L’Imagerie de Lannion présente Les Contours du monde, 42e Estivales Photographiques du Trégor du 11 juillet au 26 septembre 2020 avec Aurélie Scouarnec, Emmanuel Gourdon et Florence Joubert. Lieu permanent d’exposition consacré à la photographie, la galerie L’Imagerie de Lannion a vu le jour en 1984 sur les pas du Festival Photographique du Trégor. Orientée initialement sur le reportage, la programmation du festival allait suivre l’évolution de la photographie contemporaine, intégrant photographie plasticienne et recherches diverses. Devenu « Estivales Photographiques du Trégor » en 1991, ce festival d’été, qui s’étend depuis lors de fin juin à fin septembre, reste le temps fort de la programmation de l’Imagerie qui a réouvert ses portes le 19 mai 2020.

Aurélie Scouarnec
© Aurélie Scouarnec, Le repos, Anaon, 2016-2018

Emmanuel Gourdon, Florence Joubert et Aurélie Scouarnec transforment le paysage en territoires de fictions originelles, et explorent les limites géographiques et temporelles. Les mondes qu’ils inventent apparaissent à la marge de la représentation, oscillant entre un ancrage profond dans la matière des éléments naturels et une forme d’indicible, de sacré.

Florence Joubert

Florence Joubert
© Florence Joubert, Gardiens du temps, 2017-2020

Le météosite du Mont Aigoual est le dernier observatoire météorologique habité de France. Situé sur le toit des Cévennes, il est soumis à des phénomènes extrêmes du fait de la rencontre du sommet avec les vents médittérannéens. Des générations de personnages se sont succédées dans cette forteresse, scrutant le ciel, la nature et ses états, pour les transcrire en mots et en symbôles, et assurer ainsi un suivi minutieux des évolutions de cet environnement dans son ensemble. Construit en 1894 par un ingénieur forestier visionnaire, l’Aigoual est depuis lors un “phare”, une institution dans ce monde rural, maintenant en désertion. Aujourd’hui, Chantal, Eric, Rémy et Christian, quatre salariés de Météo-France y vivent encore, tutoyant le brouillard et les tempêtes, résistant aux assauts répétés du climat, et aux évolutions inéluctables d’un métier qui disparaît. L’automatisation des instruments de mesures a relégué ces qualités d’observation et cette connaissance intime de la nature au rang du superflu. Bientôt, le bâtiment, destiné à de grands travaux, se transformera en un centre d’interprétation du changement climatique, ouvert au public. Un projet porté par la commune, et un choix très symbolique pour aborder des questions d’actualité, mais qui marquera aussi la fin de la fonction d’observatoire de l’Aigoual, après 125 ans de travail et de transmission humaine. Rares sont ceux, parmi nous aujourd’hui, pouvant reconnaître les prémices d’une tempête dans la texture d’un ciel, distinguer le premier chant du coucou annonceur du printemps, prévoir la sécheresse à la vue des hêtres fatigués… Cette observation d’un écosystème local impliquait de s’y penser dedans, comme partie intégrante d’un tout. Notre connaissance de la nature, devenue théorique, nous amène à la penser de façon distanciée, comme si nous étions « en dehors ». Mais où va un monde dans lequel nous ne savons plus rien des choses naturelles qui nous entourent ? Au rythme des saisons, et à la lecture des registres d’observation datant du XIXe siècle, j’ai essayé de comprendre la relation spéciale qu’entretiennent les météorologues au temps sous toutes ses formes, à cette incroyable nature cévenole, et de témoigner d’un monde en disparition. Instruments de mesure anciens et modernes, récits d’observation, et graphiques délivrant la vitesse du vent ou les variations de pression, dialoguent avec les scènes extérieures et forgent une représentation scientifique, mais aussi poétique de ce temps, qu’il fait, et qui passe. Ses gardiens, eux, à l’abri des épais murs centenaires de l’Observatoire, dans les décors bricolés du petit musée ouvert l’été, semblent convoquer les éléments au dedans pour une dernière danse.

biographie

Florence Joubert est née à Brest en 1978. Diplômée de l’ENSAD, elle travaille dans les domaines de l’architecture, du patrimoine, et de la science, et y explore l’univers des métiers. Elle a notamment suivi le chantier de la Fondation Louis Vuitton durant 6 ans, collabore régulièrement avec le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment, et révèle les gestes de savoir-faire de l’artisanat de luxe pour différentes maisons. Elle publie par ailleurs ses récits de voyage en latitudes extrêmes dans la presse. Ses sujets de prédilection, à la marge du documentaire, racontent des lieux à la dimension historique forte et des personnages singuliers en étroite relation avec la nature. Florence Joubert est membre du collectif les Sismographes, rassemblé sur un projet d’expérience photographique commune du Grand Paris, et du collectif Studio Public, structure interdisciplinaire qui développe des projets participatifs sur les questions de territoire et d’identité. Ses images sont distribuées par la SAIF Images, via le réseau PI.NK. (ancienne coopérative Picturetank). http://www.florencejoubert.com

Emmanuel Gourdon

 
Emmanuel Gourdon
© Emmanuel Gourdon, Entre deux mondes

Rêveur de mondes

En salle 2, Emmanuel Gourdon présentera un ensemble de plusieurs séries : Théâtre d’ombre (2000), Résurgence (2004-2005), Entomologie (2006-2010) et Entre deux mondes (2015 / en cours). Le paysage est une invention, une construction mentale qui lie les différents éléments reconnaissables de notre environnement, un assemblage de formes, de couleurs et de sensations sur un territoire donné. Depuis l’enfance la nature est mon jardin, mon espace d’évasion perceptive et sensorielle dans lequel j’invente mes histoires de voyageur immobile. Mon travail puise sa source dans le regard enfantin qui porte constamment son attention sur des détails et des formes de la nature, prétextes au jeu et à la narration. Sur la plage, des bouts d’algues peuvent se métamorphoser en personnages, héros d’histoires fantastiques ou défendeurs de châteaux de sable. Ces héroïques objets entrent en scène sur fond de ciel, comme la projection d’une lanterne magique, un théâtre d’ombre. D’autres fois une racine affleurant à la surface de l’eau, résurgence d’une nature sacrifiée par l’homme pour inonder une vallée, se lie au ciel reflété, à la couleur du fond et aux flots pour créer un tableau de figures spectrales. Ces éléments insolites, que je glane dans la nature devenue aujourd’hui mon outil autant que mon sujet, ont constitué au fil du temps un répertoire de formes dans lequel je puise pour fabriquer des architectures. Ces constructions, entre deux mondes, ne sont pas des sculptures mais des mises en figure d’éléments disparates, de matériaux pauvres, fragiles, souvent périssables, toujours naturels. En les mettant en scène, je fabrique des images projetant les contours d’un monde plus poétique, loin du seuil de cet âge obscur où l’équilibre naturel est en passe d’être condamné par la folie mercantile et le prétexte du progrès. Dans mon travail, je persiste à cultiver l’intervention discrète, frêle et éphémère d’un rêveur de mondes.

biographie

De ses flâneries dans la campagne tourangelle de son enfance, Emmanuel Gourdon garde le regard enfantin qui porte constamment son attention sur des détails et des formes de la nature, prétextes au jeu et à la narration. Le désir de création du plasticien / photographe de 50 ans naît au collège Céléstin Freinet de Sainte Maure de Touraine où il approche pour la première fois la photographie et l’expression plastique. C’est aux Beaux-arts de Poitiers puis du Mans qu’il s’enrichira de la découverte de l’Arte Povera et d’artistes comme Dieter Appelt, Nils-udo… Mais c’est avec Karl Blossfeldt qu’il découvrira « la magie des formes naturelles ». En 1995, son travail photographique est exposé pour la première fois au Budapest Art Expo en Hongrie. Durant les projections du Festival photographique d’Arles en 1997, il montre mes nuits…, un travail chrono-photographique sur des paysages nocturnes. Peu à peu il utilise la photographie comme le témoignage de mise en scène de formes naturelles. C’est avec son travail sur l’entomologie qu’il mélange pour la première fois installation, photographie et mise en figure de formes naturelles. Cette série en trois volets lui donnera l’occasion d’animer des ateliers scolaires et des stages dans des institutions comme la Villa Pérochon à Niort, où il exposera ses Jardins flottants durant les 15e Rencontres de la jeune photographie internationale. De ces rencontres dans ce centre d’art naîtra en 2014 une collaboration avec François Méchain comme chargé de production pour la réalisation de l’œuvre 6ème continent. De cet « inquiéteur de certitude », il retient que « le paysage est comme un territoire de la pensée ». La même année il est retenu pour une résidence au Carré d’art de Chartres de Bretagne. Le travail produit sera exposé en avril 2015 et donnera lieu à l’édition d’un recueil : Entre deux mondes. Emmanuel Gourdon est installé en Bretagne depuis vingt-deux ans. Il joue constamment sur un fil ténu entre le vu et le perçu. De ces sensations indicibles, il imagine des structures, assemblages de formes fragiles, pour créer des mises en scène, redéfinissant les contours d’un paysage entre la vision d’un enfant rêveur et la nécessaire réflexion écologique d’un amoureux de la nature. Dans son travail, il persiste à cultiver l’intervention discrète, frêle et éphémère d’un rêveur de mondes.

Aurélie Scouarnec

Aurélie Scouarnec
© Aurélie Scouarnec, Anamnesis, 2019-2020

Anaon (2016-2018)

À l’origine, cette fascination d’enfant pour ce qui se joue dans les sutures du réel, l’obscur et le conte. Histoires racontées dans les assauts de la nuit, ou récitées dans un autre langage. Ce surgissement d’une énergie commune palpitant dans la roche, les rivières d’ombre, et les chairs animales. Des images comme une cartographie rituelle de cette circulation de l’invisible. Avec des racines familiales ancrées dans le Finistère à proximité des Monts d’Arrée, territoire qui serait celui des portes de l’Enfer selon la croyance, les légendes bretonnes ont depuis longtemps imprégné mon imaginaire. Enrichie par la lecture de textes comme ceux d’Anatole le Braz ou de François Marie-Luzel, cette série s’est ainsi esquissée comme une quête à la recherche de ce qui resterait de traces de rites et de contes anciens en Basse-Bretagne, partie la plus occidentale de la région bretonne. Dans cette région, l’enfer est un enfer froid, occupé par l’eau, les pluies, le brouillard. Les chevaux et les chiens sont ces animaux psychopompes qui escortent les âmes au royaume des morts. Là où croyances païennes et pratiques religieuses sont encore étroitement liées, ces images naviguent parmi les figures qui peuplent les collectes de récits lus ou entendus. Elles m’ont également menée à la rencontre de formes de druidisme contemporain, notamment sous la forme d’un polythéisme vivant et renouvelé, au plus proche de l’expérience du sacré. Cette série cherche ainsi à témoigner de cette singulière présence qui continue d’habiter ces espaces propices aux métamorphoses et aux manifestations de ce qui se trame dans les marges du visible.

Anamnêsis (2019-2020)

C’est une image manquante, en creux, tapie derrière la mémoire. Un tissu originel, terreau de sensations qui nous précédent et resurgissent, inlassablement. Les images contant la naissance du monde et des hommes se sont bâties à partir de mythes entrelacés les uns aux autres, de symboles collectifs, de légendes et d’histoires de tout ordre. Elles créent un fond de représentations sur lesquelles se greffent nos histoires personnelles, et réapparaissent dans nos rêves, dans notre littérature. Sous la diversité des formes reviennent la présence obstinée des éléments tels que l’eau, des jeux de forces antagonistes, un chaos ou un néant originel. Chez Empédocle par exemple, l’un des premiers penseurs grecs parmi ceux qu’on appellera les présocratiques et qui seront en partie à l’origine de la pensée occidentale, l’eau, la terre, le feu et l’air sont mis en tension par les forces d’attraction et de séparation, et la génération des corps suit ce même mouvement d’attirance et de répulsion. Cette série se retourne ainsi vers la nuit de l’origine, à la recherche de ce qui se meut en amont du langage et de la mémoire. Elle navigue parmi certaines traces laissées par les premières pensées, poétiques et philosophiques, de l’origine du monde et des hommes. Des corps y surgissent, se cherchent et se soulèvent. Dans la circulation des éléments primordiaux se tisse cette quête d’un lieu de reconnaissance d’une antériorité toujours plus reculée.

biographie

Née en 1990 à Argenteuil, en région parisienne, Aurélie Scouarnec vit et travaille à Paris. Orthophoniste de formation initiale et photographe autodidacte, elle a notamment approfondi sa pratique photographique auprès de Claudine Doury. Son travail a dernièrement été exposé dans le cadre des Rencontres Photographiques du 10e à Paris (2017), d’Itinéraires des Photographes Voyageurs à Bordeaux (2018), du Festival International de Photographie de Hyères à la Villa Noailles (2018), d’Unseen (Futures Talent Pool) à Amsterdam (2018), des Photographiques au Mans (2019) et en Projection du Jury aux Boutographies de Montpellier (2019). http://www.aureliescouarnec.com

L’IMAGERIE

19, rue Jean Savidan
22300 Lannion
France

tél. : 02 96 46 57 25

HORAIRES D’OUVERTURE

du mardi au samedi,
de 15 h à 18 h 30
le jeudi,
de 10 h 30 à 12 h 30 et de 15 h à 18 h 30
sauf jours fériés

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