À l’occasion du 50e anniversaire de mai 68, les Archives nationales organisent sur leurs deux sites, à Paris et à Pierrefitte-sur-Seine, une exposition présentant les événements de mai-juin 1968 vus par le pouvoir en place.

10 millions de grévistes, une jeunesse dans la rue, un service public à l’arrêt, une économie paralysée : l’État fait face à une crise sociale majeure qui menace de le déstabiliser. L’ensemble du territoire national est concerné, tous les secteurs d’activité sont touchés. La Présidence de la République, les membres du gouvernement, les agents des administrations centrales, la Cour de sûreté de l’État sont autant d’exemples de figures et de lieux d’autorité qui cherchent alors à endiguer la contestation, à assurer la permanence de l’État.

Que faire ? Par quels canaux ? Et comment par la suite adapter les institutions pour prévenir tout mouvement d’ampleur similaire ? C’est au travers de documents d’archives en grande partie inédits que l’exposition 68, les archives du pouvoir invite ainsi à découvrir 68 depuis l’autre côté de la barricade, depuis les bureaux de l’administration, de la préfecture ou du pouvoir exécutif.

Ce parti-pris assumé ne vise pas à raconter une nouvelle histoire de 68, à se superposer aux récits précédents : l’exposition souhaite au contraire, en tenant compte des renouvellements historiographiques, contribuer à la polyphonie des événements de 1968. L’objectif est avant tout citoyen : il s’agit de montrer comment le patrimoine archivistique de la Nation française peut expliquer et donner à voir les mécanismes d’un État en difficulté.

En effet, outre le 50e anniversaire des événements, 2018 marque également l’ouverture de la majorité des archives des services de l’État encore non librement communicables (selon le Code du patrimoine). En réalité, la commémoration n’est pas seulement une opportunité : elle est également ouverture à la Nation de ses archives.

Cette mise à disposition se donne tout particulièrement à voir dans la salle de lecture éphémère de reproductions de dossiers d’archives mise en place dans les jardins de l’hôtel de Soubise et sur la salle des inventaires virtuelle des Archives nationales. Est notamment publié et mis en ligne l’inventaire des dossiers de procédure et scellés liés aux mouvements d’extrême gauche poursuivis par la Cour de sûreté de l’État. Cet inventaire sera accompagné d’une numérisation sélective de scellés (837 documents).

expo mai 68

Cette exposition se tient du 3 mai au 22 septembre 2018 sur les deux sites des Archives nationales (hôtel de Soubise à Paris et à Pierrefitte-sur-Seine). Le commissariat scientifique est assuré par Philippe Artières, directeur de recherches au CNRS, et Emmanuelle Giry, conservatrice du patrimoine aux Archives nationales ; le commissariat technique par Éric Landgraf et Christophe Barret, chargés d’exposition.

expo mai 68

Le parcours de l’exposition

1968 s’éloigne, pourtant 1968 résiste. Des souvenirs, des commémorations, ont participé à la fabrique d’une solide mémoire polymorphe de cet événement au point qu’elle est désormais indissociable de l’histoire de l’événement lui-même. Mai-juin 1968 s’est étendu jusqu’à notre présent. Les traces de 68 forment ainsi un colossal monument de papiers qui occupe de nombreux rayonnages de multiples institutions patrimoniales.

Aujourd’hui, « d’autres archives » s’ouvrent progressivement, dont celles du gouvernement. Ces archives du pouvoir sont l’autre mémoire de l’événement. Celles-là sont tout aussi considérables en termes de masse, voire plus importantes encore, tant les événements imposèrent une mobilisation de tous les services d’État. Il n’est pas un ministère, un secrétariat d’État qui ne fut sur la brèche. En outre, les grèves dans la fonction publique et au sein même des administrations furent déterminantes. Cette autre mémoire de 68 n’a pas qu’une seule voix. Il y a bien sûr celles du général de Gaulle et de ses proches collaborateurs, celle de Georges Pompidou, son Premier ministre. Mais ce qui frappe à l’ouverture des liasses est l’extraordinaire foisonnement de ces archives : des multiples manières de documenter ce qui se passait aux prises de décision en passant par l’élaboration de stratégies de riposte répressives ou démocratiques. Ces centaines de mètres linéaires d’archives permettent de mesurer la contestation à travers les réponses politiques exigées.

On voit comment un gouvernement réagit à une grève générale, s’efforce de fonctionner en dépit de cette situation, et ce qu’il invente. Ces archives ne contiennent donc que peu de secrets, mais lèvent des malentendus. Il ne s’agit pas de minorer la contestation et la fragilisation du pouvoir, mais de les éclairer à travers le regard que le dernier porta sur les événements.

Cette exposition ne donne donc pas à lire « la vérité » sur 68 : elle déplie de façon chronologique les archives du pouvoir, comme on découvre au fur et à mesure de la bataille la carte des opérations donnant à voir les hypothèses envisagées, celles écartées, celles décidées mais non réalisées. En somme, la chronique singulière d’un État en crise au travail.

L’exposition s’articule en quatre parties :

Site de Paris

– « Mai 68 au jour le jour » (rue des Francs-Bourgeois, site de Paris)
Tout comme le mouvement dont elles sont la trace, les archives de 68 s’exposent dans la rue. Une palissade dressée devant l’entrée du site parisien des Archives nationales accueille, jour après jour, des reproductions de documents, interpellant le passant.

– « Les années 68 » (cour de l’hôtel de Soubise, site de Paris)
Une salle de lecture éphémère de reproductions de documents d’archives et des tirages d’affiches permettent d’appréhender le contexte international, social et institutionnel de cette décennie 1960-1970. L’installation se révèle un apprentissage citoyen expérimental des sources et notamment de ces sources spécifiques que sont les dossiers d’archives produites par l’État.

– « Images de la répression », « L’année 1968 : l’autorité en crise » et « Images de l’autorité » (salle des gardes, site de Paris)
À l’intérieur de l’hôtel de Soubise, le visiteur découvre le déploiement de la marche de l’État au cours de cette période mouvementée : les parties « Figures de la répression », consacrée aux forces de l’ordre, « L’année 1968 : l’autorité en crise » et « Images de l’autorité » présentent, en dépit des soubresauts, les moyens de la continuité de l’État durant cette période. L’organisation chronologique du parcours au sein du musée, autour des grandes dates du printemps et de l’été 68, donne les clés pour comprendre les rouages administratifs à l’œuvre.

Site de Pierrefitte-sur-Seine

– « Les voix de la contestation » (salle d’exposition du site de Pierreffite-sur-Seine)
Contrepoint essentiel à ce déploiement des moyens de la marche de l’État, le site de Pierrefitte-sur- Seine des Archives nationales présente « Les voix de la contestation ». Les militants ou les organisations contestataires, notamment la gauche extra-parlementaire, sont l’objet de saisies par l’État (personnels du ministère de l’Intérieur ou cour de Sûreté de l’État). Les Archives nationales conservent ce matériau inédit qu’elles présentent pour la première fois. Ces sources uniques invitent à la déconstruction des récits et à la restitution aux événements de leur polyphonie.

expo mai 68

L’autorité en crise

13-14 février

La réforme des règlements universitaires à l’œuvre au sein du ministère de l’Éducation nationale dirigé par Alain Peyrefitte suscite une forte contestation étudiante. Les 13 et 14 février 1968 des manifestations étudiantes se déroulent dans toute la France : les pouvoirs publics sont déjà particulièrement attentifs à cette agitation. Un des lieux de la contestation est la faculté de Nanterre, où des étudiants occupent le bâtiment administratif le 22 mars 1968. Les principales figures de cette action sont convoquées devant le Conseil de discipline de l’Université de Paris pour le 6 mai 1968.

expo mai 68

3 mai

L’évacuation par les forces de l’ordre de la Sorbonne le 3 mai 1968 et les interpellations qui suivent suscitent l’indignation conjointe des étudiants et de l’opinion publique. Le Quartier latin devient le lieu de manifestations et de défilés appelant à l’amnistie des étudiants et à la réouverture de la Sorbonne. Dans la nuit du 10 au 11 mai, des barricades s’élèvent. Le Premier ministre Georges Pompidou a beau annoncer le 11 mai la réouverture de la Sorbonne pour le 13, rien n’y fait, la mobilisation s’intensifie au contraire avec l’appel à la grève générale lancé par les syndicats pour le 13 mai.

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14 mai

L’appel à la grève générale lancé pour le 13 mai est largement suivi ; le phénomène se double rapidement d’occupations d’usines et de lieux de productions. L’usine Sud-Aviation de Bouguenais (Loire-Atlantique) est la première à être occupée par ses ouvriers le 14 mai. Cette section revient sur l’étendue de la grève à tous les secteurs économiques et notamment au secteur public. C’est ici que se lit au mieux la mobilisation de l’administration : il s’agit désormais d’un phénomène social vaste. Plusieurs solutions sont mises en place par le pouvoir : instauration de service minimum, mais également négociations. Les plus connues sont les négociations de Grenelle avec les syndicats et les représentants du patronat, sous la présidence de Georges Pompidou.

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27 mai

Les organisations étudiantes (UNEF) et une partie de la gauche parlementaire organisent le 27 mai le « meeting de Charléty ». Cette tentative de récupération politique du mouvement échoue en partie, le Parti communiste français et la CGT ne se ralliant pas. Cette date est l’occasion de revenir sur le jeu politique à l’œuvre en 1968 : échec de la motion de censure déposée le 14 mai 1968, dissolution de l’Assemblée nationale le 30 mai et tenue d’élections législatives au cours du mois de juin, etc.

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6 juin

« L’opération Jéricho » de soutien aux grévistes de l’Office de radiodiffusion télévision française [ORTF] commence le 6 juin : 1968 fait en effet éclater au grand jour la « crise de l’information » autour de la question de l’impartialité et de l’objectivité dans la présentation des événements.

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10 juin

À Flins, lors d’une course-poursuite entre lycéens venus soutenir les ouvriers de l’usine Renault en grève et les forces de l’ordre, Gilles Tautin, lycéen de 17 ans, meurt noyé dans la Seine. Suivent le lendemain deux autres morts : Pierre Beylot et Henri Blanchet, ouvriers à Sochaux. Ces morts relancent la mobilisation ; la réaction du pouvoir suit. Le 12 juin un décret portant dissolution de onze organisations gauchistes est promulgué. Des poursuites judiciaires sont alors lancées auprès de la Cour de sûreté de l’État.

expo mai 68

16 juin

Après l’évacuation de l’Odéon le 14 juin, le 16 marque à la fois l’entrée des forces de police dans la Sorbonne et la reprise du travail dans l’usine Renault de Boulogne-Billancourt. Cette usine a valeur de symbole puisque c’est là que Georges Séguy s’y était fait huer après avoir présenté les points d’accord des négociations de Grenelle.

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23-30 juin

Le mois de juin 1968 est largement marqué par la préparation des élections législatives, marquées par une forte mobilisation à droite et une reconfiguration sous la bannière de l’Union pour la défense de la République [UDR]. Les élections conduisent à l’instauration d’une majorité parlementaire absolue.

expo mai 68

15-31 juillet

1968 a également des répercussions dans le monde artistique et culturel : les acteurs des maisons de la culture et des théâtres populaires se mobilisent au cours des Assises de Villeurbanne. Au cours de l’été, les festivals de Cannes, Avignon et Arles sont émaillés d’incidents.

mai 68
« CRS=SS ». La postérité a limité les forces de l’ordre en 1968 aux seules Compagnies républicaines de sécurité. Le propos liminaire de l’exposition revient sur la diversité des acteurs mobilisés et leur fonctionnement.
Casque de CRS sans visière pendant les événements de 1968.
© Ministère de l’Intérieur, Musée des CRS

Novembre

La rentrée universitaire est le moment d’accélération de multiples réformes. Si la rénovation de l’organisation universitaire symbolisée par la loi Faure reste la plus connue, d’autres réformes voient le jour dans de multiples secteurs : sociaux, éducatifs, réglementaires. Le pouvoir a su s’adapter pour éviter toute réitération de la contestation.

expo archives 68

68, les archives du pouvoir Exposition aux Archives nationales à Paris du 3 mai au 17 septembre 2018, à Pierrefitte-sur-Seine du 24 mai au 22 septembre 2018

SITE DE PARIS
Archives nationales
Hôtel de Soubise
60, rue des Francs-Bourgeois 75003 Paris
Métro : Saint-Paul, Hôtel-de-Ville et Rambuteau
Horaires et tarifs
Du lundi au vendredi de 10 h à 17 h 30 Samedi et dimanche de 14 h à 19 h fermée le mardi et les jours fériés
Plein tarif : 8 euros, tarif réduit : 5 euros

SITE DE PIERREFITTE-SUR-SEINE
Archives nationales
59, rue Guynemer 90001
93383 Pierrefitte-sur-Seine Cedex
Métro : Saint-Denis–Université (ligne 13)
Horaires
Entrée libre et gratuite du lundi au samedi de 9 h à 16 h 45 Fermée le 19 juin (pour séminaire), du 4 au 18 août

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