres. En effet, la musique remonte à beaucoup plus loin que les mots […]. La musique touche nos sentiments bien plus que ne le font les mots, et elle nous fait réagir de tout notre être.[i] »

La musique occidentale est souvent définie comme « l’art de combiner les sons et les silences » selon des codes et des modes, variant en fonction du genre, de l’époque et de la culture à laquelle elle appartient. Le terme employé par Yehudi Menuhin ne fait pas appel à cette musique dite savante. Il embrasse le monde sonore et musical sous l’angle d’un « frémissement de vie ». Comme si, à l’origine, cette création humaine musicale était un échange sonore en réponse à la Nature et à ses bruissements. Cette « musicalité  première » serait une façon ancienne de mobiliser notre attention profonde et de rentrer en contact avec le monde et notre environnement. Ne dit-on pas d’ailleurs être tout ouïe, lorsque nous sommes disposés à une véritable écoute et prêt à l’échange ? Ensuite la musique se serait complexifiée et codifiée. Un peu comme un langage avec son évolution et sa grammaire.

Confusion des langues
La Confusion des langues, Gustave Doré

La musique dans les sociétés non-occidentales

Il est curieux de noter que la frontière entre langage et musique, telle que nous la connaissons, n’existe pas dans beaucoup de cultures. Les activités musicales de nos sociétés contemporaines occidentales, ont pour certaines sociétés traditionnelles d’autres significations ou usages. Pour exemple, le discours de ce chef kanak[ii] enregistré en 1985 ; à la première écoute, on peut penser à un chant entre un soliste et un choeur. Or, cet extrait n’est pas un chant. C’est un discours. La parole qui est vocalisée, mélodiée et rythmée, met en exergue la cohésion du groupe et sa vaillance, un slam traditionnel en quelque sorte. Seul le chef est autorisé à user de ce mode vocal. Ainsi aussi curieux que cela puisse paraître, le mot « musique » est même absent de certaines langues. On ne peut pas faire de la musique juste pour son plaisir. Seulement certains individus dans la communauté ont cette fonction. Souvent un terme générique regroupe les expressions humaines à la fois vocales, musicales et corporelles. Ce sont des activités sociales liées à des rituels, des coutumes, des discours, des cérémonies, des incantations, des prières, des chants thérapeutiques, des danses traditionnelles … Ces temps forts ponctuent et rythment la vie de ces sociétés. Pour John Blacking (ethnomusicologue), « la musique est du son humain organisé ».[iii] Cette définition souligne les liens étroits et multidimensionnels entre l’Homme et la musique, entre l’Homme et sa musique. Et précise le rôle principal et majeur de la coloration culturelle et sociétale dans sa perception et sa création. On est bien loin de l’idée de la musique contemporaine, produit de consommation.

musique communication

Archéologie de la musique

Depuis une vingtaine d’années, une branche de l’archéologie s’intéresse à la musique, activité qui semble remonter aux débuts de l’humanité. Imaginer pouvoir retrouver des « enregistrements archéologiques sonores » fait naturellement partie du domaine du rêve. Cependant de nombreuses preuves matérielles d’activités musicales ont vu le jour et de riches collections d’instruments complexes et de bonnes factures ont été découvertes. En 2009, une flûte d’une vingtaine de centimètres dotée de cinq trous, quasi identique aux flûtes modernes, a été découverte par l’équipe l’Université de Tubingen en Allemagne[iv]. C’est aujourd’hui le plus vieil instrument retrouvé en état. Il est daté d’environ 35 000 ans. D’autres travaux de recherches d’A. Wray (linguiste) et de S. Mithen (archéologue) affirment que nos ancêtres néanderthaliens auraient chanté, ou en tous cas auraient utilisé bien avant de parler, un proto-langage vocalisé s’appuyant sur un moule prosodique et gestuel des émotions[v] : un corps instrument récepteur et communicateur. La musique et le monde sonore auraient joué un rôle important dans le développement humain au niveau des échanges des émotions, de la cohésion sociale et de la communication. A ce propos, il est curieux de noter qu’en français le mot « personne », est un terme dérivé du verbe personare qui veut dire « résonner de toutes parts ». « Résonner », « sonner », nous sommes et demeurons tous des êtres sonores du premier souffle jusqu’au dernier.

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Mode de communication du bébé humain à l‘adulte

Au début de sa vie, le fœtus baigne dans un bain de stimuli sensoriels : voix de la mère, du père, de la fratrie, bruits extérieurs, battements du cœur, respiration, borborygmes digestifs, flux sanguin…Le sens auditif est mature aux environs du quatrième mois. Le sens tactile capte lui toutes les vibrations de ces signaux sonores bien avant. Ce bain sonore nous imprime profondément. Et il semble que nous en gardions une mémoire précise même bien après la naissance. Des expériences menées en périnatalité ces dernières années ont montré l’existence d’une mémoire sonore fœtale précoce. De plus d’autres études démontrent combien les premières interactions maman-bébé sont éminemment « musicales ». Une sorte de chorégraphie dans laquelle, le duo maman-bébé inter-agit, inter-communique via des vocalisations, des intonations, des rythmes, des regards, des gestes, des postures ou pauses. Notre présence, nos gestes, nos paroles, notre voix – co-création personnelle continue avec ses constantes et variations, selon nos âges mais aussi le groupe dans lequel nous évoluons –, pourraient être signifiés, traduits en termes musicaux de rythmes, de mélodie et d’harmonie. Cette musicalité première, des premiers temps archéologiques de l’homme mais aussi des premiers échanges entre un bébé et son environnement demeure chez l’adulte. Elle est comme un soubassement, une basse, un frémissement de vie, une façon singulière de signifier notre présence au monde. C’est tout ce qu’on nomme souvent le non-verbal. Sans cette basse, coloration essentielle du discours, il n’y aurait pas de liens ni d’échanges riches de sens.

 

*

La musique, expression humaine innée, est présente dès le début de la vie à travers une sensorialité archaïque qui nous mobiliserait tout entier. Une sorte de communication humaine autour d’un continuum sonore, musical et corporel.

Tels des poètes nous avons écouté, chanté et dansé les mélodies du monde avant de le penser et le catégoriser. La musique demeure un mystérieux enchantement et nous permet de retrouver un contact avec notre nature profonde sonore et de danser la vie.

 

Notes

[i] MENUHIN Y., The music of the man, 1979.

[ii] BEAUDET J. M., Chants kanaks, cérémonies et berceuses, Chant du monde, Collection du CNRS-Musée de l’Homme ; sources enregistrées entre mars 1984 et décembre 1987. Discours consultable en en ligne.

[iii] BLACKING J., Le sens musical, Editions de minuit, 1980.

[iv] http://news.bbc.co.uk/2/hi/europe/8117915.stm

[v] Mithen S., The singing neanderthals, Havard University Press, 2007.

Cecilia Jourt-Pineau

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