L’histoire humaine est jalonnée de grandes histoires d’amour. Adam et Eve, Shéhérazade et Chahriar, Roméo et Juliette… En prenant appui sur les trois mythes fondateurs – la Torah, la Bible et le Coran – et des récits littéraires issus du monde musulman et chrétien, l’exposition Amour, récits d’Orient et d’Occident, à l’abbaye de Daoulas, revient sur les textes qui ont marqué nos sociétés. Et si les comportements d’aujourd’hui trouvaient leur point d’ancrage dans ces mythes ? Du 4 juin au 5 décembre 2021, laisserez-vous tenter ?

« L’amour, l’amour, l’amour, dont on parle toujours… », comme le chante si bien Mouloudji « Au commencement, Orient et Occident partagent une même histoire d’amour, celle du premier couple de la création : Adam et Eve. Pour autant, les interprétations qui en sont faites sont différentes. » Qu’il soit passionnel, romantique, fraternel ou interdit, l’amour reste une source d’inspiration universel et inépuisable : les compositeur.rice.s exorcisent parfois leur chagrin d’amour en chanson, les auteur.rice.s écrivent des histoires à l’eau de rose qui se terminent bien (ou pas), les peintres représentent les histoires d’amour mythiques, les films racontent les retrouvailles d’un amour perdu ou le deuil d’un être cher…

Tout le monde tente de décrire ce sentiment, au final propre à chacun. Tel est le sujet choisi par l’abbaye de Daoulas (29) pour leur nouvelle exposition, Amour, Récits d’Orient et d’Occident.

expo amour daoulas

Qu’est-ce que l’amour ? Défini, par l’encyclopédie Larousse, comme un concept abstrait qu’il est plus facile d’expérimenter que d’expliquer, dans quelle mesure l’amour courtois a t-il été influencé par les textes fondateurs ? Quel partenaire : homme ou femme ? Et si les comportements d’aujourd’hui, notamment sur la condition féminine, trouvaient leur point d’ancrage dans ces mythes ?

En prenant appui sur les trois mythes fondateurs – la Torah, la Bible et le Coran – et des récits fictifs issus du monde musulman et chrétien, les œuvres présentées, « plus de 250 », viennent raconter une histoire de l’amour et les fondements de la morale du monde euro-méditerranéen. « Les traductions des récits sont à l’image de la société, on ne raconte pas la même chose en fonction des époquesOn a voulu mélanger des œuvres occidentales et orientales, au sens large du terme », souligne Aurélie Clemente-Ruiz, historienne de l’art spécialisée sur le monde arabe et co-commissaire de l’exposition. L’hétérogénéité des œuvres révèle à la fois la confrontation et l’union des idées, en introduisant de l’art contemporain afin de montrer que le propos continue. « Nous ne sommes pas figés sur une époque, mais plutôt sur des fils qui vont être tirés au long de l’exposition. Ces fondements ont marqué nos sociétés pendant des siècles, et continue de le faire, sur cette base de rapports homme/femme. Ils ont défini une norme du couple et de la relation amoureuse. »

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L’homosexualité, amour tabou ?

« Dans le Banquet de Platon, les hommes sont des sphères, des êtres mixtes – homme/homme, femme/femme et femme/homme – que Zeus va couper en deux. Dieu fait approximativement la même chose avec Adam, sauf qu’une place est laissée à l’homosexualité dans le mythe grec », raconte Zeev Gourarier, conservateur général du patrimoine et co-commissaire de l’exposition. À l’exception d’une coupe romaine noire à figures rouges, représentant un homme et un jeune garçon, Amour, Récits d’Orient et d’Occident est « très largement » basée sur les amoures hétérosexuelles. Et pour cause, contrairement au mythe grec, il n’existe pas, autant en Orient qu’en Occident, d’autres modèles que celui du couple hétérosexuel, et ce depuis le premier couple, Adam et Eve. Une vérité qui s’établit sur les murs dès le début de l’exposition.

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Peintre de Briséis (attribué à), v 480 J.-C. Coupe de figures rouges, Homme et jeune garçon

Cette désolante constatation accompagne le visiteur alors que les différentes histoires d’amour s’affichent sur les murs : Eurydice et Orphée, Farhad et Shirin, Mathilde et Malek-Adel ou encore Roméo et Juliette. « L’homosexualité a toujours existé quelque soit les époques et les sociétés, mais elle a été plus ou moins tolérée ou pourchassée, justement en fonction des époques et des sociétés », argumente Aurélie Clemente-Ruiz. Certains textes érotiques arabes du 13e siècle relatent ainsi des relations amoureuses entre hommes et entre femmes, même si ce n’est pas la norme…

« Me voici lié à un garçon – ô beauté savoureuse ! – Habile à savonner les corps, son visage est plus réjouissant que la lumière du soleil et de la lune réunis », Muhammad al-Nawadji (1383-1455)

Une résurgence de ces thèmes marque néanmoins le début du XXe siècle, dont la nouvelle traduction des Milles et une nuits (1904) en est un parfait exemple. « Charles Mardrus propose une traduction plus érotique. Il va poser un univers orientaliste et donner une forme totalement différente qui va nourrir cet imaginaire européen autour de l’Orient. Dans le conte de la princesse Boudur, une histoire d’homosexualité féminine, il parle de ces femmes qui se retrouvent entre elles et découvrent ensemble le plaisir […] Selon les traductions, la part d’interprétation, sur ce qui se passe réellement quand les femmes se retrouvent, est plus ou moins assumée », ajoute-t-elle.

La femme, éternelle coupable en Occident ?

De section en section, le visiteur est invité à découvrir l’évolution des représentations amoureuses (hétérosexuelles) au fil des siècles, révélant notamment leurs impacts sur la condition féminine. Sculpture de Saint Jean-Baptiste décapité, tableau de Cléopâtre et Octave ou de Samson et Dalila : la femme en prend pour son grade à travers la diversité de supports qu’offre l’exposition. La femme chrétienne est coupable de tous les maux, pêcheresse qui a mangé le fruit défendu, et l’homme, sa victime…

Révélatrice des comportements contemporains et reflet de la construction de nos sociétés patriarcales, « cette attitude misogyne se diffuse au long des siècles, sans distinction de classe sociale. […] Qu’elles soient esclaves ou reines, elles sont de dangereuses séductrices », précise Zeev Gourarier, quand elles ne sont pas objet de convoitises et sujettes aux violences du genre masculin. « L’art occidental montre à volonté des scènes d’enlèvement et de viol, contrairement à l’art oriental. Un article est d’ailleurs paru afin de dénoncer la violence faite aux femmes dans l’art occidental. » Bien que la mission de l’abbaye de Daoulas ne soit pas d’aborder l’actualité, cette dernière suit le parcours en filigrane. Comment ne pas penser au mouvement #metoo et la libération de la parole des femmes qu’il a entraîné en écoutant les commissaires d’exposition ?

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Tête de Saint Jean-Baptiste « In Disco », Marbre. Italie du Nord ? Deuxième partie du XVIe siècle.

Les femmes mènent la danse en Orient ?

« Quand on regarde l’histoire de l’art plus ancienne, on ne trouve quasi pas de telles scènes dans la culture arabo-musulmane et persane », explique Aurélie Clemente-Ruiz. « Pourquoi l’Occident est-il allé jusqu’à condamner le plaisir sexuel ? Et pourquoi les récits orientaux donnent autant de place aux femmes ? » Les interrogations de Zeev Gourarier demeurent cependant sans réponse.

Alors que la condition de la femme musulmane n’a jamais été aussi répressive, que la société, « fortement patriarcale », bride leur parole, il est en effet curieux de voir les divergences entre l’Occident et l’Orient sur la condition féminine. « Étrangement, toute la littérature arabe et persane va montrer quelque chose de très différent. Les femmes vont être motrices des histoires. Elles vont être l’élément déclencheur des relations amoureuses et la faire vivre », déclare Aurélie Clemente-Ruiz. Telle l’histoire de Khoskow et Shirin (poème du XIIe siècle). Peut-on y voir un refus des codes de la société dans laquelle les femmes vivent ?

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Carreau de revêtement : Shirin au bain vue par Khosrow, Iran, 19e siècle. Musée de Louvre, Paris. © RMN – Grand Palais (musée du Louvre) / Mathieu Rabeau

L’exposition Amour, récits d’Orient et d’Occident tend à ouvrir le visiteur à toutes les formes esthétiques et interroge. Au-delà de l’ancrage historique, tous les récits présentés à l’abbaye de Daoulas révèlent de quelle manière ces derniers ont formaté nos relations hommes-femmes, notre société, comme une confirmation à ce que l’on savait déjà. « Le travail qui est fait ici, avec cette exposition, est de rappeler que les œuvres artistiques anciennes nous renvoient à notre quotidien. »

Jusqu’au 5 décembre 2021, exposition Amour, récits d’Orient et d’Occident, abbaye de Daoulas.

Exposition réalisée dans le cadre des Chemins du Patrimoine

INFOS PRATIQUES

21 rue de l’Église, BP 34, 29460 DAOULAS

Tarif de base – Adulte Plein tarif : De 5 € à 8 € (+25 ans)

Tarif enfant : 1 € (7-17 ans / demandeur d’emploi / minima sociaux / personne handicapée + 1 acc.)

Tarif réduit : De 3 € à 4 €(18-25 ans)

Tarif réduit : 5.50 € (Tarif partenaire)

Gratuit (- de 7 ans / gratuit)

Tarif réduit : 1 € (Demandeur d’emploi, personne titulaire des minima sociaux, personne handicapée)

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