Il y a comme une ambiance de cathédrale. Un public de tous âges a répondu avec ferveur à l’invitation d’une artiste avec laquelle il a tissé des relations d’une affection aussi réelle que sincère. Jane Birkin, qui n’a rien perdu de son émouvante fragilité, s’apprête à faire revivre, accompagnée par l’OSB, au long des vingt chansons de ce Gainsbourg Symphonique, le chanteur et musicien le plus créatif et iconoclaste des années 70-80 et même bien avant. C’était à Rennes mardi 7 février au Liberté et, dans les jours qui viennent, à Vitré, Vannes et Brest.

 

En filigrane, apparaissait, pourvu que l’on veuille un instant fermer les yeux, un visage énigmatique, embué pour l’éternité, dans les volutes de fumée d’une gitane, celui de Serge Gainsbourg. Il tient entre ses doigts ce petit tube d’un délicieux poison qui l’a, beaucoup trop tôt, emmené dans un monde qu’on appelle « autre » et parfois « meilleur ». De là, il a dû observer avec émotion sa compagne de tant d’années nous offrir un voyage douloureux, peuplé d’images étranges, de Melody Nelson et d’un homme à la tête de choux.

Jane Birkin est restée, malgré le poids de « quelques années en plus », une intemporelle jeune fille, timide et facétieuse, souriant de manière complice à un public tout acquis à sa cause. Sa voix, malgré une mauvaise angine, reste toujours la même : perchée dans des aigus parfois périlleux, un peu confidentielle ; mais cela n’a rien d’une nouveauté pour ceux qui la connaissent. Toujours le même et attachant petit accent Anglais, cette nonchalance amusée qui la fait arriver sur scène vêtue d’un smoking un peu trop grand, de baskets mauves, image de complicité qui donnerait envie d’en oublier Jeanne d’Arc. Son entrée sur scène cause un soupçon d’inquiétude, l’Orchestre symphonique de Bretagne en jouant couvre un peu sa voix et rend peu compréhensibles les paroles de la première chanson, mais, miracle de la technique, un réglage adéquat expédie, sur un air de tango, ce léger inconvénient au chapitre des petits riens.

« Lost song », renvoie le public au thème récurent des chansons de la rupture. Dans les paroles de cette chanson comme de celles qui suivront s’inscrit la tristesse de la séparation, comme l’exaltation de ce qui construit un amour vrai, un amour éternel. Malgré, « Le temps assassin », mais aussi la constatation que « L’amour physique est sans issue » la profondeur du sentiment qui lie deux âmes est racontée par des mots simples qui touchent de plein fouet une assistance tentant en pure perte de dissimuler l’émotion qui la submerge. L’introduction basée sur les pages de la troisième symphonie de Brahms, pour la chanson de 1983 « Baby alone in Babylon », confirme la victoire de Jane Birkin : elle nous transforme tous en « Aquoiboniste », car à quoi bon lutter quand le plaisir est si évident. Avec « La ballade de Johnny Jane » pourvu qu’on veuille en écouter attentivement les paroles, Serge Gainsbourg adresse un message des plus clairs :

 Hey Johnny Jane,
 toi qui traînes tes baskets et tes yeux candides
dans les no man’s land et les lieux sordides,
 hey Johnny Jane,
écrase d’un poing rageur ton œil humide,
le temps ronge l’amour comme l’acide.

L’OSB est totalement à l’aise face aux arrangements du pianiste « Nobu », le Japonais Nobuyuki Nakajima, répond sans coup férir aux gestes efficaces de son chef invité, Didier Benedetti, déjà croisé quelques fois sur la scène rennaise. Il offre même quelques instants de pure beauté, notamment avec l’introduction pleine d’émotion proposée par Olivier Lacour et son violoncelle ; il distille dans un silence religieux des notes graves et mélodieuses. Il est relayé quelques instants plus tard par un Anatol Karaev en état de grâce, étonnant de précision au violon, qui entame un dialogue avec Jane Birkin, avant de recevoir, presque avec gêne, les ovations d’un public émerveillé. Jane chante à cet instant qu’elle a reçu le meilleur de Serge ; il s’avère impossible de ne pas la croire ! Irving  Legros et son cor anglais ne seront pas en reste, ponctuant la chanson de Prévert des sonorités sensuelles que permet son instrument.

Ne pas évoquer le plus poétique des disques de Serge Gainsbourg, « La complainte de Mélody Nelson », eut été une faute de goût que Jane Birkin a évité en interprétant le troisième titre du mythique album-concept de 1971 « La valse de Mélody ». Nous en aurions bien repris un peu ! Tout dans ce concert a été marqué par l’émotion que provoquent des retrouvailles. Du « requiem pour un con » aux sonorités « jazzy », en passant par les allitérations divertissantes de « Exercice en forme de Z » sur fond de big band à l’américaine sans oublier, bien sûr, les touches plus intimistes des titres « Les dessous chics » ou « Pull Marine », Jane Birkin a réveillé en nous des images pas vraiment endormies, celles d’un Serge Gainsbourg allumant ses cigarettes avec un billet de cinq cents francs, s’amusant du fond de son éternité des bonnes blagues qu’il aimait à nous jouer. Ces facéties ne suffiront pas à effacer le souvenir d’un homme écorché vif, sensible au-delà de ce qui est permis et surtout profondément humain. Jane Birkin nous a fait bien d’autres cadeaux : elle est la mère de la délicate Charlotte Gainsbourg, de la délicieuse Lou Doillon, lesquelles auraient bien du mal à renier leurs origines, mais aussi de la regrettée, Kate Barry, leur sœur aînée, tragiquement disparue en décembre 2013. Serge Gainsbourg, de son côté, en plus d’être le père ô combien attentif de Charlotte, nous a laissé « Lulu », autrement dit son fils Lucien, auteur et arrangeur aux succès déjà reconnus.

Décidément, la marque de cette famille hors du commun semble être le talent. Le public rennais ne s’y est pas trompé en offrant à la chanteuse et à l’Orchestre symphonique de Bretagne une chaleureuse « standing ovation ». Au milieu de la foule, Alan Stivell, le fameux barde et harpiste breton, n’était pas le moins enthousiaste.

La tournée de l’OSB continue dans les jours à venir avec Vitré le jeudi 9 au centre culturel Jacques Duhamel, le vendredi 10 au Quartz, à Brest, et le samedi 11 à Vannes, au théâtre Anne de Bretagne.

Notre conseil… ne ratez pas ce Gainsbourg symphonique, vous verrez que la nostalgie a parfois du bon…

Gainsbourg Symphonique




Orchestre Symphonique de Bretagne 
Direction : Didier Benetti
Avec Jane Birkin
Piano : Nobuyuki Nakajima
Directeur artistique : Philippe Lerichomme

CALENDRIER
MARDI 7 FÉVRIER
Nouveaux Horizons #2 – Gainsbourg Symphonie de 20 h à 22 h
Rennes

JEUDI 9 FÉVRIER
Nouveaux Horizons #2 – Gainsbourg Symphonie de 20 h 30 à 22 h 30
Vitré

VENDREDI 10 FÉVRIER
Nouveaux Horizons #2 – Gainsbourg Symphonie de 20 h 30 à 22 h 30
Brest SAMEDI 11 FÉVRIER
Nouveaux Horizons #2 – Gainsbourg Symphonie de 20 h à 22 h
Vannes

osb

Ce concert bénéficie du soutien de la Fondation d’entreprise Banque Populaire de l’Ouest

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