Que se cache-t-il derrière le Digital Labor ? Partager une vidéo, commenter un article, aimer une photo… Ces gestes sont devenus fréquents pour un le grand nombre d’utilisateurs des réseaux sociaux. Derrière ces actions, se dissimule néanmoins une réalité dont beaucoup n’ont pas conscience : un clic ou une simple recherche internet créent de la valeur. Sans s’en rendre compte, les utilisateurs fournissent un travail quotidien de faible intensité, mais fort de conséquences économiques pour les grandes entreprises des technologies numériques.

Par digital labor, nous désignons les activités numériques quotidiennes des usagers des plateformes sociales, d’objets connectés ou d’applications mobiles. Néanmoins chaque post, chaque photo, chaque saisie et même chaque connexion à ces dispositifs remplit les conditions évoquées dans la définition : produire de la valeur (appropriée par les propriétaires des grandes entreprises technologiques), encadrer la participation (par la mise en place d’obligations et contraintes contractuelles à la contribution et la coopération contenues dans les conditions générales d’usage), mesurer (moyennant des indicateurs de popularité, réputation, statut, etc.). Antonio Casilli, Qu’est que le Digital Labor ?, 2015, co-écrit avec Dominique Cardon, Éditions de l’INA

Digital labor : comment l'on vous fait travailler gratuitement
Antonio Casilli, auteur de Qu’est ce que le digital labor ? avec Dominique Cardon.

À défaut d’une traduction française efficace, le terme de digital labor s’est imposé dans le champ universitaire afin de caractériser les actions des utilisateurs des différentes plates-formes du Web qui génèrent une création de richesses. Chaque jour, les utilisateurs de Facebook, Google ou Amazon produisent des données numériques en entrant un mot dans une barre de recherche ou en likant une photographie. Chaque contribution permet de perfectionner les résultats obtenus lors d’une recherche, chaque partage d’information fait vivre la plate-forme sur laquelle vous la publiez. Toute action est quantifiée, les données numériques qu’elle produit sont analysées puis exploitées par les grandes entreprises des nouvelles technologies.

Le digital labor prend des formes multiples : au travers des réseaux sociaux et de leur injonction constante à aimer, partager, commenter, signaler les abus, etc. Au travers également des sites de service à la personne qui vous assistent, mais récoltent vos données de géolocalisation ou vos préférences pour optimiser leurs sites. Dans certains cas, les plates-formes rémunèrent à minima leurs utilisateurs. Le Mechanical Turk mis en place par Amazon rétribue financièrement les « digital laborer » pour un travail répétitif ne nécessitant aucune compétence spécifique. Leurs tâches vont du tri des musiques sur une playlist au visionnage de vidéos afin de produire des bases de données organisées.

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Le Recapchat de Google

La finalité du digital labor est d’améliorer les algorithmes existants et mis en place par les sites web ou applications mobiles. Les intelligences artificielles derrière ces plates-formes ne peuvent pas tout, cela explique pourquoi les entreprises des nouvelles technologies ont recours à l’utilisateur pour combler leurs lacunes. Un exemple parlant, mis en avant par Antonio Casilli, est celui du reCAPTCHA utilisé par Google. Derrière le motif affiché de distinguer un homme d’un logiciel robotisé par la reconnaissance de lettres, l’utilisateur « contribue de fait à la numérisation de textes du service propriétaire de Google Books ».

Existant depuis le début des années 2010, le reCAPTCHA de Google porte aujourd’hui ses fruits. Une étude publiée en 2011 par trois chercheurs de l’Université Stanford montrait notamment que ce système utilisé par Google était le plus performant, celui qui résistait le mieux aux robots et leurs algorithmes contrairement à d’autres CAPTCHA. Pour Luis von Ahn, concepteur du test, les intelligences artificielles se sont améliorées au point d’être en capacité de fournir quantitativement et qualitativement quasiment le même travail que les internautes sur certaines questions posées. L’heure est donc à l’innovation chez Google, alors même que près de 200 millions de reCAPTCHA sont soumis par jour par des internautes du monde entier. Peu à peu, le système est appelé à se transformer et à devenir invisible. Dorénavant, Google ne demandera plus le concours de l’utilisateur pour décoder une image et s’assurer de son humanité. Grâce aux données personnelles de navigation de chacun, la plate-forme sera en mesure de vérifier l’identité de l’internaute.

La problématique du Digital Labor réside dans ces actions que nous réalisons en ligne tous les jours, sans que la conscience du travail accompli ne se manifeste. Pour Antonio Casilli, sociologue spécialiste des réseaux sociaux, la logique même du digital labor est de faire en sorte que l’utilisateur des plates-formes du Web n’assimile pas son activité à un travail, par exemple en insistant sur le côté ludique de la tâche à accomplir. C’est une réalité qui se vérifie particulièrement sur les plates-formes de socialisation comme Twitter ou Facebook. Beaucoup considèrent la publication ou le partage de contenus comme un jeu, sans nécessairement comprendre que la moindre de leurs actions améliore le logiciel du site. La césure entre le travail et le loisir devient si poreuse que l’un et l’autre ne se distinguent plus dans l’œil de l’utilisateur.

Bien souvent, la maîtrise des données et du travail fourni échappe à l’utilisateur du fait de la signature des « Conditions générales d’utilisation » préalable à toute utilisation ou inscription sur une plate-forme. La gratuité affichée par nombre de réseaux sociaux ou sites internet est en conséquence toute relative si ce n’est factice. Les données personnelles et le travail de faible intensité demandé à chaque utilisateur deviennent monnaies d’échange du vaste marché du numérique.

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Laura Brassier
Laura Brassier est étudiante en 3e année à Sc. Po. Elle réalise son stage de web-journalisme à Unidivers.

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