Homothérapies, conversion forcée : électrochocs, lobotomies frontales, thérapies hormonales, thérapies d’aversion… On pensait ces pratiques disparues avec la suppression de l’homosexualité de la liste des maladies mentales. Il s’avère qu’elles ont laissé place à d’autres procédés tout aussi barbares qui continuent à se déployer partout dans le monde.

« Tu ne coucheras point avec un homme comme on couche avec une femme. C’est une abomination » [Lévitique 18 v. 22]

HOMOTHERAPIE CONVERSIONS FORCEES

Bernard Nicolas et son équipe de journalistes ont enquêté pendant deux ans aux États-Unis, en France, en Allemagne, en Pologne et en Suisse dans les milieux obscurs de ceux qui pratiquent ce qu’on appelle les thérapies de conversion et ont infiltré certains de ces groupes. Selon qu’ils sont religieux ou non, d’obédience catholique ou évangélique, les programmes de guérison diffèrent, mais ont un même objectif: faire que la personne homosexuelle devienne hétérosexuelle ou à défaut, qu’elle atteigne la chasteté en instillant honte et culpabilité chez ces personnes en souffrance.

Gaypride Laurie Musset
Toronto, Gaypride juin 2018. Photographie Laurie Musset

Aux États-Unis, les associations évangéliques revendiquent haut et fort leurs pratiques. Mais en France, en Allemagne ou en Suisse, même si certains praticiens ont pignon sur rue, catholiques et évangéliques sont plus discrets. Qui pourrait se douter par exemple que des groupes de conversion se réunissent chaque semaine en plein cœur de Paris ? En Pologne, la question de l’homosexualité est balayée par l’Église et les conservateurs au pouvoir, les thérapies de guérison y sont présentées comme seule alternative à l’enfer.

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Des témoignages bouleversants et inédits de plusieurs victimes viennent ponctuer l’enquête. Elles relatent pour la première fois les épreuves extrêmement violentes qu’elles ont subies, comme Benoit dont les parents, fervents catholiques, l’envoient chaque été, de ses 15 à ses 18 ans, dans des camps dédiés aux homosexuels. Deb, fille d’un couple de l’Arkansas membre d’une église évangélique rigoriste qui subit des séances d’exorcisme sombrera dans une profonde dépression. Exorcismes dévastateurs aussi pour Jean-Michel, longtemps convaincu d’être possédé par le démon de l’homosexualité et qui va lutter des années durant contre ses besoins sexuels qu’il pense incompatibles avec son engagement religieux. Ewa quant à elle subira messes de guérison, camps de rééducation et chocs électriques pour lui faire rejeter son homosexualité.

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Ils sont prêtres, pasteurs, médecins, psychothérapeutes ; ils s’affichent dans des associations chrétiennes, affirment connaître l’origine de l’homosexualité et pouvoir la soigner. Une enquête dans 5 pays pour comprendre les mécanismes des thérapies de conversion, identifier ceux qui les pratiquent et mesurer le danger qu’elles représentent.

BERNARD NICOLAS

Bernard Nicolas est journaliste d’investigation depuis plus de 30 ans. Il a une connaissance approfondie du monde des sectes et de leur fonctionnement sur lequel il a travaillé plus de 10 ans. Ces vingt dernières années, il a réalisé ou coréalisé une quarantaine de films documentaires d’investigation. Il a traité des scandales sanitaires, de l’affaire du sang contaminé au Médiator avec le documentaire Mediator, histoire d’une dérive (ARTE, 2011).

Journaliste d’investigation, vous êtes rodé aux enquêtes difficiles. Quelles ont été les spécificités de celle-ci ?

Bernard Nicolas : J’ai en effet beaucoup travaillé en investigation, notamment sur les sectes, il y a une vingtaine d’années, et j’ai retrouvé ici les mêmes ingrédients.
Avec Timothée de Rauglaudre et Jean-Loup Adénor, les deux jeunes journalistes avec lesquels j’ai mené cette enquête, nous nous sommes heurtés à des refus de tournage systématiques. Ce qui se passe à l’occasion de ces « thérapies de conversion » est ahurissant, certains rituels confinant à la transe et à la folie. Sans accès, tout cela était toutefois très difficile à démontrer. Nous avons donc décidé d’infiltrer deux groupes français en caméra cachée. C’était le seul moyen de montrer la réalité de la manipulation affective et spirituelle exercée par ces mouvements sous couvert d’aide aux homosexuel(e)s en souffrance.

Gaypride Laurie Musset
Toronto, Gaypride juin 2018. Photographe Laurie Musset

Quelle est la genèse de ces « thérapies de conversion » ?

Les groupes évangéliques et catholiques proposant « d’aider » les homosexuel(le)s à changer d’orientation sexuelle sont nés aux États-Unis dans les années 1970. Soutenus par un climat général d’homophobie dans les Églises aussi bien protestantes que catholiques, ils ont essaimé rapidement et bénéficient des subsides ecclésiastiques. Ils se sont ensuite exportés partout dans le monde, notamment en Europe, dans les années 1990. Trente ans plus tard, ils sont toujours actifs.

Peut-on évaluer l’ampleur de ces mouvements ?

Ces groupes n’étant pas interdits par la loi, c’est très difficile à estimer dans la mesure où les victimes ne peuvent pas porter plainte. Elles restent souvent dans le silence, d’autant qu’il s’agit de croyants pour lesquels s’opposer à leur Église, et par là même à leurs familles, serait sacrilège. Une étude menée aux États-Unis par des sociologues avance le chiffre de 700 000 personnes touchées par les thérapies de conversion en quarante ans. En Europe, en revanche, on a peu de données. Ces groupes opèrent souvent dans la plus grande discrétion, avec un appui officieux et ambigu, par exemple, de l’Église catholique, qui ne les condamne pas, même si elle ne les soutient pas officiellement.

HOMOTHERAPIE CONVERSIONS FORCEES

Comment expliquer une telle tolérance de ce qui s’apparente à des dérives sectaires ?

Il a fallu un certain nombre de drames pour qu’on légifère contre les sectes. Or, jusqu’à présent, les politiques ignoraient tout de ces mouvements qui sont passés sous les radars, malgré quelques remontées de victimes et d’une alerte de la Miviludes [Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, NDLR] il y a quelques années. Il manquait alors un certain nombre de critères permettant de les qualifier comme des sectes, notamment celui d’escroquerie financière. Une mission d’information parlementaire est en cours et va permettre d’éclairer ces pratiques. J’espère également que ce documentaire va susciter une prise de conscience. Lorsqu’on écoute les victimes, cela fait froid dans les dos. Certaines ont subi des exorcismes extrêmement violents. Dans ma carrière, c’est l’une des enquêtes les plus fortes que j’ai menées.

Propos recueillis par Laetitia Moller pour Arte.

HOMOTHÉRAPIES, CONVERSION FORCÉE. Un documentaire de Bernard Nicolas, écrit avec Jean-Loup Adénor et Thimothée de Rauglaudre. Mardi 26 novembre 2019 à 20.50 et sur arte.tv du 19 novembre 2019 au 24 janvier 2020. Infiltrés parmi ceux qui veulent « guérir » les homosexuels. Soirée présentée par Émilie Aubry

COPRODUCTION : ARTE FRANCE, EGO PRODUCTIONS (2019- 1H34)

Reconnue comme maladie mentale jusqu’en 1973 par la société américaine de Psychiatrie, ce n’est qu’en 1990 que l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) a finalement rejoint l’avis de son homologue en ne considérant plus l’homosexualité comme une maladie mentale. Il faudra attendre 1992 pour que la France, 19 ans après les États-Unis, ne considère plus l’homosexualité comme une pathologie psychiatrique.

https://youtu.be/2k_5iJT4ZM8

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