Zurbarán, peintre sévillan du Siècle d’or espagnol, contemporain de Vélasquez, fut étiqueté « peintre des moines ». Assurément il le fut, tant il offrit une impressionnante vision de son « éventail » monastique.Tout au moins parle-t-on des communautés d’hommes, car les femmes qu’il a peintes, et les saintes en particulier, sont sensiblement plus rares dans les collections, galeries et musées européens et américains. Florence Delay, dans un essai bref et lumineux, Haute couture, fait revivre avec délicatesse et poésie l’image de ces bienheureuses femmes trop discrètement rappelées dans l’oeuvre du grand peintre espagnol.

 

HAUTE COUTURE DELAY

Moins nombreuses, peut-être, moins visibles, assurément, les saintes femmes existent pourtant bien, ces princesses, bergères ou martyres, nées du pinceau de Zurbarán, belles, fières et secrètes, touchantes et rayonnantes, parés d’atours somptueux et lumineux. Grâce des visages de femmes, chatoiement des robes, élégance des drapés, bigarrures des plis – « les hommes en blanc, les femmes en couleurs » – les représentations féminines de Zurbarán n’ont pas échappé au regard délicat et poétique de Florence Delay, dans ce tableau éblouissant comme un défilé de haute couture en plein Siècle d’or espagnol !

ZURBARAN
MBA 287 ; 44.R.102 (N° récolement) © Service photographique des Musées de Strasbourg, © PLISSON. Sainte Engracia, Zurbaran. 1635, 1640

Car c’est bien de vêtements dans la peinture du génie d’Estrémadure que veut nous parler l’académicienne, érudite et férue de culture hispanique, traductrice de Sor Juana Inès de la Cruz, de Pedro Calderón de la Barca, de García Lorca et José Bergamín, ainsi que de cette Célestine de Francisco de Rojas, donnée en 1989 au festival d’Avignon, mise en scène par Antoine Vitez et interprétée par Jeanne Moreau. Florence Delay a été très tôt fascinée par cette Espagne or et ciel (éditions Hermann, 2008), dont elle percevait déjà un peu de la lumière éclatante et vibrante depuis les plages voisines et atlantiques de son enfance basque.

ZURBARAN
Saint Elisabeth du Portugal. Ca. 1635.

Florence Delay nous emmène dans son panthéon muséal à la découverte d’une quinzaine de ces femmes, dont certaines vivaient toujours avec force dans la mémoire d’enfance de l’auteur et du millier de pages qu’elle avait lues de La Légende dorée de Jacques de Voragine. Vont ainsi se succéder dans le récit de Florence Delay d’angéliques et souveraines créatures, celles qui s’offrent au regard des visiteurs du musée des Beaux-Arts de Séville, du musée du Louvre, du Prado, de la National Gallery de Londres ou de Dublin, du Musée Fabre de Montpellier ou du Palazzo Bianco de Gênes. Portraits en pied de saintes et martyres représentées sous les traits de jeunes filles habillées de sublimes parures, portraits destinés à orner et enrichir les murs des couvents ou des églises d’Espagne ou des Amériques dont Séville, où travaillait le peintre, était la porte océanique.

Florence Delay ouvre ainsi le bal : « De jeunes saintes présentent à Séville un défilé de haute couture. Belles comme des Andalouses, yeux noirs, cheveux noirs, elles proposent des robes longues, avec ou sans cape, divers modèles de pourpoints, casaquins, camisole et basquines, secondes jupes que l’on porte sur les premières. La coupe des vêtements, l’élégance des taffetas, des soies brochées d’or et d’argent, l’audacieux choc des couleurs, violet sous jaune, lilas sur vert, carmins et citrons réunis, dalmatiques brodées de fleurs, châles agrafés par un bijou sur l’épaule, collerettes plissées, manches bouillonnantes, ceintures bouffantes, rubans qui s’envolent des chevelures, galons qui courent au bas des jupes, tout concourt à l’illusion d’une présentation de haute couture au Siècle d’or. » Et sous la plume flamboyante et lyrique de Florence Delay, il n’est « guère de différence entre le métier de poète et celui de brodeur. »

Sainte Casilde de Tolede
Casilde de Tolède a vécu en Espagne au xie siècle. Née peut-être vers 1050 et morte après sa conversion en 1075, elle est considérée comme une sainte par l’Église catholique.

Défilent successivement, en habit de gala, « dans l’infinie variation des formes et des couleurs de l’habit mondain », comme sur l’estrade d’un couturier qui s’appellerait Zurbarán, chacune de ces bienheureuses, revêtues de leur éblouissante et singulière parure – « une robe, une vie » -, Casilda de Tolède, baignée dans les eaux miraculeuses du lac du village de Saint Vincent de Bueso où la jeune fille, guérie d’un incurable mal, finit, reconnaissante, par se fixer en vie érémitique à Briviesca dans les faubourgs de Burgos, Élisabeth de Portugal, « exemple de la charité » qui, à l’insu de son royal géniteur, Pierre d’Aragon et de Sicile, sauve de la misère pauvres et chrétiens du royaume, Rosalie de Palerme, elle aussi, donnant du pain aux malheureuses et faméliques populations errantes autour du château familial, toutes « jeunes filles, jeunes femmes, désobéissant à l’autorité d’un père ou d’un époux au nom d’un élan irrépressible », Juste et Rufine, patronnes de Séville, refusant d’abjurer leur foi, écartelées sur ordre du préfet Diogènes, puis, nues, « torturées avec des crochets de fer », ongles arrachés, l’une morte de faim et de soif, l’autre livrée aux griffes et dents d’un lion qui recule miraculeusement au moment de la dévorer, et qu’on doit achever à coup de massue, Agathe aux seins coupés, Apolline aux dents arrachées, Catherine suppliciée sous la roue, Lucie de Syracuse aux yeux arrachés et d’autres encore, Marguerite d’Antioche, Euphémie de Chalcédoine, Eulalie de Mérida, Engrâce de Saragosse, Sainte Agnès retrouvée par Florence Delay dans le secret des Réserves du Louvre. Autant de très jeunes femmes bravant les interdits familiaux et religieux, refusant d’abjurer leur foi naissante et impérieuse, et porteuses dans leur posture des instruments de leur torture et martyre – roue dentée qui passe sur leur corps, épée qui les transperce, clou qui fracasse leur crâne, torche qui les brûle -. Autant de jeunes femmes arborant aussi les attributs de leur sainteté – palmes du martyre ou auréole nimbant leur tête -.

Toutes ces figures de haute vertu, Zurbarán leur fait l’hommage et la grâce de les vêtir de somptueuses et lumineuses parures à la manière d’un grand couturier. Comme cette Catherine d’Alexandrie, vision de princesse dans sa « robe turquoise –col montant haut corseté qu’entourent des colliers – [où] s’étale une volumineuse basquine jaune orangé. Les encolures de la robe et de la basquine sont brodées d’or et de perles. Deux rubans de taffetas rouge volettent dans son dos. La manche cousue aux crevés est d’un rouge plus franc. Au poignet, un gros bracelet rond en tissu s’accorde au bleu turquin de la robe. »
Zurbarán, fils de drapier, a tôt fait de rêver au pouvoir des étoffes et n’eut de cesse de représenter la figure de ces martyres, saintes et bienheureuses, dans la beauté de leur apparat et ainsi de leur « constituer une garde-robe céleste qui vaille pour l’éternité. […] Heureux d’habiller somptueusement les filles qui désirent le ciel. […] Les voilà donc prêtes à ressusciter et à entrer au paradis en habit de gala. »

Y a-t-il des « correspondances » entre les parures du Siècle d’or espagnol et celles du XXe siècle ? Florence Delay les découvre chez un autre maître qui enchanta lui aussi sa jeunesse et retrouva le chemin des étoffes et des couleurs tracé par Zurbarán : Cristóbal Balenciaga Eizaguirre, petit tailleur de Saint-Sébastien devenu grand et génial créateur de la mode contemporaine, un homme qui avait habillé sa mère, se souvient-elle. Au printemps 2013, une exposition sévillane des saintes de Zurbarán et des robes de Balenciaga fut le moment parfait pour rapprocher ces deux architectes du vêtement, aussi secrets et discrets l’un que l’autre, en un lien essentiel et définitif : « Francisco de Zurbarán y Cristóbal Balenciaga, vestuario para glorias del cielo y celebridades de la tierra. »

Le livre de Florence Delay ne dépasse pas cent pages. Sa brièveté, sa délicatesse et sa beauté en font un petit bijou de littérature.

Haute couture de Florence Delay, Gallimard, collection Blanche, 112 pages, 22 mars 2018, isbn 978-2-07-278886-4, prix : 12 euros.

Feuilleter le livre ici.

Francisco de Zurbaran, naît le 7 novembre 1598 à Fuente de Cantos en Estrémadure dans une famille de petits commerçants. Il entre en 1614 en apprentissage dans l’atelier du peintre sévillan Pedro Diaz de Villanueva.

En 1617, il s’installe à Llerena où il se marie, mais il ne reste rien de sa production de cette époque. A partir de 1626 il gagne Séville où, devenant un peintre apprécié des congrégations, il crée pour suivre les commandes, un important atelier. En 1634, il travaille à Madrid pour le nouveau palais du Buen Retiro de Philippe II, mais ne se sentant pas à l’aise dans ce style décoratif, il retourne à ses tableaux religieux. En 1644, il reconvertit son atelier pour une production de masse destinée à l’Espagne coloniale, mais vers 1653, son style étant passé de mode, il réalise surtout des oeuvres de petite taille pour chapelles et oratoires privés.

En 1664, appauvri, il meurt à Madrid dans une indifférence totale et son œuvre ne sera redécouverte qu’au XXe siècle grâce à de grandes rétrospectives, à New York, Paris et Madrid. Ses œuvres son visibles dans les musées du monde entier, mais aussi sur place à Séville et Madrid.

À lire: https://www.esmadrid.com/fr/agenda/balenciaga-peinture-espagnole-musee-national-thyssen-bornemisza

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