Destroyer est un film réalisé par Karyn Kusama (Aeon Flux, Girlfight) avec Nicole Kidman, Sebastian Stan et Toby Kebbell. Troisième collaboration avec les scénaristes Matt Manfredi et Phil Hay (qui est aussi producteur sur le film), ce long-métrage souffre de sérieux problèmes narratifs. Mi-thriller policier, mi-drame intime, Destroyer ne choisit jamais réellement son genre et se prend donc fatalement les pieds dans les deux. Analyse (avec spoilers mineurs).

Jeune détective de la police de Los Angeles, Erin Bell (Nicole Kidman) infiltre un gang de braqueurs, mais sa mission se termina de façon tragique. Des années plus tard, Erin est une femme détruite et isolée. Elle tente sans succès de renouer contact avec sa fille qu’elle a trop longtemps délaissée et qui la rejette. Lorsque le chef de la bande refait surface, Erin va reprendre l’enquête pour comprendre les événements qui ont conduit au drame, pour apaiser ses démons intérieurs et finalement régler ses comptes avec celui qui l’a anéantie.

DESTROYER KIDMAN KUSAMA

Le film Destroyer s’ouvre sur l’arrivée du détective Erin Bell (Kidman) sur une scène de crime. Vieille flic blasée, elle mène l’enquête seule, ne fait confiance à aucun de ses collègues. En parallèle, le spectateur assiste à des scènes plutôt touchantes où elle tente de renouer des liens avec sa fille. On comprend que le meurtre est lié à un criminel ressurgi de son passé, alors qu’elle était infiltrée dans un gang de braqueurs, 17 ans plus tôt. Destroyer comporte plusieurs flash-back, alternant son enquête dans le présent et son infiltration passée. Il est révélé à la toute fin que l’ensemble du récit dans le « présent » avait en fait lieu quelques jours avant la première scène. Ce que l’on pensait être les conséquences de cette scène de crime est donc finalement la suite d’événements qui y a mené…

DESTROYER KIDMAN KUSAMA

Narrativement, ce twist n’a aucune espèce d’utilité. Il n’apporte rien au développement du personnage et ne nous aide pas à mieux la comprendre. C’est même assez dérangeant, car ce grand moment où Bell affrontera enfin son passé que l’on attend pendant tout le film, on l’a finalement déjà vu sans le savoir. La tension retombe comme un soufflé raté. C’est en revanche assez symptomatique des problèmes de structures que rencontre Destroyer. Il en va ainsi plus tard d’un flashback où un personnage joue à la roulette russe. La scène devrait être tendue, mais on ne se demande jamais « Va-t-il survivre ? », car une scène plus tôt, dans le présent, on voit Bell prendre sa voiture pour aller le voir.

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On apprend au bout d’une heure et demie que c’est la mort de son partenaire (interprété par Sebastian Stan) lors de sa mission sous couverture qui hante Bell depuis toute ces années. Premièrement, il est problématique narrativement que le drame formateur du personnage nous soit montré si tard dans le récit, car cela nuit à notre implication émotionnelle. On ne comprend pas sa défiance vis-à-vis de ses collègues ou pourquoi elle agit de façon si inconsidérée. Deuxièmement, cette mort n’explique absolument pas son comportement. Ses collègues n’étaient pas responsables, et dans l’absolu, elle non plus. Elle n’a aucune raison de ne pas parler à son partenaire de la police de L.A., de ne faire confiance à personne. Ici aussi, la narration non linéaire nuit à la structure du récit, donc à l’émotion produite. Comme on ne passe jamais plus de deux minutes dans ces flash-back, on n’a pas le temps de réellement s’investir dans la relation entre Kidman et Stan. La mort de ce dernier n’a donc pas du tout l’effet escompté.

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En outre, pour motivée par la vengeance qu’Erin Bell soit, certaines de ses actions sont simplement illogiques, et ce parce qu’elle est présentée dès le début comme policière en service. Ainsi, quand elle va de sa propre initiative interroger un suspect, mener son enquête, sans en référer à personne… Elle le fait sans réelle raison. En revanche, tout cela ferait sens si elle n’avait plus son badge. Les mêmes scènes seraient subitement beaucoup plus tendues, et le personnage serait beaucoup plus engageant. Son statut de policière apporte plus d’incohérences qu’il ne résout de problèmes dans le scénario. Alors, pourquoi l’avoir gardé ?

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La réalisation est à la limite du passable. Certains personnages apparaissent soudainement dans une pièce, les scènes sont bourrées de faux-raccords (un verre vide qui se remplit d’un champ à un contrechamp, et vide à nouveau sur le plan suivant), l’action est très mal cadrée et montée… Les scènes censées être intenses pour le personnage sont systématiquement filmées de la même façon, avec la même musique très démonstrative pour nous signifier quelle émotion ressentir.

DESTROYER KIDMAN KUSAMAIl convient de saluer la volonté de Nicole Kidman qui voulait impérativement participer au projet. Souhaitant soutenir Kusama en tant que femme réalisatrice, elle lui a accordé toute sa confiance, et par extension, aux scénaristes et producteurs. Ainsi, le projet est porté par une réalisatrice expérimentée, des scénaristes avec qui elle a l’habitude de travailler, entièrement soutenus par une actrice star, le tout pour un budget modique donc sans réelle interférence des studios. Les échecs du film ne sont pas dus à des producteurs démiurges qui ont voulu refaçonner le film par crainte de ne pas revoir leur investissement. Destroyer est un film entièrement maîtrisé, mais par des personnes bien peu compétentes.

DESTROYER KIDMAN KUSAMA

Destroyer un film de Karyn Kusama. Avec Nicole Kidman, Toby Kebbell, Tatiana Maslany, Sebastian Stan, Scoot McNairy. Date de sortie au cinéma : 20 février 2019.

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