gabrielle goliath

En cette fin de mois international des droits des femmes, Unidivers vous présente l’installation sonore This song is for… vol. 1 de l’artiste pluridisciplinaire sud-africaine Gabrielle Goliath, œuvre acquise par le Frac Bretagne et visible entre ses murs jusqu’au 19 mai 2024. Dans cette installation sonore immersive et interactive, six femmes qui ont subi un viol parlent de leur expérience de guérison. L’article qui suit, ainsi que l’œuvre, impliquent un contenu sensible.

Une fois les marches du Frac Bretagne qui mènent aux salles d’exposition gravies, direction la plus petite. Le public est invité à entrer par la gauche. À l’intérieur, les murs ont été peints en violet et trônent six lecteurs vinyles qui attendent d’être mis en marche. Aux côtés des machines, six textes au mur dont l’en-tête est identique : « This Song is for… ». Des poufs gris clair posés çà et là invitent le public à s’installer. Le Frac Bretagne présente jusqu’au 19 mai 2024 une œuvre de sa collection acquise en 2022 : This song is for… vol 1 de Gabrielle Goliath. Cet ensemble est une déclinaison de l’installation vidéo et sonore de l’artiste intitulée This song is for… (2019) pour laquelle elle a obtenu le prix Standard Bank Young Artist.

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Violet. La couleur choisie met la puce à l’oreille quant au sujet traité entre ces murs. Couleur spirituelle et mystérieuse, elle est aussi depuis les années 70 la couleur traditionnelle des luttes féministes, mais son utilisation remonte bien avant, au XIXe siècle. Les suffragettes, militantes du Women’s Social and Political Union, s’éloignent des couleurs pastels et douces attribuées aux femmes par défaut et choisissent cette couleur par provocation. Lors des premiers mouvements de femmes qui réclamaient le droit de vote, au début du même siècle, il était déjà présent en Angleterre et aux États-Unis. Des rubans violets étaient épinglés à leurs vêtements. Le violet est aussi la couleur de l’égalité puisqu’il est le mélange du rose bonbon et du bleu. Soit. La thématique s’éclaircit dans notre esprit, mais pour qui est cette chanson ?

Dans son installation, Gabrielle Goliath détourne et revisite la forme populaire de la chanson de dédicace, en collaboration avec un groupe de femmes ayant survécu à un viol et des ensembles musicaux dirigés par des personnes queer. L’installation The Song is for… vol 1 est composée de six textes écrits et autant de musiques diffusées sur des platines vinyles. Récit, lettre ou poème, les formes varient, mais chacune dévoile dans un texte personnel leur expérience de guérison. Chaque témoignage est accompagné d’une chanson qui a été réinterprétée sous la forme d’une reprise par l’ensemble musical.

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Start. Le lecteur vinyle se met en marche, le disque se met à tourner. La lecture commence au rythme du morceau. Le lecteur lit, l’auditeur écoute. La musique se fait accompagnatrice de l’expérience. Ces chansons ont une signification particulière pour les survivantes, elles les transportent dans un temps et un lieu précis, évoquant un monde sensoriel de souvenirs et de sentiments. À un moment, le disque s’enraye, les notes butent et se répètent. Cette rupture sonore reflète la rupture mentale vécue par les six victimes. Cette perturbation, c’est l’incapacité à aller de l’avant, hantée et bloquée par les souvenirs traumatiques. Comme une métaphore, elle représente les survivantes qui tentent de reprendre leur vie marquée à jamais. Par cette interruption anormale, le public est projeté dans l’esprit des survivantes et dans leur mal-être, mais il ne peut en effleurer que les contours. L’ensemble prend aux tripes et bouleverse « Les gens ne comprennent pas le traumatisme causé par un viol ». L’une d’entre elles compare la blessure à une tache qui s’affiche quotidiennement, qu’on a beau gratter, elle refuse de disparaître. « Certain.es me disent que ça fait cinq ans, que je devrais passer à autre chose !  »  

La pratique artistique de Gabrielle Goliath s’inscrit dans des contextes marqués par les traces et les traumatismes du colonialisme et de l’apartheid. The song is for… reflète sa sensibilité et son engagement pour la situation des femmes, des personnes queer ou vulnérables, particulièrement bafouées dans son pays (Afrique du Sud) où la violence est omniprésente. Selon les chiffres officiels sur la criminalité publiés en novembre 2022, toutes les formes de violences fondées sur le genre ont augmenté par rapport à la même période de 2021. Les féminicides ont connu une hausse de 10,3 % : rien qu’entre juillet et septembre, 989 femmes ont été tuées. Le nombre d’infractions sexuelles a augmenté de 11 %, et celui des viols de 10,8 %. (source)

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« À mon violeur ». Sous forme de lettre, la victime s’adresse directement à son bourreau. L’anxiété, le doute, la culpabilité, l’horreur, la dépression et la peur se lisent entre les lignes de tous les textes, mais aussi la foi, la force, l’espoir et le courage de ces femmes qui se sont relevées. Jusqu’à parvenir à la guérison. « Je veux que tu saches que tu ne m’as pas brisé, que je suis toujours debout. » ; « Il faut se battre pour la vie. » ; « Aux femmes : arrosez vos jardins et fertilisez cette blessure incurable avec votre amour-propre. »

This Song is for… vol 1 de Gabrielle Goliath est une œuvre magistrale et poignante d’intérêt général que le Frac Bretagne peut être fier de présenter entre ses murs. Ces chansons sont pour toutes les femmes qui ont besoin de les entendre.

Jusqu’au 19 mai 2024, This Song is for… vol 1 de Gabrielle Goliath, au Frac Bretagne

19 avenue André Mussat, Rennes 35011.

Mardi – dimanche, 12:00 – 19:00 / fermé le lundi, 25.12, 01.01, 01.05

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