11 novembre

Chaque année, le 11 novembre, la France commémore ses disparus de la Première Guerre mondiale. Depuis la loi du 28 février 2012, cette date est devenue une journée d’hommage nationale à tous les morts pour la France, quel que soit le conflit. Mais le 11 novembre est avant tout la journée commémorative de l’Armistice, signée le 11 novembre 1918 dans un wagon arrêté dans la forêt de Compiègne. La Bretagne retient surtout cette date, car elle a payé un lourd tribut entre 1914 et 1918. Unidivers a retrouvé les souvenirs écrits de Jean Perrichot, ancien maire de Campénéac.

11 novembre
Jean Perrichot, poilu morbihannais

Dès les premiers mois après la mobilisation d’août 1914, la première année du terrible conflit, la presse locale comme nationale met largement un argument en avant : les Bretons sont des paysans qui ne connaissent rien d’autres que leurs terres, souvent considérés comme en retard par rapport au reste du pays, parfois moqués et désignés comme étant des ploucs. Pourtant la Bretagne va payer largement son tribut sous les traits de ses vaillants et courageux paysans. Sur tous les champs de bataille, le sang des Bretons a coulé à flots ! 

En 1914, la population en Bretagne est rurale et plus jeune que la moyenne française. Un grand nombre de Bretons ne parlent que le breton et maîtrisent très peu la langue française. Au tout début du XXe siècle, une enquête évalue que la moitié des Finistériens ne comprennent pas un mot de français, autant d’inconvénients que les soldats bretons vont rencontrer au front. Ils ne comprennent pas toujours les ordres de leurs supérieurs. Des rumeurs se sont même répandues : « certains soldats auraient été fusillés pour l’exemple car ils ne comprenaient pas les ordres prononcés en français pendant la Première Guerre mondiale ».

Le nombre des Bretons tués au cours de la Grande Guerre est estimé à 140 000, ce qui représente un pourcentage de combattants tués supérieur à celui de l’ensemble de la France qui totalise 1,3 millions de soldats décédés au cours de la Grande Guerre et ayant obtenu la mention Mort pour la France. Mais c’est le début de la guerre qui sera le plus meurtrier avec 27 000 soldats français tués en une seule journée : le 22 août 1914. Elle restera la journée la plus meurtrière de toute l’histoire de l’armée française.

La Bretagne mobilise 592 916 hommes à l’armée, essentiellement incorporés dans l’infanterie de l’armée de terre : au sein du 10e Corps d’armée de Rennes (35) et du 11e Corps d’armée de Nantes (44). La marine compte entre 50 000 et 60 000 incorporés, venant principalement de Basse-Bretagne. Nombreux prêtres des quatre départements bretons sont également mobilisés : ils seront  brancardiers, infirmiers, ou aumôniers jouant souvent le rôle de réconfort auprès des autres soldats. 500 prêtres sur les 1000 que compte le diocèse de Saint-Brieuc dans les Côtes du Nord (Côtes d’Armor) sont mobilisés ; 625 du diocèse de Vannes dans le Morbihan ;  600 appartenant au diocèse de Rennes en Ille-et-Vilaine, et 534 prêtres du Finistère, du diocèse de Quimper.

Le premier engagement des soldats bretons a lieu le 21 août 1914 en Belgique, d’abord à Maissin puis à Charleroi. Les bataillons bretons participent à quasiment toutes les principales batailles du conflit. Lors de la bataille de Verdun, la plus longue (du 21 février au 19 décembre 1916) et la plus meurtrière de toute la Grande guerre, le 116e régiment d’infanterie de Vannes perd 60 % de ses effectifs en une demi-journée.

Jean Perrichot, ancien maire de Campénéac dans le Morbihan avait témoigné en rédigeant ses mémoires au retour de la guerre. Mobilisé le 6 septembre 1914 à l’âge de 20 ans et incorporé au 7e régiment d’artillerie de Rennes, il a été de tous les combats pendant quatre années ! Après le front à Souain dans la Marne et l’attaque de Champagne en septembre 1915, Jean Perrichot participe à la bataille de Verdun qu’il qualifiera de La bataille la plus infâme de la première guerre mondiale.

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Il est 23 h sous une pluie battante, quand Jean Perrichot et ses frères d’armes arrivent le 23 juin 1916 à Verdun. Les Allemands viennent de bombarder le faubourg et continuent d’attaquer. La route est encombrée de chevaux tués, de caissons éventrés « L’on ne voyait que des flammes sortir de l’artillerie. Nous entrions dans l’enfer de Verdun ! Pendant 23 jours, nous ne dormions pour ainsi dire jamais. Toutes les nuits c’était, soit des déchargements d’obus, soit des tirs de barrage. Le pire fut la perte et la reprise du fort de Souville, le 11 et 12 juillet. On tirait à 700 ou 800 mètres seulement et ma pièce tirait 1 100 coups dans les 24 heures » Le 4 septembre 1916, la moitié de l’effectif est gazé et Jean Perrichot l’est aussi : « Je fus trois jours et trois nuits entre la vie et la mort. Je râlais comme un mourant m’a t-on dit. On n’a pas voulu de moi là-haut ! ».

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Jean Perrichot, assis au centre

Jean Perrichot avait aussi confié dans son recueil son quotidien et les conditions de vie vécues par les poilus : les paillasses piteuses déposées à même le sol pour dormir dès l’incorporation ; la construction des tranchées de 1,80 mètres à 2 mètres de profondeur sur plusieurs kilomètres ; la confection de nouveaux emplacements de batterie ; la consolidation des abris, appelés cagnas ; la boue collante et glaciale qui montait jusqu’à hauteur des bandes molletières et les pieds gelés ; la vermine, les poux et les rats qui grouillaient jusque sur la figure ; Les gaz asphyxiants et lacrymogènes et le gaz ypérite qui s’avérait mortel au bout de quelques minutes sans le port du masque ; la fin du pantalon rouge de 1870, bien trop voyant, enfin remplacé par la tenue bleue horizon accompagné du casque Adrian ; Les blessés, les gazés, les gueules-cassées et les hôpitaux archi-combles ; les fantassins couchés dans les trous d’obus sous les bombardements, sans rien à manger ni à boire ;  le ravitaillement qui se fait à dos d’ânes sous la mitraille ; L’ancien poilu avait tenu cependant à relater la solidarité entre camarades : « Nous étions une vraie famille. C’est de là, que naquit cette belle devise : unis comme au front ! Quand l’un de nous touchait un colis, on se le partageait ».

Après Verdun, il y aura aussi Montdidier dans la Somme en mars 1917, puis la prise de position à Saint-Hilaire en Champagne ; en octobre 1917, c’est à nouveau les combats en Meuse à Void-Vacon, puis au Four de Paris, près de Vienne-le-Château, à cheval entre la Marne et la Meuse, puis encore à Vauquois où Jean Perrichot et ses camarades récoltent encore des gaz. En mars 1918, Jean Perrichot est gazé une fois de plus à Vauquois : brûlé extérieurement, il a par chance, peu respiré le gaz moutarde. 

Le 5 mai 1918, avec son régiment Jean perrichot va combattre aux côtés des Américains, qui sont entrés en guerre. Ensemble, ils prennent position à Welles-Pérennes dans l’Oise et reprennent Cantigny dans la Somme. La bataille de Cantigny se déroule du 28 au 31 mai 1918. Elle est la première bataille américaine majeure de la Grande guerre et elle va changer le cours de la guerre. Début août 1918, les Français attaquent et c’est la reprise de Montdidier La guerre de tranchée est terminée pour nous et nous harcelons l’ennemi pendant 2 mois, enfin ! L’espoir revient ! Nous avançons de 100 km, sans grosses pertes mais sans repos non plus. Le moral remonte à bloc dans les troupes et la marche victorieuse continue son chemin. Les communes sont reprises les unes après les autres : Faverolles ; Fécamp ; Popincourt ; Roye ; Guiscard ; Berlancourt. Même la ligne d’Hindenburg, pourtant réputée imprenable, est franchie le 9 octobre 1918 : Le 17 octobre, nous arrivons au canal de l’Oise. Nous sommes relevés le 24 et on embarque pour les Vosges, un secteur plus tranquille, à Breteuil

11 novembre
Jean Perrichot, le premier à gauche, avec ses frères d’armes

Quelques jours après la signature de l’armistice du 11 novembre, le régiment de Jean Perrichot arrive parmi les tous premiers poilus sur la terre d’Alsace. Cette région et une partie de la Lorraine (le département de la Moselle) sont victorieusement restituées à la France, après 48 ans de nationalité allemande depuis la défaite de 1871. Jean Perrichot témoigne : « Je ne puis exprimer cet accueil indescriptible, que nous avons reçu de la part des Alsaciens. Les anciens combattants de 1870-71, tellement reconnaissants envers nous pour avoir reconquis leur territoire, nous faisaient de grands gestes en nous montrant leur cœur. Les jeunes filles avaient revêtu leurs beaux costumes alsaciens, et nous accueillaient en chantant, partout où l’on passait. Nous chantions avec elles la Madelon. Quelle joie, quelle consolation pour nous pauvres poilus, qui revenions de quatre années d’horreur et de malheurs. Nous étions de véritables revenants ».

Jean Perrichot quitte l’Alsace le 28 juillet 1919 et arrive à Rennes le 31 juillet 1919. Les poilus vainqueurs défilent dans les rues de Rennes le 5 août 1919 et sont reçus par Emmanuel Desgrées du Loû, directeur du journal Ouest-Eclair (prédécesseur du quotidien Ouest-France) :  Sur de grandes banderoles était inscrit « Ils ont été à la peine, aujourd’hui, ils sont à l’honneur … » 

C’est un Breton qui est devenu le symbole de courage et de patriotisme, Jean Corentin, pour s’être engagé à l’âge de 15 ans en trichant sur son identité, au cours de la Première Guerre mondiale. Il se fait appeler Auguste Duthoy. La presse nationale s’empare de son histoire dès 1916, car il est le plus jeune poilu de France. Volontaire pour servir dans l’aviation, il est breveté pilote durant l’été 1917 et est affecté à l’escadrille SO 229.  Son avion est abattu au dessus de Verdun et le 18 mars 1918 et Jean Corentin arrivé à l’hôpital décède suite à ses blessures. Il reçoit la citation : « Adjudant Jean Corentin, du 410e régiment d’infanterie, pilote à l’escadrille SO 229 attaqué par trois avions ennemis, le 18 mars, s’est défendu énergiquement jusqu’à ce que son appareil soit abattu, l’entraînant dans une mort glorieuse ».

11 novembre
Jean Corentin

Livres conseillés :

Les Bretons et la grande Guerre de Yann Lagadec et Didier Guyvarc’h. Préface : d’Alain Croix

Les images sont au cœur de la Grande Guerre. De 1914 à 1918, Elles sont utilisées pour mobiliser Bretons et Bretonnes. Elles contribuent à la construction des mémoires d’un conflit fondateur de la Bretagne d’aujourd’hui. En 200 images, souvent inédites, ce livre interroge l’actualité de cette guerre centenaire.

La Bretagne fusillée 1914-1918 de Roger Laouénan

Une chape de plomb a étouffé la mémoire des soldats fusillés au cours de la Grande Guerre.  À partir d’une trentaine d’exemples, l’auteur révèle les infractions commises, où ils ont été exécutés, qui commandait, après avoir expliqué la justice militaire de cette époque et le rituel d’exécution…

Martine Gatti
Martine Gatti est une jeune retraitée correspondante de presse locale dans le pays de Ploërmel depuis bien des années.

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