Dans son premier long-métrage en tant que réalisatrice, Greta Gerwig magnifie le « coming of age » d’une adolescente, Christine, qui préfère se faire surnommer « Lady Bird ». Avec une pudeur et une délicatesse admirables, elle poursuit ainsi la réflexion affective amorcée en 2012 avec Frances Ha.

Lady Bird

Lady Bird se présente d’emblée comme le nouveau parangon d’un genre emblématique du cinéma américain : le coming of age movie, dont on pourrait peut-être faire remonter l’histoire à La Fureur de vivre, et dont Boyhood de Richard Linklater constituait l’un des exemples récents les plus éclatants et les plus originaux. Comme dans ces illustres exemples, il s’agira donc, dans Lady Bird, de raconter ce moment-charnière que constitue le passage de l’adolescence à l’âge adulte ; et comme ses prédécesseurs, Greta Gerwig sait se saisir des codes du genre pour mieux en faire le lieu d’un récit personnel et original.

lady bird

Le scénario ne comporte pas d’« intrigue » à proprement parler : Greta Gerwig préfère procéder à divers éclairages sur la dernière année passée au lycée par son personnage. Toutes les pistes narratives (la relation de Christine à sa mère, sa quête de l’amour, son désir d’aller étudier à New York, etc.) sont in fine reconduites au seul et unique « devenir-adulte » de Lady Bird, à la quête d’indépendance que signifie sans détour le surnom qu’elle s’est choisi. Au premier abord, ce personnage n’a rien d’héroïque : Lady Bird ressemble bien plutôt à tous ces adolescents et adolescentes qui se rêvent en grand rebelles, mais dont la révolution se limite, en fin de compte, au choix d’une couleur de cheveux excentrique. Aussi le petit numéro de rebelle joué par Christine chez elle s’arrête-t-il sans attendre dès qu’il faut impressionner les têtes de gondole du lycée. En fait, si Lady Bird peut apparaître comme extraordinaire au spectateur, c’est par l’énergie folle qu’elle investit au service de son souhait le plus ardent : devenir indépendante. De son point de vue, les moindres enjeux de son coming of age semblent revêtir une importance décisive. Il y a, dans le film, une sorte d’héroïsme de l’ordinaire, rendu d’autant plus touchant par son côté illusoire.

film lady bird

Ce moment-charnière constitue pour Greta Gerwig une occasion privilégiée, après Frances Ha (film réalisé en 2012 par Noah Baumbach, dont elle était à la fois la coscénariste et l’actrice principale), pour interroger la complexité des rapports sociaux et affectifs qui lient ses personnages. Comme dans ce dernier film, les relations amoureuses du personnage principal se soldent par des échecs au profit d’une forme d’affection plus durable et plus authentique, libérée des fantasmes liés à l’amour qu’incarne bien le pathétique personnage de Kyle (Timothée Chalamet, une nouvelle fois prometteur ici dans ce rôle de faux James Dean) : l’amitié, partagée avant tout avec Julie, et dans laquelle se résorbe également la relation de Christine avec Danny. Et plus généralement, on pourrait dire que Lady Bird privilégie l’amour à l’Amour, l’affection à la passion. C’est ce dont témoigne le traitement des relations entre Christine et ses parents : si la jeune fille est spontanément plus proche de son père, qui n’hésite pas à se sacrifier pour lui permettre de faire les études dont elle rêve, elle entretient en revanche des rapports plus délicats avec sa mère, qui n’hésite pas à la bousculer lorsqu’elle exprime ses désirs d’ailleurs et de grandeur. Seulement, au bout de différentes étapes, mère et fille finiront par se dire leur attachement ; mais là encore, tout passe par des voies de communication indirecte (une lettre qui n’aurait pas dû parvenir à sa destinataire, un message vocal laissé sur répondeur…), comme si l’affection, pour ne pas se perdre, devait rester pudique et prudente. C’est ainsi que, en fin de compte, l’envol de l’oiseau lui servira paradoxalement à accepter le nid où il fut nourri.

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Cela dit, la justesse émotive et psychologique de Lady Bird  ne doit pas pour autant masquer le formidable sens de l’autodérision déployé dans le film, qui, sur ce point, n’est pas sans évoquer le Woody Allen des années 1970, et n’est pas pour peu dans l’impression de réenchantement qu’il suscite. Sous le regard de Gerwig, toute situation banale, déjà vécue par tous les spectateurs, peut soudainement révéler un potentiel affectif et humoristique nouveau. Sur ce point, le film doit aussi beaucoup à la qualité de son interprète principale, Saoirse Ronan, qui confirme ici définitivement les espoirs placés en elle depuis plusieurs années.

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« L’amour et l’attention : n’est-ce pas la même chose ? », demande une religieuse du lycée à l’héroïne, vers le milieu du film. L’équivalence ici posée qualifie à merveille le regard enchanteur et nostalgique (à l’image de ce format analogique) posé par Greta Gerwig sur un passé dont elle vise à montrer la gloire modique, mais bien réelle : filmer avec tendresse ce qui semblait anodin, n’est-ce pas le comble de l’attention ?

https://youtu.be/DtbYKBcORe8

Titre original : Lady Bird
Réalisation et scénario : Greta Gerwig
Musique : Jon Brion
Photographie : Sam Levy
Montage : Nick Houy
Production : Scott Rudin, Eli Bush et Evelyn O’Neil
Durée : 93 minutes
Sortie France : 28 février 2018
Saoirse Ronan : Christine « Lady Bird » McPherson
Laurie Metcalf : Marion McPherson
Tracy Letts : Larry McPherson
Lucas Hedges : Danny O’Neill
Timothée Chalamet : Kyle
Beanie Feldstein : Julie Steffans
Stephen McKinley Henderson : Père Leviatch
Lois Smith : Sœur Sarah Joan
Kristen Cloke : Mme Steffans
Laura Marano : Diana Glass
Jordan Rodrigues : Miguel McPherson
John Karna (VQ : Gabriel Lessard) : Greg Anrue
Odeya Rush : Jenna Walton
Jake McDorman : M. Bruno
Kathryn Newton : Darlene
Andy Buckley : Oncle Matthew
Danielle Macdonald : une jeune fille
Marielle Scott : Shelly Yuhan
Bayne Gibby (VF : Ethel Houbiers) : Casey Kelly

Valentin Denis
Normalien (ULM) et étudiant en philosophie, Valentin Denis est notamment passionné par le 7e art et la musique.

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