Les villes candidates pour accueillir les Jeux olympiques de 2024 se sont désistées les unes après les autres : Hambourg, Toronto, Rome, Boston, Budapest… Mais que se passe-t-il : serait-ce ce le Syndrome de Montréal ? Les Jeux olympiques ne feraient-ils plus rêver ou les pratiques réelles du CIO seraient-elles en contradiction avec les valeurs officielles de l’Olympisme ? Un peu des deux sans doute… Tour d’horizon des conséquences économiques des précédents JO, alors que ceux de Tokyo se déroulent actuellement à huis clos.

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Manifestation contre les JO de Vancouver 2010

Les Jeux olympiques de Montréal en 1976 

Les JO de Montréal ont accusé un déficit de 1 milliard de dollars. Les contribuables ont dû le rembourser durant 30 ans à travers des impôts supplémentaires (sans compter les frais annuels de maintenance des équipements olympiques). Après cette catastrophe financière, plus aucune ville ne s’était portée candidate pour les JO de 1984. Sauf Los Angeles qui a imposé ses conditions au CIO (Comité olympique) et ainsi pu tenir son budget (1,6 milliard d’euros), notamment en utilisant des infrastructures existantes.

Les Jeux olympiques après Los Angeles 1984, la winner’s curse

C’est ce que l’économiste Wladimir Andreff, professeur de sciences économiques à la Sorbonne appelle la « winner’s curse » : la course mégalomaniaque des villes concurrentes à la surenchère. Une course soutenue implicitement par le CIO bien qu’il affirme le contraire (des jeux grandioses sont synonymes de gains conséquents…). Les villes mises en concurrence à dessein rivalisent alors d’idées pour surestimer leur capacité à fournir les infrastructures nécessaires aux JO, mais également les potentielles retombées économico-touristiques. Le tout, en sous-estimant totalement le coût global du projet !… La suite ? De véritables catastrophes budgétaires, humaines et écologiques, au nom du prestige (d’une ville, d’un dirigeant ou de plusieurs dirigeants, du CIO, des sponsors) et au service de la discrète et réelle opportunité d’éloigner les individus plus pauvres des centres touristiques à travers des expropriations expéditives dictées par les impératifs olympiques…

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La plage Botafogo à Rio. Photo : Noémie Delattre

La winner’s curse ou la malédiction du vainqueur 

Tous les budgets initiaux des JO qui suivirent ceux de Los Angeles ont littéralement explosé. La palme ou, plutôt, la médaille d’or revenant sans conteste aux JO d’hiver de Sochi avec un budget initial de 12 milliards d’euros pour une facture finale de plus de 50 milliards d’euros (un montant qui représente le coût de l’ensemble des JO d’hiver modernes réunis)… Sans compter les dégâts collatéraux provoqués par ces projets pharaoniques : expropriations, destruction de zones protégées, corruption, spéculation immobilière, ouvriers exploités, blessés, voire décédés sur les chantiers… (voir dans la série des dommages « collatéraux » des mega-events : Forçats du stade, Les tâcherons népalais de la Coupe du monde au Qatar de Stefan Maier, Esther Saoub, ARTE, 2016)

Les JO d’hiver de Sochi en 2014

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Sochi est une ville de quelque 370 000 habitants située à l’ouest du Caucase sur la côte nord-est de la mer Noire. Elle est réputée comme station balnéaire et surnommée la « Riviera du Caucase ». Les montagnes offrent quelques possibilités de skier : le village de Krasnaïa Poliana, situé à seulement 520 mètres d’altitude, se trouve à moins d’une heure de voiture de la côte. Mais l’enneigement est aléatoire et les infrastructures sont quasi inexistantes. Les travaux de construction pour les JO vont s’éterniser et se feront en dépit du bon sens comme le relate Alexander Gentelev dans son documentaire « Les Jeux de Poutine » (Putin’s Games, 2013). On y voit – encore et toujours – le désarroi des habitants expropriés, la ville et les environnements défigurés…

 

Même scénario à Rio au Brésil (JO d’été 2016)

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Photo Tercio Texeira JO RIO 2016 : vue de la Favela

Après avoir accueilli le Mondial de football en 2014 (11 milliards d’euros de budget : 12 stades – certains seulement rénovés –, 21 terminaux aéroportuaires, 7 pistes d’atterrissage, 5 terminaux portuaires), les Cariocas étaient-ils en mesure d’accueillir les JO ? À Rio, où l’extrême pauvreté flirte avec l’extrême richesse, rien n’était moins sûr…

Thomas Bach, président du CIO, déclarait en novembre 2016 avec un cynisme déconcertant : « Ces Jeux ont été des Jeux merveilleux dans la Ville merveilleuse. Nous espérons que nous pourrons apporter l’inspiration et l’énergie dont nous avons été témoins au Brésil aux prochaines villes hôtes. » Il est clair que Thomas Bach n’a pas l’occasion de voir les côtés obscurs de la ville : il ne se préoccupe pas de la pollution dans la baie de Guanabara ou de l’expropriation des plus pauvres comme à Vila Autonomo (voir notre article ici). Amnesty International estime entre 70 et 90 000 les personnes qui ont été « déplacées » et à plusieurs centaines celles qui ont été tuées, notamment par les UPP, Unités de Police pacificatrices.

Thomas Bach ne se préoccupe pas non plus que les nouvelles infrastructures de transports tant vantées soient accessibles financièrement à l’ensemble des citoyens ou que le stade d’athlétisme du quartier, comme Célia de Barros, soit rasé pour y mettre un parking près du Stade Maracanas… Ce qui compte c’est l’image ou plutôt les images (le CIO détient tous les droits d’exploitations des images des JO), les sponsors et, donc, l’argent.

Tokyo, les JO à huis clos qui explosent le budget

https://youtu.be/K1sfnCaQIe0

Le sport d’accord, mais les sponsors d’abord :

L’Olympisme est une philosophie de la vie, exaltant et combinant en un ensemble équilibré les qualités du corps, de la volonté et de l’esprit. Alliant le sport à la culture et à l’éducation, l’Olympisme se veut créateur d’un style de vie fondé sur la joie dans l’effort, la valeur éducative du bon exemple et le respect des principes éthiques fondamentaux universels.

Ça, c’est la théorie. En pratique, plus les JO sont grandioses (et donc coûteux), plus ils séduisent le CIO, car ils rapportent davantage grâce aux sponsors et aux retransmissions. D’ailleurs, le cahier des charges est strict : aucune publicité autre que celles des sponsors ne peut être affichée à plusieurs dizaines de kilomètres à la ronde du village olympique ou des installations sportives. Les entreprises qui n’ont pas déboursé sont interdites de présence. Et si les sponsors mettent en avant des boissons sucrées, des hamburgers – aliments préférés des athlètes comme chacun sait… – cela ne perturbera absolument pas le CIO : un esprit sain dans un corps sain !

Un peu négatif tout ça, il reste tout de même de vastes complexes sportifs après les JO !

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Banski street art

Demeurent les éléphants blancs. Tous ces complexes sportifs qui ne serviront pour la plupart plus jamais ou qui seront impossibles à rentabiliser. Ils ont été érigés à grands coups de millions pour finalement ne servir que 15 jours, parfois un peu plus longtemps si l’augmentation des impôts peut financer les coûts d’entretien. Certaines populations ne peuvent plus supporter de nouvelles hausses d’impôt : à Athènes (JO 2004), des nageurs sont obligés de s’entraîner dans une piscine municipale ; à Rio (JO 2016) les coureurs dans un parc, etc. Et des éléphants blancs, il y en a partout sur les anciens sites olympiques tels le tremplin de Saint-Nizier érigé pour les JO de Grenoble en 1968 (les habitants ont fini de rembourser ces JO en… 26 ans !) et qui n’en finit pas de se dégrader ; les pistes de bobsleigh à Sarajevo (JO de 1984, certes, en même temps là il y a eu la guerre…) ; des stades à Pékin ou Rio inutilisables. Bref, un beau gâchis financier et environnemental qui fait le bonheur des photographes Urbex (voir le documentaire Arte de Lourdes Picareta La piste des Elephants Blancs, 2016)…

Les populations qui accueillent les JO

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Le stade Celia de Barros a été remplacé par un parking aux JO de Rio 2016. Photo : Ivo Gonzalez

Sur les images du CIO, on voit des gens contents qui crient, pleurent (au début de joie) – l’extase sportive en somme. En coulisse, certains protestent contre les JO. Or, avec les réseaux sociaux, cela devient de plus en plus difficile de cacher la poussière sur le tapis. Le CIO n’aime pas ces gens qui n’aiment pas ses jeux. Comme le rapporte le site du Comité Anti-Olympique d’Annecy 2018, une des exigences du CIO est la suivante : « Dressez une liste des éventuels autres mouvements politiques ou sociaux dont les activités pourraient soutenir ou contrecarrer votre projet. »

Le CIO espère naturellement obtenir le soutien massif des populations afin d’entraver toute velléité de manifestations contre les Jeux. De fait, certaines villes organisent des référendums de manière spontanée ou à la demande d’une population exaspérée par les divagations économiques de ses dirigeants (comme à Budapest). Dans la plupart des villes candidates, le patrimoine architectural est bafoué sur l’autel des JO. En région parisienne, il est ainsi trop tard pour le Jardin botanique des serres d’Auteuil pourtant classé aux Monuments historiques. Avec un hectare pour ainsi dire préempté par la Fédération française de Tennis, le jardin mythique sera pourvu d’un nouveau court de tennis…

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Affiche du Collectif anti JO 2024

Les anti-JO de Paris 2024 ont d’ailleurs une page Facebook Non aux Jeux 2024 et une pétition demandant un référendum ici.

Certes, dans les régimes non démocratiques, la question d’un référendum ne se pose évidemment pas. La Chine recevra les JO d’hiver en 2022 (après les JO d’été de 2008 et un budget de 32 milliards d’euros initialement prévu à hauteur de 2,6 milliards…). Le CIO ne semble pas s’émouvoir du manque d’eau dans cette région ou de l’utilisation de canons à neige. Quant aux Chinois, ils seraient… 92 % à approuver le projet !

La candidature de Paris aux JO de 2024 #MadeForSharing 

MADE FOR SHARING


Anne Hidalgo, maire de Paris, en appuyant la candidature de la capitale française voudrait « partager » avec ses concitoyens. C’est le slogan des JO de Paris 2024 : Made for sharing. Slogan que véhicule un peu partout la junk food anglo-saxonne. De fait, il faudra partager le financement public de 3 milliards d’euros (dont 1,7 milliard d’euros pour le village olympique et paralympique). Heureusement, le CFSI juge le système de transport public dense et performant, les Franciliens apprécieront…

Si Paris affiche un slogan en anglais – Bernard Pivot est au bord de l’apoplexie –, on peut espérer que le prévisionnel n’explosera pas comme celui de Londres (JO 2012) qui est passé de 4,8 milliards à 11,9 milliards. D’après l’économiste Jean-Pascal Gayant, 12 équipements seraient à construire à Paris (5000 à 15 000 places chacun), dont des équipements peu faciles à rentabiliser, mais imposés par le CIO : un stade pour le hockey sur gazon (qui ravira les millions et millions de licenciés français dans cette discipline…) et des stands de tir (ces derniers étant sans doute plus faciles à rentabiliser au vu du contexte social dégradé…).

Par ailleurs, considérant que le Stade de France n’a jamais été rentable, qu’il manque des centaines de milliers de logements sociaux en Seine-Saint-Denis, sans parler des équipements sportifs et des centres médicaux, est-ce vraiment le plus urgent de construire une piscine olympique ? Certes, les petits pauvres, à défaut d’avoir pu assister aux JO, pourront venir y barboter par la suite. Une aubaine quand on sait qu’un enfant sur deux rentrant au collège ne sait pas nager faute d’infrastructures adéquates. Mais si la Seine-Saint-Denis, le département le plus défavorisé de France, est trop rénové, l’immobilier ne risque-t-il pas de flamber ? Qu’importe si c’est pour y voir flamber un jour la flamme olympique ?

Les Jeux olympiques, nouvel outil de communication :

JEUX OLYMPIQUESAfin de susciter l’enthousiasme de la population pour les Jeux olympiques, quoi de mieux que de propager la bonne parole dès le plus jeune âge ? Le ministère de l’Éducation nationale français a ainsi décrété l’année 2017 « Année de l’Olympisme » (pas l’année du sport, la différence est de taille) de l’école à l’université afin de promouvoir la candidature de Paris aux Jeux olympiques de 2024.

Promouvoir le sport certes, mais de quel Olympisme parlons-nous ? Des valeurs désormais systématiquement bafouées de l’Olympisme ?! Les dossiers et scandales de corruption au sein du CIO et autour de l’organisation des jeux rempliraient à eux seuls un stade de foot ! Quid des populations surendettées à la suite de l’organisation des JO ? Combien sont les Guy Drut, cet ancien champion olympique, condamné pour recel d’abus de confiance, amnistié en 2006 par son ami Jacques (Chirac) et qui siège actuellement comme membre du… CIO ? Quid de ces athlètes qui, après de longs et douloureux sacrifices, se sont vus spoliés suite à des arbitrages plus que douteux (on pense par exemple au boxeur français Alexis Vastine et au Kazakh Vassily Levit) ? Cerise sur les JO : dans le village olympique, l’un des plus gros sponsors distribue gratuitement des hamburgers et autres frites aux athlètes – un cauchemar pour les coachs…

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Sawan Serasinghe athlète australien : après l’effort, le réconfort ?

Au vu du dévoiement public des valeurs de l’olympisme, est-ce un service à rendre aux Français de vouloir accueillir les JO dans ces conditions ineptes ? Ou bien les citoyens et les élus des pays membres font pression sur le CIO pour le moraliser et restaurer une vision humaniste, sobre, volontaire et heureuse des Jeux ou bien la morale aussi bien que la simple rationalité économique invitent à se désister d’un tel investissement promis à la gabegie. Dans le cas contraire, autrement dit actuellement, la communication nationale devrait aller jusqu’au bout : pour conforter ces nouvelles valeurs contre-humanistes dans l’esprit de nos enfants – déjà partiellement décérébrés par un système éducatif qui n’en finit pas de sombrer dans la médiocrité et de creuser les inégalités – pourquoi ne pas envisager des partenariats avec les officiels « olympic partners » (sponsors). Des géants de l’agroalimentaire américain dans nos cantines scolaires et des équipementiers à l’œuvre dans les stades de quartier ?! Ainsi la boucle sera bouclée : une génération d’obèses s’extasiant devant les paillettes des JO du futur en rêvant de vies au luxe fantasmé, standardisé, déshumanisé… Vive le sport mégalo, vive la malbouffe sponsorisée !

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Sources

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Vous trouverez également d’innombrables photos sur les différents vestiges olympiens en combinant sur internet notamment les mots-clés urbex et olympic games.

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Rocky Brokenbrain
Notoire pilier des comptoirs culturels, Rocky Brokenbrain pratique avec assiduité depuis des années une danse alambiquée et surnaturelle. Zazou impénitent, il aime le rock'n roll, la guimauve, les grands fauves et, entre deux transes, écrire à l'encre violette sur les musiques et les danses qu'il aime... ou pas.

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