Quelques mois après Un Certain Paul Darrigrand, Philippe Besson publie Dîner à Montréal, troisième volet d’une trilogie autobiographique parue aux éditions Julliard.

Philippe Besson Dîner à Montréal
Couverture : © Planpicture – Yvonne Rôder

De quel droit, nous autres lectrices et lecteurs, nous invitons-nous à ce dîner-là ? Car les quatre protagonistes de la séquence, Philippe, Paul, Isabelle et Antoine se suffisaient peut-être à eux-mêmes ? Mais le lecteur est voyeur, et comme Philippe Besson a aiguisé notre curiosité parfois limite et friande via « Arrête avec tes mensonges » et Un certain Paul Darrigrand, nous resterions bien sur notre faim en ignorant le dernier volet de cette trilogie. Et rester sur sa faim lors d’un dîner ce serait fâcheux.

Mais le restaurant, l’ambiance feutrée, les plats, les boissons, les clients alentour ne sont que des éléments de décor, des prétextes pour installer l’intrigue. Dès l’ouverture de cette joute littéraire, on devine que l’on est au théâtre où les unités, de lieu, de temps, d’action seront scrupuleusement respectées. Et pour ce jeu de massacre, il ne pouvait en être autrement. Attention rien du boulevard, ici l’art réside dans une subtilité monstrueuse.

Besson dégaine rapidement. Il ne perd pas de temps. Les phrases sont courtes, tranchantes, le ton est sec. Parce qu’il a besoin de savoir, parce que Philippe, le personnage a besoin de savoir tout de Paul depuis leur rupture trente ans plus tôt. Mais pourquoi, si ces deux-là ont des choses à se dire, sont-ils en présence de leurs conjoints respectifs ? Parce que la séquence serait moins équilibrée. Après tout, Isabelle est la femme de Paul et quand les deux hommes se sont aimés dans les années 80, elle était déjà la compagne de Paul. Sa présence semble donc légitime autant que celle du jeune homme, Antoine, le compagnon tout récent de Philippe. Il jouera son rôle de témoin, tantôt amusé, tantôt amuseur et permettra des rebonds indispensables comme des pastilles colorées, évidant ainsi les lourdeurs de la situation. Ses vingt ans ne sont pas là non plus par hasard, ils permettent de renforcer la notion du temps qui passe. C’est cruel, mais nécessaire.

Au fil du repas, Philippe et Paul vont donc tenter de dialoguer (attention les silences, les regards, les gestes sont aussi pertinents que les échanges verbaux), d’analyser pourquoi leur histoire passionnée, incandescente de leur jeunesse bordelaise, rétaise fut aussi brève. Est-ce que l’un aimait plus que l’autre, est-ce que l’autre aimait sincèrement l’un ? L’heure des vérités, de l’adieu aux faux-semblants a sonné. C’est au menu ce soir à Montréal (la ville où vit le couple Isabelle-Paul, la ville où Philippe est venu dédicacer l’un de ses romans), et les plats ne seront pas toujours digestes, au-delà des mondanités de façade. Il vient rapidement le moment où chacun doit payer l’addition d’un temps que l’on regrette ou pas, des remords que l’on a éprouvés ou pas. Mais la note est salée !

Que reste-t-il de nos amours ? Sont-elles défuntes ou perçoit-on encore quelques lueurs dans le regard de l’autre entre deux verres, entre deux trois bouchées ? Que reste-t-il du désir qui nous a emportés, il y a trente ans ? Est-ce que les choses s’éteignent, est-ce qu’on s’est réellement aimé avant même de se trahir, de fuir, se taire ou se conformer par lâcheté peut-être à la « norme » sociale ?

C’est monstrueusement savoureux. On pourrait craindre l’indigestion quand on sort de là… Il n’en est rien, car tous les ingrédients sont savamment pesés, mesurés, et mariés. Les deux personnages principaux ne sont pas victimes de leur histoire commune, ils ont joué leur vie. Sincères et authentiques. Entre mensonges et quelques vérités. Comme nous tous !

Philippe Besson, Dîner à Montréal, Paris, Éditions Julliard, 200 pages. Parution : mai 2019. Prix : 19,00 €.

 

Philippe Besson Dîner à Montréal
Philippe Besson © DR

Depuis ses premiers pas en littérature, en 2001, Philippe Besson est devenu un romancier de premier plan traduit dans une dizaine de pays, dont les États-Unis, l’Allemagne et l’Italie. Il a publié près d’une vingtaine de romans, dont, entre autres, Son frère, adapté au cinéma par Patrice Chéreau, En l’absence des hommes, L’Arrière-saison, La Maison atlantique ou encore, Un personnage de roman, Arrête avec tes mensonges et Un certain Paul Darrigrand.

Christophe Maris
Christophe Maris est journaliste et écrivain, agrégé de Lettres modernes. Il collabore à plusieurs émissions de TV et radio et conçoit des magazines pour l'enseignement où il a oeuvré une quinzaine d'années en qualité de professeur de lettres, d'histoire et de communication.

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