Les murs parlent parfois et révèlent beaucoup de leur propriétaire. En investissant la demeure de Nohant, propriété de George Sand, l’historienne Michelle Perrot, trace un portrait magnifique d’une écrivaine engagée dans son temps et citoyenne plus qu’auteure. Remarquable.

MICHELLE PERROT

Qu’aurait été l’œuvre de Flaubert sans sa maison du Croisset et son « gueuloir » ? L’œuvre de Victor Hugo aurait-elle été identique sans son exil à Jersey et Guernesey ? Pour l’historienne Michelle Perrot, qui avait dirigé le tome de L’histoire de la vie privée consacrée au 19e siècle, ces questions méritent d’être posées. Pourtant rien ne pouvait la prédisposer à ce qu’elle consacre un énorme travail, s’appuyant sur 24 volumes de correspondance, au diptyque indissociable Sand et Nohant, cette propriété du Berry, près de La Châtre, liée à jamais à l’œuvre et à la vie de l’auteure de La petite Fadette.

NOHANT SAND

« Fades », « insipides », l’écrivaine et son œuvre intéressaient peu l’historienne. Une visite sur place, son travail pour la collection de George Duby, une rencontre avec la petite fille de Sand la firent changer d’avis et naquit ainsi l’idée, non pas d’écrire une nouvelle biographie de Sand, mais un livre sur le lieu lui-même, un lieu qui raconte beaucoup plus que l’histoire des murs ou des paysages.

Notre vieille maison est un coin assez curieux, où l’on a réussi, pendant 30 ans, à vivre en dehors de toute convention et à être artiste pour soi, sans se donner en spectacle au monde.

GEORGE SAND A NOHANT
George Sand 1804 – 1876

Ainsi peut-on résumer ce que fut la vie de la maîtresse de Musset et Chopin dans cette propriété gigantesque de 200 hectares, héritée de sa grand-mère et conservée après le divorce d’avec son premier époux. Nohant occupa presque toute l’énergie, pendant le jour, de l’écrivaine qui se consacre à l’écriture la nuit durant, par souci de tranquillité, mais aussi pour générer des revenus indispensables à l’entretien pour de cette propriété trop grande, trop dispendieuse pour cette femme peu intéressée par les « comptes ». Des centaines d’invités de passage pour quelques jours ou quelques semaines, de Flaubert à Liszt, de Dumas fils à Tourgueniev, font 3 jours de voyage, avant la révolution du chemin de fer, pour arriver à Nohant. Une quinzaine d’employés de maison, des rénovations permanentes, tout cela a un coût et constituent un véritable casse-tête quotidien pour une créatrice qui conçoit avant tout Nohant comme un lieu de création, une maison d’artiste, un lieu de spectacle ouvert aux intellectuels, mais aussi aux paysans de la région, aux voisins, aux habitants de la Châtre à qui l’on propose des lectures et des premières représentations de pièces de théâtre tout juste créées.

GEORGE SAND A NOHANT

Le mérite de ce remarquable ouvrage, d’une grande érudition, jamais ennuyeuse, est de quitter les hautes sphères de la création, jamais évoquées, pour montrer en creux, par de simples préoccupations matérielles, l’originalité d’une femme, hors norme dans son temps, soucieuse de liberté féminine, de culture offerte au plu grand nombre, de rapports avec ses fermiers qu’elle ne souhaite pas traiter comme des servants, mais comme des interlocuteurs qui ne lui rendent cependant pas toute sa confiance. Au long d’un ouvrage scindé en trois parties, les lieux (manoir, jardin, terre), les gens (époux, enfants, amants, amis) et le temps (la météo, mais aussi le passage du temps : la vieillesse, la maladie), c’est bien le portrait d’une femme engagée qui apparait tout en subtilité.

Véritable phalanstère, Nohant devient un lieu vivant, où les domestiques volent la propriétaire, où l’on fait chambre à part, où l’on apprend à lire, mais aussi et surtout un lieu qu’Aurore Dupin, devenue George Sand, souhaite expérimental intellectuellement et affectivement. Comme dans le rêve de tout idéal, les déceptions et les contradictions sont nombreuses : le rapport aux domestiques est ambigu, le traitement de la nature partagé entre le maintien de tous les arbres et la volonté de dégager des « vues », les concessions faites à l’argent laissent l’écrivaine souvent insatisfaite. Le rêve et la réalité se télescopent souvent, mais George Sand, parfois déstabilisée, n’abandonne jamais. En marge, apparait également une véritable chronique paysanne de la vie dans le Centre de la France dans la première partie du XIXe siècle, dont le mode de vie va être bouleversé par l’arrivée du chemin de fer qui rapprochera Paris de Nohant à huit heures de voyage.

Finalement l’impression première de Michelle Perrot était la bonne : l’oeuvre écrite de George Sand marquée par le Berry à qui elle emprunte des contes et légendes est appelée à s’effacer progressivement. Par contre le portrait d’une femme libre, indépendante, républicaine, sociale, soucieuse des droits civils des femmes, s’impose de plus en plus, révélée par un lieu plus grand que son oeuvre. En ce sens ce livre passionnant est essentiel.

George Sand à Nohant de Michelle Perrot. Collection La Librairie du XXI ème siècle. Le Seuil. 440 pages. 24€.

Une lettre
Je ne vaux pas grand-chose et c’est à Nohant que je vaux tout ce que je peux valoir, là, les soins domestiques, les occupations de la campagne que j’aime de passion comme tout ce que j’aime, me suffisent et m’absorbent entièrement. Je me fatigue tout le jour et je dors la nuit, je me porte bien et je suis heureuse, mais qu’on me sorte de là, et je ne suis plus bonne à rien.

George Sand
Nohant, 26 juin 1826.

 

Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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