Lizzie maggie monopoly
Lizzie Magie en 1936 © Anspach Archives

En ce 8 mars 2024, journée internationale des droits des femmes, la rédaction célèbre différentes figures féminines, d’ici et d’ailleurs, qui ont marqué l’histoire, mais dont leur récit reste parfois méconnu. Et si le Monopoly était à l’origine le fruit d’une réflexion anti-capitaliste et l’idée d’une femme ? Au début du XXe siècle, Elizabeth J. Magie Philip, crée The Landlord’s Game afin de révéler la nature antisociale du monopole. Trente ans plus tard, la conceptrice de jeu est spoliée de sa création par Charles Darrow avec une version dérivée surnommée « Monopoly », jeu qui deviendra l’emblème du capitalisme… 

On ne présente plus le Monopoly, jeu du propriétaire foncier par excellence, avec son égérie, M. Monopoly ou « Rich uncle Pennybags », cet homme à la moustache blanche, en costume et surmonté d’un haut-de-forme. L’histoire a retenu qu’elle devait la création du jeu à Charles Darrow en 1935, faisant l’impasse sur cette femme de l’ombre à l’origine de l’oeuvre ludique en 1904, Elizabeth J. Magie Philip (1866-1948), surnommée Lizzie Maggie. Revenons à elle. 

Lizzie maggie
Elizabeth J. Magie Philip

Lizzie Maggie naît en 1866 à Macomb dans l’Illinois aux États-Unis. Son père, James Magie, soutient le mouvement georgiste (issu des idées de l’économiste George Henry) qui prône l’abolition de la propriété privée de la terre et ferait de l’État le propriétaire symbolique de celle-ci. Une taxe unique imposée sur la plus-value des propriétaires fonciers, contre les bénéfices qu’ils réalisent face au locataire, serait également instaurée. Elizabeth Magie hérite de la vision économique et sociale du mouvement. Elle intègre également le mouvement protestant pacifiste et philanthrope des Quakers et s’engage pour les droits des femmes et de leur indépendance. 

Sténographe de profession, elle montre rapidement son ingéniosité et sa créativité lorsqu’elle invente en 1893 un dispositif qui facilite l’usage de la machine à écrire. À la mort de l’économiste George Henry en 1897, elle décide de faire vivre son héritage en créant un jeu : au-delà de l’aspect ludique, elle y voit un moyen de faire passer un message engagé qui révèle la nature antisociale du monopole. 

De là naît The Landlord’s Game, « le jeu du propriétaire », pour lequel elle dépose un brevet en 1904. Le principe du jeu est similaire au Monopoly que l’on connaît aujourd’hui : un chemin de jeu carré, un système de rentes immobilières, des noms de rues, une case prison, etc. 

  • The landlord's game Lizzie magie
  • The landlord's game Lizzie magie

Pour obtenir la victoire dans The Landlord’s game, les conditions sont néanmoins différentes ou du moins, elles sont doubles : la victoire s’obtient soit par la coopération, soit en dépouillant les autres joueurs de leur argent. Dans le premier cas, les loyers ne sont pas versés aux autres joueurs, mais déposés dans un pot commun qui permet de financer les services publics de la ville. Lizzie Magie conçoit le jeu pour être un reflet du système d’accaparement des richesses par les propriétaires fonciers qui appauvrissent les locataires à travers la deuxième condition de victoire. 

Pour faire vendre son jeu, Lizzie Magie fonde sa propre maison d’édition ludique The Economic Game Company en 1906, mais le jeu n’est que peu vendu. En 1910, elle présente une version de celui-ci à la maison d’édition des Frères Parker (appartenant aujourd’hui au groupe Hasbro), mais ils refusent d’éditer son jeu qu’ils jugent trop politique. Elle vend une nouvelle version du jeu à « Adgame Company » en 1924, mais il n’y rencontre pas un franc succès. 

En parallèle, un homme du nom de Charles Darrow découvre le jeu en 1932. Celui-ci le reprend, le modifie et vend une version dérivée du jeu nommé Monopoly à la société d’édition des Frères Parker en 1935. 

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Monopoly, version brevetée en 1935 par Charles Darrow

La parenté du Monopoly avec The Landlord’s Game est nette. Mais ici, plus question de coopération : pour l’emporter, il faut ruiner les autres joueurs. Une règle toujours d’actualité puisque le livret d’Hasbro, la société d’édition du jeu, stipule : « pour tout posséder, il faut mettre tous ses adversaires en faillite ! ». En 1935, le jeu rencontre un grand succès et Charles Darrow ainsi que la société d’édition, deviennent millionnaires. Pour éviter la concurrence, les éditions Parker rachètent les droits du jeu de Lizzie Magie (la version de 1924) pour un total de 500 dollars. Celle-ci accepte afin que son message soit largement diffusé. L’ironie de l’histoire fera du jeu un symbole du capitalisme. 

Il faudra attendre les années 1970 pour que le rôle que Lizzie Magie a joué dans l’invention du Monopoly soit redécouvert. La société d’édition Parker Brothers intente un procès à Ralph Anspach, professeur américain d’économie à l’université, pour avoir créé et commercialisé un « Anti-Monopoly ». L’économiste organise sa défense en se référant au brevet de Lizzie Magie. La Cour d’appel et la Cour suprême rejettent alors la plainte de la société Parker. 

À Rennes en 2022, l’association la Toile Ludique rennaise, organisatrice du festival Rennes en jeux, crée le prix Lizzie Magie afin d’honorer l’héritage de cette créatrice de jeu spoliée de ses droits. Son objectif : récompenser l’engagement social, politique ou environnemental mis en œuvre lors de la création, la fabrication ou la diffusion de jeux de société. À titre d’information, les jeux récompensés en 2024 sont Atiwa de Uwe Rosenberg, qui sensibilise les joueurs aux enjeux environnementaux, et Kauri, de Charlec, qui porte un regard critique sur l’impact de la colonisation de la Nouvelle-Zélande. 

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