Depuis bientôt 50 ans, Elliott Murphy poursuit une carrière prolifique menée à l’ombre du show business. Il n’en demeure pas moins qu’en Europe, l’auteur-compositeur-interprète de 70 ans continue de séduire un public fidèle, particulièrement en France où il réside depuis plus de 30 ans. Retour sur son parcours et sa prestation du 2 février 2020 à la MJC Bréquigny, dans le cadre du cycle de concerts « Le Blues Du Dimanche » organisé par Les Tombées De La Nuit et Dimanche à Rennes.

Pour beaucoup d’entre nous, le dimanche n’est pas vraiment le jour de la semaine le plus engageant, parfois vécu comme une brève accalmie avant une nouvelle semaine de travail mouvementée. Qu’à cela ne tienne, l’association Les Tombées De La Nuit propose désormais aux Rennais d’embellir leurs week-ends tous les 2 mois, à l’occasion de leur nouveau cycle de concerts, au nom évocateur : « Le Blues Du Dimanche ». Cette nouvelle série d’évènements musicaux a été inaugurée dimanche dernier à la MJC Bréquigny par la venue d’Elliott Murphy.

elliott murphy, rennes
Elliott Murphy.
Photo: Cristina Arrigoni.

Né le 16 mars 1949 à Long Island dans l’état de New York, l’artiste évolue dès sa plus tendre enfance dans le monde du spectacle. Son père, Elliott Murphy Sr., est un passionné de musique et propriétaire de l’Aquashow, amphithéâtre de rue où se déroulaient des ballets nautiques. Sa mère Joséphine, quant à elle, est actrice et excelle également comme chanteuse et musicienne. C’est elle qui lui donnera d’ailleurs ses premiers cours de guitare dès ses 12 ans, pendant lesquels il apprend ses premières chansons folk. Le jeune Elliott tombe immédiatement sous le charme de l’instrument et, peu de temps après, forme un premier groupe éphémère. Avec des formations successives, il écume les boîtes de nuit de Long Island, allant parfois jusqu’à 8 passages par soirée. Pendant ses jeunes années, son éducation musicale est alors rythmée par la surf music et le rock instrumental, portés par des groupes comme les Beach Boys et les Ventures. Elle se précise davantage en 1962, en plein « revival » folk, lorsque sa soeur Michelle lui offre pour Noël le premier album d’un jeune artiste alors prometteur : Bob Dylan. Une découverte majeure qui l’inspire par la suite pour l’écriture de ses chansons. Quelques années plus tard, il fonde son premier groupe important, les Rapscallions, avec lequel il remporte le New York State Battle of Bands en 1966.

En 1971, quelques années après le décès brutal de son père, il quitte un temps les Etats-Unis et séjourne brièvement à Amsterdam, avant de sillonner en baladin les villes européennes. Puis il rentre à New York et 3 mois plus tard, il décroche un contrat au label Polydor, sur lequel il sort son premier album Aquashow en 1973. Ce premier opus rencontre un franc succès auprès de la critique et lui vaut également le soutien de Lou Reed. Bien que ses trois albums suivants ne rencontrent pas le même accueil aux Etats-Unis et alors qu’il est progressivement snobé par les grandes maisons de disques, sa carrière connaît le 23 avril 1979 un tournant inattendu. Ce jour-là, il assure la première partie du fameux guitariste irlandais Rory Gallagher au théâtre Le Palace de Paris, face à de nombreux spectateurs venus l’acclamer. Cette découverte de son succès français bouleverse son existence et l’incite à concentrer la plus grande partie de sa carrière en Europe. Et c’est finalement dix ans plus tard qu’il s’installe définitivement dans la capitale française, où il fut même nommé Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres en 2015.

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Melissa Cox, Elliott Murphy et Olivier Durand le 2 février 2020 à la MJC Bréquigny.
Photo: Nicolas Joubard.

Son premier concert à Rennes remonte au 2 février 1980, date où il y assura la première partie de Rory Gallagher. Et c’est 40 ans plus tard, jour pour jour, qu’il a livré une belle performance à la MJC de Bréquigny à 16h, dans une salle comble. Une première pour l’artiste qui, amusé, a confié qu’il s’agissait peut-être de son premier concert donné en pleine après-midi. Pour l’aider dans sa tâche, il s’est entouré du fidèle Olivier Durand, ancien guitariste de Little Bob Story qui l’épaule depuis 1996, ainsi que la violoniste australienne Melissa Cox.

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Elliott Murphy et Melissa Cox le 2 février 2020 à la MJC Bréquigny.
Photo: Nicolas Joubard.

Durant cette prestation, Elliott Murphy interpréta ainsi plusieurs chansons issues de son très large répertoire, qu’il a construit sur près de 5 décennies et qui compte pas moins de 38 albums. Plusieurs de ces morceaux ont marqué le début de sa carrière à New York, comme « Last of The Rock Stars » (1973) tiré de son premier album Aquashow, ou encore « Diamonds By The Yard » (1975) extrait de Night Lights. D’autres chansons plus récentes comme « Someday All Will Be Yours », tirée de son dernier opus Ricochet sorti en octobre 2019, se rapportent à sa période de maturité toujours en cours. Ce qui ne l’a pas empêché de faire un pas de côté, avec une reprise très fidèle de « These Boots Are Made For Walkin’ » de Nancy Sinatra, dont le refrain fut immédiatement repris en coeur par les spectateurs.

Si Elliott Murphy est désormais français et parisien d’adoption, il ne manque jamais de rappeler que sa musique reste enracinée dans les répertoires populaires américains. De fait, ses influences des styles du revival folk et du rock sont omniprésentes et transparaissent clairement dans son jeu de guitare acoustique. Ainsi pendant « Last of The Rock Stars » et « Diamonds By The Yard », il a déployé une folle énergie soutenue par les accords percutants de la guitare d’ Olivier Durand, qui évoquent parfois certaines chansons de Bruce Springsteen. Mais il exploite également un fingerpicking subtil et sensible, propre aux esthétiques folk, sur des titres comme « Navy Blue » et « On Elvis Presley’s Birthday ». Par ailleurs, sa voix caractéristique possède un timbre légèrement nasillard, et des inflexions qui rappellent celle de Bob Dylan, auquel il fut très souvent comparé à ses débuts. Par ailleurs, ses envolées et son vibrato dans le registre aigu peuvent également évoquer des interprètes comme David Bowie. Il faut également souligner la performance brillante d’Olivier Durand qui contribua à électriser l’ambiance sur la scène. A maintes reprises, ce dernier a effectivement offert de superbes solos de guitare, très souvent étourdissants de virtuosité, mais parfois aussi inspirés et profonds. En parallèle, le timbre chantant du violon de Melissa Cox alliait agilité et lyrisme, conférant à certaines instrumentations une teinte bluegrass et old time music très appréciable.

Les textes composés par Elliott Murphy se situent eux-aussi dans la continuité de ces musiques populaires. L’artiste américain y décrit ainsi les errances et les passions qui ne cessent d’animer l’être humain, notamment celle de l’amour. Ainsi dans le touchant « Navy Blue », inspiré en partie par l’« Amsterdam » de Jacques Brel, il met en scène la mélancolie d’un marin qui se rémémore avec douleur un amour perdu. La nostalgie fut également présente pendant « Thirty Was A Long Time Ago » et surtout « On Elvis Presley’s Birthday », à travers laquelle le musicien rend directement hommage à son père. De même au cours de sa prestation, il a également dédié « You Never Know What You’re In For » à Rory Gallagher, aux côtés duquel il a connu ses premiers succès scéniques en France. Quand à « What The Fuck Is Going On ? », elle s’inscrit dans la tradition des protest songs, chansons de contestation qui jouèrent un rôle important dans les changements sociaux des années 60. Ecrit par Elliott Murphy en 2009, ce morceau exprime son incompréhension et son indignation face à la crise des « subprimes » qui ravageait alors l’économie mondiale.

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Olivier Durand et Elliott Murphy le 2 février 2020 à la MJC Bréquigny.
Photo: Nicolas Joubard.

Par ailleurs, on constate également que les paroles de l’artiste américain reflètent également une veine littéraire, poétique et romantique, qu’il a également exploité dans plusieurs romans et nouvelles. Une fibre qu’il partage non seulement avec des auteurs-compositeurs-interprètes renommés tels que Bob Dylan et Leonard Cohen, mais aussi avec des écrivains comme F. Scott Fitzgerald, connu pour son roman Gatsby Le Magnifique et qui fut le chef de file du mouvement de la « Génération perdue » pendant les années 20.

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Elliott Murphy le 2 février 2020 à la MJC Bréquigny.
Photo: Nicolas Joubard.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que le pari fut réussi pour le premier concert du « Blues du Dimanche » : à cette occasion, Elliott Murphy et ses musiciens sont parvenus à enchanter notre après-midi, avec une passion intacte, une réelle générosité et une grande présence. Sa prestation suscita ainsi de longs applaudissements et reçut un tel succès qu’au dernier moment, il accorda finalement un rappel. A l’issue de ce concert, on garde le sentiment d’avoir vécu un moment chaleureux et privilégié, en compagnie d’une des dernières rockstars de sa génération.

La tournée d’Elliott Murphy se poursuit actuellement avec plusieurs dates en France. Il reviendra en Bretagne pour un concert le 2 octobre 2020 à 20h30, à la Salle Cap Caval de Penmarch (29).

Pierre Kergus
Journaliste musical à Unidivers, Pierre Kergus est titulaire d'un master en Arts spécialité musicologie/recherche. Il est aussi un musicien amateur ouvert à de nombreux styles.

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