À Vienne, les vieux stands à saucisse impériaux font de la résistance face aux grandes chaînes de fast-food. Le photographe autrichien Stefan Fürtbauer leur rend hommage avec son projet Eiterquellen. Ses photos sont exposées à la Maison des associations de Rennes jusqu’au 26 février.

Vos photos décrivent des fast-foods que l’on ne retrouve pas en France. Pouvez-vous expliquer ce que sont ces stands à saucisses ?

Stefan Fürtbauer : Les stands à saucisses de Vienne ont été introduits pendant la monarchie austro-hongroise – vers 1870 –  afin de permettre aux vétérans de guerre blessés d’avoir un salaire. Depuis, c’est devenu une part essentielle de la culture urbaine, non seulement parce qu’ils vendent de la nourriture à emporter, mais aussi parce que c’est devenu un lieu de rencontre pour les ouvriers de Vienne comme pour la haute société.

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Comment vous est venue l’idée de photographier ces lieux ?

Stefan Fürtbauer : Au début, je crois que j’ai été attiré par leur fort aspect visuel, et une certaine contradiction avec l’idée de quelque chose de très traditionnel. Avec en plus mes sympathies et mon intérêt pour la ville et les habitants de Vienne, j’ai trouvé que cela avait du sens d’aller creuser un peu plus profondément.

Vos photographies capturent des lieux solitaires, plongés dans les ténèbres. Pourquoi avoir représenté ces stands de cette façon ?

Stefan Fürtbauer : L’isolement apparent d’objets lumineux, entourés par des ténèbres neutres, est très proche d’un spot de lumière à l’opéra. Cela n’a rien à voir avoir la solitude ou l’abandon, mais cela permet d’isoler un motif qui n’était alors que superficiel. Je n’ai pas représenté dans mes photographies la relation avec leur environnement ancien pour deux bonnes raisons. D’abord par souci de simplification et parce qu’il y a déjà une représentation universelle et bien établie de Vienne : Sissi et l’Empire austro-hongrois. Je crois vraiment que cette perception de l’imaginaire viennois (comme un souvenir d’un film de Sissi) couvre parfaitement l’envers du décor de ces stands isolés dans mes photographies.

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Quelles évolutions ont connues ces stands à saucisses ces dernières années ?

Stefan Fürtbauer : Les vieux stands viennois ont dû évoluer pour rattraper les chaînes internationales de fast-foods, les Kebabs et les restaurants asiatiques. Ils ont été rénovés, avec une architecture plus contemporaine, qui d’ailleurs n’est pas très éloignée du style des stands des années 60 aux États-Unis.

En France justement, on trouve surtout ces kebabs, ces restaurants asiatiques, ces chaînes de fast-food…

Stefan Fürtbauer : On observe la même chose à Vienne, mais les stands à saucisse de Vienne ont su se moderniser en restant fidèles à leur héritage. Les vieux stands en bois ont pour la plupart disparu, mais des stands reluisants style années 60 apparaissent à chaque coin de rue, ou presque. Ils vendent toujours les mêmes saucisses qu’il y a 150 ans, mais y ont ajouté des sushis, des desserts, des bières à la pression, et même certains du champagne. Et malgré toute l’offre de kebabs, de box de nouilles ou de falafels, au final, tous fonctionnent comme les stands à saucisses traditionnels, en créant du lien social.

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Quelle est leur place dans la culture populaire ?

Stefan Fürtbauer : Les stands à saucisse font partie de l’infrastructure de la ville, ce sont des artefacts culturels (et urbains), et un endroit populaire pour le plus grand nombre. Ils l’ont toujours été ! Ce qui rend ces endroits si spécifiques, c’est qu’ils se distinguent de la haute culture viennoise, ils sont en opposition avec la grandezza renommée de la ville, tout en étant un melting pot.

Quelle atmosphère ressent-on quand on commande son repas là-bas ?

Stefan Fürtbauer : À chacun de ces stands, à condition que vous preniez votre repas sur place plutôt qu’à emporter, l’atmosphère est cordiale, ouverte, bavarde. Vous pourrez toujours plaisanter avec le serveur, bavarder avec les autres personnes qui font la queue. Pendant que vous prenez votre Käsekrainer, vous êtes soit seul en bonne compagnie, ou bien vous pouvez bavarder avec un total étranger. Mais il y a sûrement un lien évident entre le degré d’intimité et l’alcool. Alors il n’y a rien d’étonnant à ce que, tard le soir pendant le week-end (ou encore mieux : tôt le matin) vous ayez de bonnes chances de vous faire de nouveaux amis et que vous vous amusiez autant que dans un bar ou en boîte.

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Avez-vous pu échanger avec ceux qui travaillent dans ces stands ? Qui sont-ils ?

Stefan Fürtbauer : Quand j’ai pris mes photos pour ce projet, je n’ai intentionnellement parlé à personne. Je ne me suis pas caché non plus, j’ai juste posé mon appareil photo sur un trépied, j’ai pris un peu de lecture et deux ou trois photos à chaque fois. Mais bien sûr, j’échange beaucoup avec eux quand j’y vais manger. Il n’y a aucun stéréotype de serveur de stand à saucisse, vous pourrez trouver toutes sortes d’histoires et de parcours intéressants. Cela va du chef de restaurant étoilé qui a fait un burn-out et qui vend maintenant des testicules de bœuf grillés, à l’ancien officier de police qui en a eu assez des patrouilles de la circulation, ou au maquereau qui faisait travailler ses filles sur cette même rue où il possède maintenant son stand. Mais vous trouverez aussi des étudiants, ainsi que ceux qui en ont fait leur métier depuis le début.

D’où vient le titre de votre projet, Eiterquellen (« Fontaines à pus »), et pourquoi l’avez-vous choisi ? Cela ne rend pas ces endroits attrayants…

Stefan Fürtbauer : Le langage de la banlieue populaire de Vienne est un langage cru qui est célébré précisément dans ces stands. C’est la principale raison pour laquelle j’ai choisi le titre de « Eiterquellen », « fontaines à pus », pour ce projet. Le langage viennois a trouvé des synonymes discutables pour la nourriture vendue dans ces stands comme la « fontaine à pus » qui décrit la « Kaesekrainer » une saucisse remplie de fromage. Quand on la cuit sur le gril, le fromage fond, et suinte à l’extérieur. Avec un peu d’imagination, ça ressemble à du pus. De préférence, on sert cette « Kaesekrainer » avec du « vomi » (de la moutarde) et dans un « cul » (un petit pain).

Stefan Fürtbauer
Stefan Fürtbauer

Exposition EITERQUELLEN Stefan Fürtbauer du lundi 29 janvier 2018 au lundi 26 février 2018, Maison des Associations, 6, cours des Alliés, 35000 Rennes, tarif : gratuit

L’ensemble de ce projet est à découvrir sur le site de Stefan Fürtbauer.

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