Pour ou contre le Brexit ? Simon Coss et Antoine Tracou sont partis à la rencontre des pêcheurs bretons (port du Guilvinec, Finistère) et anglais (port de Newlyn, Cornouailles). La frontière n’existe pas pour les poissons. Wait and Sea va à la rencontre de ceux qui, silencieux, vivent les interrogations du Brexit au quotidien. Nous avons rencontré les réalisateurs de ce documentaire.

 

Pêcheurs

Ce documentaire n’aborde pas de loi compliquée. Il n’évoque pas non plus les tentatives d’accords ping-pong entre Londres et Bruxelles. Antoine Tracou et Simon Coss explorent avec humanité l’ombre du Brexit qui plane au-dessus du secteur fragile qu’est la pêche.

Simon Coss est Anglais et vit en Bretagne depuis 20 ans avec sa femme, Française, et leurs deux enfants. Le 24 juin 2016 est une date que Simon n’oubliera pas : celle du vote en faveur du Brexit. En perdant la citoyenneté européenne, Simon perd le droit d’habiter en France. Qu’est-ce qui sépare vraiment la Bretagne de l’Angleterre ? La mer bien sûr !
Simon part avec son ami breton, Antoine Tracou, du port du Guilvinec (Finistère) pour aller de l’autre côté de la Manche, à Newlyn (Cornouailles) à bord d’un bateau de pêche. D’une part et d’autre de la Manche, c’est sûr, les avis divergent. En France, plus particulièrement en Bretagne, la pêche est instaurée dans la culture et la tradition. Ce n’est pas le cas en Angleterre, où le secteur est davantage fragilisé. Si Simon Coss se présente de manière assumée anti-Brexit, les pêcheurs anglais de Newlyn ne sont pas de cet avis.

Entretien avec les réalisateurs de Wait and Sea

Unidivers – Comment vous est venue l’idée de ce film ?

Antoine Tracou – juin 2016 : Le Brexit. Peu de gens imaginaient la tournure que les événements ont pris, c’est à dire le vote en faveur d’une sortie. Colère de Simon, stupéfaction de l’Europe, stupéfaction de ma part aussi, qui ai des attaches en Angleterre. On en discute ensemble et on s’est dit qu’il fallait faire de nos ressentiments quelque chose. Le film est né de cette envie de transformer une colère, une stupéfaction, en un film qui questionne.

Simon Coss – Je pensais que l’Angleterre allait voter pour rester. Je me suis réveillé un matin comme si le ciel m’était tombé sur la tête, me demandant ce qu’il allait m’arriver. Est-ce que j’aurais toujours le droit d’habiter en France ? Tout citoyen de l’Union Européenne peut aller vivre dans un autre pays de l’Union… Donc j’ai pris la nationalité française. La première chose qu’on a filmé, c’est le jour où je suis allé chercher mon passeport — ce sont aussi les premières images du film.

Antoine Tracou – Le passeport est assez représentatif d’une identité.

Simon Coss – On se disait que ça aurait pu être le début de quelque chose, et ça été le début de notre documentaire !

pêcheur

Unidivers – Et vous avez choisi la pêche …

Simon Coss – La Manche est un lien incontestable entre France et Royaume-Uni. La pêche s’est très vite imposée. Elle incarne très bien cette idée de destin partagé. Les marins-pêcheurs bretons et britanniques travaillent dans les mêmes eaux ! Demain la mer pourrait les diviser. La notion d’une frontière maritime est abstraite, il n’y a pas de ligne, c’est juste de l’eau.

Antoine Tracou – La Bretagne et la Grande-Bretagne sont des pays celtes. Rien de ressemble plus à un marin-pêcheur du pays bigouden qu’un marin-pêcheur de Cornouailles.

Unidivers – Vous avez réalisé le film à deux, pourtant la voix est donnée à Simon ?

Antoine Tracou – On a longtemps hésité à faire un film à deux voix. Le film s’est recentré sur Simon, parce que, finalement, ce sont Les Anglais qui ont fait ce choix. En tant que Français, je me positionne plutôt comme observateur essayant de comprendre ce qui va se passer quand un membre aussi important que la Grande-Bretagne quittera l’Union Européenne.
Mais Wait and Sea porte nos deux réflexions. Nous avions chacun des journaux de bord que nous mettions en commun. Je n’ai pas le même affect que Simon par rapport au Brexit, donc plus de recul. On nous appréhendait de façon différente, qu’on soit d’un côté ou de l’autre de la Manche. Les Anglais étaient curieux :  » Un Français, ici ? Mais pourquoi ça vous intéresse le Brexit ?  »

Simon Coss – C’est essentiellement Antoine qui a capté les images du documentaire. Et moi le son. Techniquement c’était pratique d’être deux.

Simon Coss

Unidivers – Pourquoi ce parti pris de ne pas du tout évoquer les hautes institutions européennes ?

Simon Coss – La notion d’identité européenne n’est pas facile à aborder. Comment peut-on illustrer quelque chose d’aussi conceptuel ? J’ai passé 10 ans à Bruxelles en tant que journaliste, à filmer des drapeaux (rires) ! S’entretenir avec des ministres, des commissaires européens, des experts etc, ne nous intéressait pas. L’Europe ne se résume pas à Bruxelles, comme la France ne se résume pas à Bercy. L’Europe c’est nous.

Antoine Tracou – Comment une politique régentée de très haut peut avoir des incidences sur quelque chose qui est multiséculaire ?! Le film ne juge pas un camp ou un autre, même si le parti pris que porte Simon (contre le Brexit, ndlr) est clair. Les pêcheurs dans Wait and Sea sont un peu des archétypes. Le marin-pêcheur, sa patronne (l’armatrice), ce sont des profils qu’on pourrait retrouver dans pleins de secteurs de l’économie, de la culture etc, d’un côté ou de l’autre de la Manche. Ils sont confrontés à des réalités économiques et organisationnelles qu’engendre le Brexit. Soazig Palmer Le Gall le dit dans notre documentaire : une sortie du Royaume-Uni sans accord aurait des conséquences désastreuses pour la pêche française, les pêcheurs français seraient obligés de travailler dans une zone maritime de la taille d’un mouchoir de poche. De plus, il ne faut pas oublier que pour un marin parti en mer, il y a quatre employés sur terre (mareyeurs, transporteurs, employés qui entretiennent et fabriquent les bateaux etc). Le Brexit déstabilise toute une filière. Sans parler du secteur culturel. La pêche est une identité dans le pays bigouden.

Rien de ressemble plus à un marin pêcheur du pays Bigouden qu’un marin pêcheur de Cornouailles.

Unidivers – Qu’est ce qui vous a dirigé vers le Finistère et les Cornouailles ?

Simon Coss – Le Finistère est une grande région de pêche. Soazig Palmer-Le Gall était d’accord pour qu’on tourne dans son armement.

Antoine Tracou – Le Gilvinec est le premier quartier maritime de France de marins-pêcheurs en nombre d’emplois.

Simon Coss –  Soazig nous a parlé du port de Newlyn, où ses bateaux vont parfois. La communauté des pêcheurs a voté à 90 % pour le Brexit là-bas. La première fois nous n’étions pas très rassurés, car en désaccord avec la majorité, mais tout le monde était ouvert et accueillant. Ils nous ont expliqués leurs choix. Entre les pêcheurs pro et contre Brexit, il n’y a pas d’animosité. Une incompréhension, peut être, mais pas d’animosité.

Antoine Tracou – Il y a un grand respect de ce qu’ils sont les uns pour les autres.

David et Soazig
David (pêcheur indépendant) et Soazig Palmer-Le Gall (armatrice du port du Guilvinec) lors de leur rencontre au Guilvinec.

Unidivers – Vous comprenez davantage leur position ?

Simon Coss – Ils ont voté avec leurs tripes, pas avec leur tête. Le Brexit est totalement émotionnel. Je comprends leur vote, je comprends leurs arguments. Ce qui importe pour les Anglais, c’est qu’ils aient la souveraineté, le monopole du choix, de qui peut venir ou non pêcher dans leurs eaux. Le problème se trouve dans la vente. Les Anglais consomment peu de poisson. Entre 75% et 80% des exportations du poisson pêché par les Anglais partent en Europe. C’est énorme.

Elisabeth Stevensen
Elisabeth Stevensen, Armatrice du port de Newlyn.

Antoine Tracou – La mer celtique fait partie de la plus riche en poissons au monde. Pourtant l’Angleterre n’exploite pas assez ce secteur. L’Europe est un bouc émissaire facile quand on ne veut pas regarder la responsabilité de son propre gouvernement. Je ne pointe pas l’Angleterre précisément, dans plusieurs pays européens il y a une montée de l’euro-scepticisme. Mais on colle vite à l’Europe, aux institutions européennes, à la politique européenne, à peu près tous les maux. Même si elle est loin d’être parfaite.

Simon Coss – Oui, le fonctionnement démocratique en Europe est quand même à questionner. Les grandes décisions sont prises au sein de conseils des ministres, mais toutes ces discussions ont lieu à huis clos !

Antoine Tracou – Une partie des citoyens ne se retrouvent pas dans l’Europe. Cette dichotomie entre la tête pensante et le peuple, on la retrouve dans le documentaire, au travers de la pêche. Simon, en tant que Britannique, vivant dans un pays européen, n’a pas pu voter. De la même façon que lorsqu’on est citoyen européen, vivant au Royaume-Uni, on ne peut pas voter non plus. Les processus démocratiques doivent évoluer !

wait and sea

Unidivers – Un deuxième volet après Wait and Sea ?

Antoine Tracou – Oui, c’est l’idée ! Le leitmotiv du film c’est l’attente, l’interrogation, le flou … On peut imaginer que dans quelques mois la situation va se décanter et cela va avoir un impact direct sur les personnes que nous avons rencontrées pour Wait And Sea.

Simon Coss – La semaine prochaine à Lorient, Soazig Palmer Le Gall (Armatrice au Gilvinec) et Elizabeth Stevenson (Armatrice à Newlyn) vont se rencontrer dans le cadre d’une réunion professionnelle. Elles vont se rencontrer pour la première fois, on sera là-bas pour filmer ! Il faut qu’on se laisse passer du temps évidemment, que la nouvelle situation s’installe.

Antoine Tracou – … Et que le calendrier politique avance …

1.2 million de personnes nées au Royaume-Uni vivent dans un pays de l’Union Européenne (source: Nation Unies). L’Espagne arrive en tête des hôtes avec 308 000 Anglais. L’Irlande arrive seconde (254 000) et la France, en 3e place avec 185 000 Anglais.
Selon l’Office for National Statistics, 2 938 000 citoyens européens (hors Royaume-Uni) vivaient en Angleterre en 2014, soit 4,6% de la population anglaise.
Ces quelques 4 138 000 personnes n’ont pas eu le droit de voter pour le référendum du Brexit.

Dans l’esprit de tous, l’interrogation persiste. Et après ? Des conflits éclateront quand les eaux deviendront un terrain de survie économique pour les pêcheurs.

Wait and Sea, dans les eaux troubles du BrexitSimon Coss et Antoine Tracou (2019) . 0h53 – co-produit par Aligal Production et France 3 Bretagne. La version originale du documentaire (doublée en français) est disponible dans la section documentaires du site internet de France 3 BretagneWait and Sea était présenté en sélection officielle lors du Dinard Film Festival 2019.

Les réalisateurs

Simon Coss
Simon Coss

Simon Coss est réalisateur et journaliste anglais, Il a travaillé pour la chaîne publique britannique la BBC, la chaîne franco-allemande, ARTE, ainsi que pour l’agence de presse internationale Agence France Presse (AFP). Il a une connaissance approfondie de la politique européenne Il a habité et travaillé pendant plusieurs années à Bruxelles, d’abord à la Commission européenne, puis comme journaliste spécialisé sur l’Europe. Simon habite à Rennes.

Antoine Tracou
Antoine Tracou

Antoine Tracou est réalisateur de films documentaire et de magazine. Il a travaillé pour des chaînes de télévision publiques (ARTE, France 2, France 3, France 5). En 2009, il cofonde l’association l’Atelier d’ARAN pour mettre son expérience au service de ses engagements et convictions citoyennes. C’est dans cette association qu’il rencontrera Simon Coss. Antoine habite à Rennes.

 

 

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