Partage de midi est un voyage initiatique, une invitation mystagogique de Paul Claudel. Trois hommes et une femme au milieu de leur vie quittent Marseille pour la Chine dans l’espoir de recommencer. La mort les attend en Orient, avec en toile de fond la révolte des Boxers et les sons du théâtre chinois.

Écrit en 1905, ce drame en trois actes prend sa source dans l’expérience personnelle du jeune consul Paul Claudel. En proie à la vocation religieuse, l’amour lui est proposé pour la première fois sur ce bateau sous les traits d’une étrangère d’origine polonaise, Rosalie Vetch, mariée, quatre enfants. La rencontre entre Mesa et Ysé rejoint les figures mythiques de Tristan et Yseult.

Mercredi 12 décembre 2018, la première de la mise en scène du Partage de midi par Eric Vigner avait lieu au TNB de Rennes. Avec Partage de midi, Éric Vigner poursuit sa recherche sur les rituels d’amour et de mort initiée avec Tristan qu’il écrit et met en scène en 2014. Pour cette nouvelle création, il travaille pour la première fois avec le comédien Stanislas Nordey et retrouve son actrice fétiche Jutta Johanna Weiss.

partage de midi
Jutta Johanna Weiss est Ysé et Stanislas Nordey incarne Mesa

Ysé : Vois-la maintenant dépliée, ô Mésa, la femme pleine de beauté déployée dans la beauté plus grande ! Que parles-tu de la trompette perçante ? Lève-toi, ô forme brisée, et vois-moi comme une danseuse écoutante, dont les petits pieds jubilants sont cueillis par la mesure irrésistible ! Suis-moi, ne tarde plus ! Grand Dieu, me voici, riante, roulante, déracinée, le dos sur la subsistance même de la lumière comme sur l’aile par-dessous de la vague ! O Mésa, voici le partage de minuit ! et me voici, prête à être libérée. Le signe pour la dernière fois de ces grands cheveux déchaînés dans le vent de la Mort !

Mésa : Adieu ! je t’ai vue pour la dernière fois ! Par quelles routes longues, pénibles. Distants encore que ne cessant de peser l’un sur l’autre, allons-nous mener nos âmes en travail ? Souviens-toi, souviens-toi du signe ! Et le mien, ce n’est pas de vains cheveux dans la tempête, et le petit mouchoir un moment. Mais, tous voiles dissipés, moi-même, la forte flamme fulminante, le grand mâle dans la gloire de Dieu, l’homme dans la splendeur d’Août, l’Esprit vainqueur dans la transfiguration de Midi !

partage de midi

Si un metteur en scène est susceptible de monter Partage de Midi de Paul Claudel, c’est bien Eric Vigner. Cet auteur, plasticien et scénographe breton, ancien directeur du Directeur du CDDB–Théâtre de Lorient de 1996 à 2015, a le pouvoir de produire des mises en scène alchimiques où le son et les images se marient en variations énergétiques afin de saisir le public. Dès que l’amour, la mort et les rituels se profilent, Eric Vigner se fait passeur auprès du public. D’où la promesse d’une belle rencontre avec Claudel et son Partage de Midi, oeuvre dense, spirituelle mais sans byzantinerie, stylisée, mais sans posture, émouvante, mais jamais mièvre, éprouvante et édifiante.

Comment dire la recherche de l’amour et le détournement de Dieu ? Comment jouer la recherche de Dieu et le détournement de l’amour ? La quête d’absolu et le serment relatif, l’union et la trahison. Et la mort. Où se trouve le point d’équilibre entre les multiples lignes de fuite que diffractent le Claudel écrivain, le Claudel qui se réfléchit dans le personnage de Mésa, le Claudel social tendu entre un passé et un avenir qui ne laisse pas son présent trouver la paix ? Partage de midi est une pièce qui croise tant de perspectives qu’il n’est guère aisé de trouver quel fil directeur tendre au public afin qu’il adhère et chemine durant 2h40 dans cette structure sentimentale et réflexive passionnelle, passionnante, mais dense.

partage de midi

Dans ce dessein, Eric Vigner dresse une mise en scène élégante, au symbolisme simple, mais efficace (gong en forme de miroir solaire, paon vaniteux et immortel, vigie à longue-vue qui recherche les terres perdues, la terre à conquérir…). Mais dans ce drame au livret stylisé qu’est Partage de midi, la mise en scène, la scénographie – le décor aussi bien que les lumière et les déplacements – sont au plus un écrin pour le texte et son énonciation. A la limite, une récitation habitée et colorée par 4 comédiens assis sur une chaise tout du long pourrait suffire. Au demeurant, au TNB, Jutta Johanna Weiss est Ysé et Stanislas Nordey campe Mésa.

partage de midi

La vision d’Ysé héritée de ma lecture de Partage de Midi dessine une femme aux charmes subversifs et à la civilité d’une spontanéité animale, une dame délicieusement sauvage. Jutta Johanna Weiss, quant à elle, compose les poses et inflexions de son personnage à partir d’icônes tels que Sisi Romy Schneider, Brigitte Fontaine, Dita von Teese, Pola Negri et Sarah Bernhardt. Après un temps d’adaptation durant le premier acte, elle réussit à tenir le public sous son empire charnel et psychique malgré – et grâce à – un équilibre sans cesse précaire. Il n’en va pas de même de Stanislas Nordey.

D’entrée de jeu, il incarne un Mésa à la composition tonale et gestuelle trop maîtrisée, aux accents emphatiques et aux ruptures outrées. Curieusement, comme les premiers temps de Jutta Johanna Weiss paraissent surjoués, une forme de complémentarité dans l’excès s’opère entre les deux comédiens (un chiasme sans doute involontaire mais pas inintéressant au regard des psychologies d’Ysé et Mésa).

partage de midi

Cette relative synergie fonctionne encore dans le deuxième tableau qui est habilement traité par Eric Vigner : une atmosphère fantasmatique sert une déréalisation de la scène et fait entrer les spectateurs dans le Partage multidimensionnel des deux comédiens.

Malheureusement, la suite creuse l’écart. Et Stanislas Nordey, distancé par le jeu de Jutta Johanna Weiss qui parvient à son homogénéité, apparait de plus en plus décalé du texte. Si sa diction est bonne et son interprétation gestuelle (notamment faciale) à l’avenant, le monologue préfinal où Mesa s’adresse à Dieu donne le sentiment que Nordey récite avec un soin désincarné des paroles dont le sens (spirituel) lui demeure étranger. Autant dire que le public doit s’accrocher pour ne pas décrocher. Alors que Nordey a su être convaincant dans d’autres interprétations, ici, ce sont Claudel, Vigner et le TNB qui en partagent à minuit les frais.

Texte
PAUL CLAUDEL
Scénographie et mise en scène

ÉRIC VIGNER
Lumière
KELIG LE BARS
Son
JOHN KACED
Costumes
ANNE-CÉLINE HARDOUIN
Maquillage
ANNE BINOIS
Assistanat à la mise en scène
TÜNDE DEAK
Assistanat à la scénographie
ROBIN HUSBAND
Décor et costumes
ATELIERS DU TNS

Avec
STANISLAS NORDEY
ALEXANDRE RUBY
MATHURIN VOLTZ
JUTTA JOHANNA WEISS

Production : Compagnie Suzanne M.

Coproduction : Théâtre National de Strasbourg ; Théâtre National de Bretagne ; Théâtre de la Ville – Paris.

Photos : Jean-Louis Fernandez

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Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il a créé en 2011 le magazine Unidivers dont il dirige la rédaction.

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