Le Covid a durablement modifié le rapport au travail. Il a suscité ou renforcé le désir chez de nombreux jeunes et moins jeunes de consacrer plusieurs heures par jour à un travail à la fois plaisant, du moins pas déplaisant, qui se déroule dans des conditions acceptables et non-stressantes ou, dans le cas contraire, avec des heures bien rémunérées. Le travail dénué d’intérêt, difficile et mal payé, ça n’attire plus. Comme c’est étrange… Pourtant, avant la crise sanitaire, nombre de personnes acceptaient ce genre de travail car le conditionnement de notre société économique les y incitait ; mais le Covid a comme levé un voile, brisé le charme, plutôt l’ensorcellement diront certains. Conséquence, plusieurs secteurs professionnels font face à des difficultés de recrutement. Privé comme public.

C’est le cas d’une grande partie des secteurs traditionnellement mal rémunérés comme la restauration, surtout au regard des contraintes horaires propres à ce secteur. (La grille de la convention collective permet à un restaurateur de payer au Smic l’essentiel de son personnel !). Moins médiatisé, et pourtant… la fonction publique.

La France compte près de 6 millions d’agents publics. Dans ce cadre, la puissance et les employeurs publics jouissent d’amples fonds financiers et d’avantages privilégiés dont certains dérogent à la règle de droit commun. Par exemple, nombre d’établissements publics multiplient les CDD de vacataires (parfois des dizaines durant des années jusqu’à 6 ans). Ces derniers étaient (et sont encore pour quelques-uns) motivés par le Graal : passer les concours pour décrocher un poste de fonctionnaire. Une place à vie. Quasi indéboulonable. Et une progression salariale lente mais constante. Surtout, assurée. La sûreté de l’emploi, tout reposait dans ce syntagme. Auparavant. Mais voilà : l’argument ne suffit plus à faire rêver. Il ne fait plus recette, car la recette mensuelle n’est pas suffisante.

Le traitement indiciaire (la grille salariale) qui est déjà peu attractive en début de carrière toutes catégories confondues (C, B, A, A+) vire à l’exploitation en ce qui concerne la progression de la catégorie C. Elle débute au smic et termine avec un revenu maximal de moins de 1800€ nets, soit une progression de 1 euros par mois avant de partir à la retraite avec une timbale généralement inférieure à un… smic net. Tu m’étonnes que cela ne fasse pas rêver ! Cette faible progression salariale des agents publics s’explique notamment par de maigres revalorisations qui n’ont pas suivi l’inflation accumulée entre 2003 et 2023. « Entre 2013 et 2020, le salaire net moyen du secteur public a augmenté de 8,8 %, tandis qu’il a progressé de 14,3 % dans le secteur privé. Le gel prolongé du point d’indice a miné le système de rémunération et l’attractivité des métiers des services publics » remarque Johan Theuret, directeur général adjoint de Rennes et Rennes métropole, dans une tribune au « Monde » en date du 3 février 2023. Résultat : la fonction publique en France voit son attractivité et le nombre de candidats aux concours en baisse continue.

Et ça c’est bien vrai en Bretagne.

Plus qu’ailleurs ?

Il faut comprendre le contexte national pour comprendre le local. En pratique, si tous les fonctionnaires de la fonction publique (État, territoriale et hospitalière) sont susceptibles de bénéficier de primes et d’indemnités qui constituent le régime indemnitaire, la plupart des primes (dont la quantité confine à l’illisible) sont facultatives et mises en place différemment selon les collectivités et leurs établissements publics. Les collectivités sont autonomes en la matière, elles font ce qu’elles veulent et ne communiquent pas leurs chiffres. Aussi la présente analyse repose-t-elle sur nos échanges avec différents fonctionnaires et haut-fonctionnaires, lesquels s’accordent dans le constat global. Un tableau éloquent nous a été brossé par un membre haut placé du ministère de la Transformation et de la Fonction publiques :

« En ce qui concerne les postes A et A+, mais aussi certains de catégorie B, voire C dans de petites communes, un fonctionnaire territorial peut, par exemple en négociant son acceptation d’un poste dans une territoire peu attractif qui peine à recruter, augmenter sa rémunération de 40% en primes, bonifications et avantages divers. Où sont les tableaux comparatifs, me direz-vous ? Vous ne les trouverez nul part. Curieusement, la presse administrative ne pipe mot à ce sujet. Car chaque collectivité prend un soin jaloux à ne pas divulguer ce type d’informations, autrement dit les marges de négociations possibles et les primes qu’elle est susceptible d’accorder dans les simulations de salaires. Le mot d’ordre dans les collectivités de la République : think localy, act localy et optimise – au plus juste de tes marges financières – le manque ou l’excès d’attractivité de ta collectivité. Ce dernier rôle incombe à la direction des ressources humaines. C’est ainsi que, tout à l’inverse, une commune pourra décider, dans le cadre d’un recrutement à un poste en principe de catégorie A, de retenir un fonctionnaire de catégorie B à qui elle offrira une confortable prime ; au final, cela fera à la première une belle économie et au second un revenu bien supérieur à son point d’indice. Et pourquoi l’Etat ne bronche-t-il pas devant cette carte de France de moins en moins homogène ? Tout simplement car, dans la veine de la déconcentration, cette gestion d’inspiration « privée » laisse bel et bien aux collectivités la latitude de leur stratégie de développement. Cerise sur le gâteau, toutes ses primes, qu’elles soient petites ou grandes, ne rentrent pas dans le calcul de la retraite des intéressés. L’Etat n’a donc aucune raison de sourciller.« 

En ce qui concerne la région bretonne, l’attrait certain qu’elle exerce peine de plus en plus à compenser la faiblesse des rémunérations proposées par les collectivités bretonnes. La majeure partie des communes, la ville et métropole de Rennes, les quatre conseils départementaux et le conseil régional pratiquaient et pratiquent en complément de la grille indiciaire un versement de primes et/ou de la nouvelle bonification indiciaire (NBI) traditionnellement inférieur à la large majorité des autres agglomérations et régions de France.

C’est dans ce cadre et afin d’enrayer une tendance qui promet de virer à l’hégémonie avec les prochains départs à la retraite (40% d’ici à 2030) que les collectivités territoriales bretonnes ont lancé fin janvier un portail intitulé DEN.bzh et le Conseil général d’Ille-et-Vilaine une campagne de communication y relative. Une qualité humaine, environnementale et déringardisée y est mise en avant. Mais suffit-elle à nourrir son fonctionnaire ? On peut en douter. Et, en contrepoint, suffira-t-elle à préserver les services publics, lesquels traversent une profonde crise alors même que la majorité des Bretons comme des Français souhaitent leur maintien ? Là est la question. Et on peut tout autant en douter.

La réponse à long terme ? Elles sont multiples. Deux semblent avoir le vent en poupe en cette période de réforme des retraites. Certains, radicaux, en appellent à la fin des partenariats public-privé et une augmentation significative de la quantité et des revenus des fonctionnaires dans toutes les communes en pompant dans d’autres lignes budgétaires telles que l’armée. D’autres, alternatifs, préconisent un redéploiement de la présence des services publics dans tout le territoire grâce à la migration par choix consenti d’une partie des fonctionnaires et le renouvellement de la plupart des nouveaux postes à pourvoir par des contractuels de droit commun, ces derniers seraient payés à partir de la grille des premiers mais recevraient une généreuse gratification en compensation d’une obligation de résultats et d’être licenciables pour cause réelle et sérieuse. Bref, l’éventail des possibles est fonction des conditionnements idéologiques de chacun, de sa vision de ce qui motive les individus socialisés à travailler, plus spécifiquement dans le modèle français.

Quoi qu’il en soit, nous ne voyons pas comment la puissance publique et les collectivités, notamment bretonnes, pourront éviter à court et moyen terme de faire l’économie de l’une ou/et l’autre des solutions suivantes : à l’échelon national, relever significativement le point d’indice, en particulier pour la catégorie C ; à l’échelon local, en particulier dans les zones les moins recherchées, augmenter les primes des fonctionnaires et contractuels, raffiner le bien-être (semaine de 4 jours et télétravail), renforcer le pouvoir d’achat (renforcement de l’aide à la mutuelle et de la valeur des tickets restos)… C’est ce qu’a dû comprendre – nécessité publique fait loi – la commune d’Orgères près de Rennes :

« Les Centres de Gestion bretons ont décidé d’unir leurs forces pour créer une marque employeur régionale qui a pour objectif de valoriser l’attractivité de la Fonction Publique Territoriale bretonne, ses métiers variés, son territoire dynamique et engagé, ses formations adaptées. Le lancement de ce portail internet DEN.bzh dédié à l’emploi et destiné au grand public, est un aboutissement concret de la marque employeur.

Les Centres de Gestion de la Fonction Publique Territoriale sont des établissements publics locaux à caractère administratif qui accompagnent au plus près les collectivités territoriales (mairies, conseil départemental, conseil régional, communautés de communes…). En Bretagne, on en dénombre ainsi quatre (Côtes d’Armor, Finistère, Ille-et-Vilaine, Morbihan). Semblable au fonctionnement d’une agence intérim dans le secteur privé, ces services intérim dans la Fonction Publique Territoriale ont été créés pour répondre aux demandes de personnel temporaire des collectivités en mettant à leur disposition du personnel qualifié, disponible et sensible aux valeurs du service public. »

Consultez le site DEN.bzh ici

Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il a créé en 2011 le magazine Unidivers dont il dirige la rédaction.

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