INUIT Baudoin Troubs

Partir en voyage avec Baudoin et Troubs, c’est la certitude d’entendre des voix étouffées, de découvrir des paysages exceptionnels. De rencontrer la poésie de l’ailleurs. C’est le cas avec Inuit, paru aux éditions L’Association.

Edmond Baudoin a au moins trois passions dans la vie : le dessin qui l’a envoûté dès 8 ans, les femmes et les voyages. Ses voyages il peut les faire en marchant près du village « des vacances du temps de son enfance », Villars-sur-Var. Mais il peut aussi prendre ses ailes pour aller aux quatre coins du monde découvrir d’autres paysages, d’autres personnes, aller à la rencontre de modes de vie et de pensée différents. Est ce l’âge venant ? L’envie de partager ? Ces itinérances Baudoin les effectue de plus en plus avec un compagnon, dessinateur lui aussi. Ces dernières années il est parti avec Jean-Marc Troubet, dit Troubs, le « dessinateur voyageur » dont Baudoin écrit : « Qui est Jean Marc ? Je ne le connais pas, c’est un peu mon frère, il faudrait que je fasse un livre sur lui ». En attendant cet ouvrage, ils ont réalisé ensemble trois livres (1) pour des voyages au Mexique, en Colombie, dans la vallée de la Roya. Si Baudoin ne connait pas encore parfaitement Troubs, ils savent maintenant parfaitement réaliser ensemble le compte rendu de ces périples. Le processus récurrent consiste à aller à la rencontre des populations locales, ou migrantes pour la Roya, faire le portrait des personnes interrogées en échange de quelques questions, leur offrir le dessin, sauvegardé photographiquement et construire conjointement un ouvrage basé essentiellement sur ces témoignages. Collectif est l’ouvrage, où seul le style des deux auteurs permet l’identification des dessins et des textes non signés.

C’est Baudoin qui est à l’initiative de ce quatrième opus en duo puisqu’il avait découvert, il y a plus de vingt ans lorsqu’il était professeur au Québec, l’art inuit. Il avait envie de porter aujourd’hui les témoignages de ceux qui le font perdurer à l’identique, ou le font évoluer, en se rendant l’été dernier au Labrador et dans le Nunavut. Ils sont nombreux, ceux à qui les blancs ont spolié la culture, à témoigner. Les auteurs leur posent souvent une double question : « Qu’est pour vous la culture inuite et quelles sont ces chances de survie ? ». On découvre au fil des conversations combien cette population fut, à l’image des indiens d’Amérique, spoliée, violée, trahie. On leur a refusé l’usage de leur langue, on a interné pour les « civiliser » plus de 150 000 enfants (on pense au magnifique livre de Richard Wagamese, Jeu blanc), on a voulu effacer les traces de leur culture. Ce sont ces dernières que les auteurs privilégient dans leur carnet de voyage, si différent d’une transcription d’un périple itinérant. Légendes, mythes fondateurs, langue, mais aussi objets usuels traditionnels devenus peu à peu œuvres d’art sont évoqués et magnifiquement dessinés indistinctement par les deux auteurs.

Loin d’un récit documentaire, le livre est une invitation à la réflexion, mais aussi au rêve et à l’espoir. Entre renaissance de l’art inuit, développement, régénérescence, et oubli, les témoignages sont contradictoires comme le sont les regards sur l’avenir. Radieux avec un développement économique exponentiel grâce aux richesses du sous-sol ou désastreux en raison du réchauffement climatique, perceptible ici plus qu’ailleurs. La vision du futur est divisée.

INUIT Baudoin Troubs

Baudoin et Troubs écoutent, consignent, mais ils ne seraient pas ces formidables auteurs s’ils ne dégageaient pas de ces comptes rendus, grâce à leurs dessins, une poésie cachée derrière l’apparence des choses. Ils mélangent magnifiquement ces légendes et dessins locaux auxquels ils apportent parfois leur touche personnelle, mais dissimulent leurs traits derrière des esquisses centenaires. Ils se font discrets, modestes, porte-parole, et ne laissent place à leur talent que pour exprimer en pleine page leur émotion devant l’immensité d’un paysage, accompagné de ses seuls mots : « Être juste là ». On est emportés alors dans un univers parallèle où l’on croise des bélugas, des corbeaux dont on entend les sifflements tôt le matin, Sedna la déesse légendaire qui retient les animaux dans l’enchevêtrement de sa coiffure. On rencontre des femmes et des hommes qui ne quitteraient pour rien au monde cet univers froid et glacé mais empreint de solidarité communautaire ancestrale, qualité indispensable pour survivre face à la rudesse du climat. Et à la violence ancienne des colons.

L’art inuit utilise les matériaux rencontrés dans la nature: bois, pierre, ivoire. Baudoin et Troubs, comme les inuits ont employé le peu qu’ils avaient sous la main : encre, crayon, eau, aquarelle. De ces éléments simples et naturels, ils ont dégagé l’âme d’un peuple et sa culture. En voie de disparition ou en pleine renaissance.

INUIT de Baudoin et Troubs. Éditions L’Association. 176 pages, parution : mai 2023, prix : 33 €.

(1) Viva la Vida Los Suenos de Ciudad Juares, Le goût de la terre, la Roya est un fleuve. Les trois ouvrages ont été édités à l’Association.

Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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