Et si on quittait l’Hexagone au profit de l’autre côté des montagnes. Le temps de quelques pages avec Kevin Canty dans l’Idaho, le Montana, la nature profonde et l’immensité des États américains. Dont on parle finalement assez peu en dehors du cinéma, de la littérature. Parfois de la musique…

KEVIN CANTY

De l’autre côté des montagnes, nous plonge dans la petite ville de Silverton, Idaho au cœur des années 1970. Et l’utilisation du verbe « plonger » semble totalement appropriée tant on pense ne jamais pouvoir sortir de là, dès lors qu’on y a mis les pieds, qu’on y a déposé ses quelques effets, qu’on y a entraîné éventuellement celui ou celle qu’on aime. Qu’y a-t-il d’autre à faire à Silverton sinon que d’y travailler, bloqué au fin fond de la mine, accoudé le week-end à boire plus que de raison avec les autres, que coucher avec les quelques filles ou les quelques mecs du coin, histoire de fuir son ennui ? De repousser le moment fatidique où la mine nous gardera prisonnier de ses galeries, où le poing d’un autre viendra nous écraser le larynx, où l’on deviendra parent sans réellement l’avoir désiré… ??? Vaste programme. Et pourtant…

Le roman de Kevin Canty pourrait s’apparenter à Zola si on lisait trop rapidement les pages décrites avec une authenticité glaçante sinon parfois brûlante – tout comme les hivers et les étés qui rythment le quotidien pénible de ses personnages -, si l’on ne savait s’extraire avec subtilité du tableau recouvert par la poussière des résidus miniers, si l’on ne poussait pas l’effort à discerner ce qu’il existe de bon dans le caractère de David, d’Ann, de Jordan, de Ray… Et des autres. Donc rien à voir avec Germinal.
Nul n’est parfait, mais nul n’est bon non plus et la vision de l’auteur est d’une justesse redoutable. Quant à la créativité qu’il met dans les ambiances, elle attire autant qu’elle apeure. Mais tels les tentacules d’une pieuvre, nous sommes retenus sinon parfois même totalement asphyxiés.

KEVIN CANTY
Kevin Canty

Avant l’incendie qui emportera une partie de la ville, le lecteur est dans une attente presque insupportable. On redoute, mais on demeure excité par la tragédie à venir. Après l’incendie, on se délecte presque avec un sentiment malsain de l’analyse des conséquences du drame, sur les uns les autres, sur la nature ambiante. Et tous comme les personnages, on voudrait s’échapper, pourtant on semble retenu par la ville, par la douleur, par cette terre-là. Avec une pudeur non feinte, Kevin Canty nous décrit l’indicible : quand on échappe de justesse à la mort, nourrit-on nécessairement l’envie de vivre encore un peu ? Quand on a frôlé la Faucheuse, où puiser les forces de la résilience ? Est-ce que côtoyer le pire nous rend meilleurs ?

S’inspirant d’un fait réel survenu en 1972, Kevin Canty nous offre là un roman débordant d’humanité.

De l’autre côté des montagnes, un roman de Kevin Canty aux Éditions Albin Michel. 260 pages. Parution : février 2018. 22,00 €. Traduit de l’américain par Anne Damour.

Christophe Maris
Christophe Maris est journaliste et écrivain, agrégé de Lettres modernes. Il collabore à plusieurs émissions de TV et radio et conçoit des magazines pour l'enseignement où il a oeuvré une quinzaine d'années en qualité de professeur de lettres, d'histoire et de communication.

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