Dans Couleurs de l’incendie, Pierre Lemaitre poursuit son récit entamé avec Au Revoir là-haut. Les années trente encadrent une terrible histoire de vengeance et de libération. Un récit haletant et étrangement contemporain.

PIERRE LEMAITRE

Il est des vins que vous buvez au cours d’un repas sans y prêter trop attention, des vins qui accompagnent les mets, auxquels on pense seulement après la dégustation. Par le goût qu’ils vous laissent en bouche, par leur souvenir. Les livres de Pierre Lemaitre sont un peu identiques à ces vins. Le lecteur tourne les pages les unes après les autres. Les phrases glissent aisément, les mots coulent rapidement. Mais à la fin du livre, on se rend compte alors du plaisir que l’on a pris, de l’envie croissante d’atteindre le dénouement.

PIERRE LEMAITRE INCENDIE

L’auteur qui était prisé surtout pour ses romans policiers, avant de connaître la consécration avec le Goncourt 2013 pour Au revoir là-haut (adapté au cinéma par Albert Dupontel et en Bande Dessinée par Christian De Metter) a toujours eu l’habitude d’emmener ainsi le lecteur à ses côtés, de le promener sans temps mort d’univers en univers. De ses « polars », Pierre Lemaitre a gardé l’écriture simple, efficace, n’hésitant pas parfois à nous choisir comme témoin, à nous parler comme à un ami. Après l’immense succès public d’Au revoir là-haut, on attendait donc avec impatience, le deuxième tome d’une suite annoncée qui devrait se prolonger avec l’exode de 1940, pour se terminer, plusieurs ouvrages plus tard, en 2020.

Couleurs de l’incendie, qui peut se lire isolément, débute ainsi en 1927, sous les auspices de la grande crise financière mondiale qui couve. Marcel Péricourt, patriarche intransigeant à la tête d’un important empire financier, vient de décéder. Lors de ses obsèques, son petit fils Paul est mystérieusement défenestré et tombe sur le cercueil de son grand-père. Tout désormais repose sur les épaules de Madeleine, fille de Marcel et mère de Paul. On devine qu’en cette fin des années 20, Madeleine ne va guère faire le poids. Les femmes ont compté pendant l’effort de guerre. Celui-ci terminé, on les renvoie aux fourneaux ou à leur rôle de génitrice, selon leur classe sociale.

PIERRE LEMAITRE

Avec un plaisir d’écriture évident, s’appuyant sur une riche documentation pourtant invisible, Pierre Lemaitre trace le portrait d’une époque, d’une classe sociale, celle de la grande bourgeoisie affairiste, engoncée dans un carcan moral de façade. Les hommes sont tout. Du moins en apparence. Ils détiennent l’exclusivité du pouvoir politique comme Charles, l’oncle de Madeleine et député, dont les seules qualités sont d’avoir été le frère de Marcel. Ils détiennent le pouvoir économique comme Gustave Joubert, fondé de pouvoir, gris et médiocre sous sa redingote figée. Très vite ces hommes vont ruiner Madeleine, profitant de son inexpérience et du conformisme social auquel, inconsciemment, elle se plie.

Aussi rapidement que cette scénographie s’est mise en place, le livre va basculer pour nous offrir le lent écrasement de ces mâles dominants, qui ne voient guère plus loin que leurs intérêts immédiats. Le roman devient alors le roman de la vengeance et le roman de femmes. Le roman de Madeleine, évidemment, transformée par ce sentiment d’injustice mais aussi celui de Vladi, cette employée polonaise, au formidable entrain sexuel et à l’optimisme débridé. Ou celui encore de Solange Gallinato, véritable Castafiore, qui saura, sous des apparences de grand-guignol contester à sa manière la naissance du III ème Reich, à Berlin même. Magnifiques portraits de personnages secondaires mais vivants.

 

Pierre Lemaitre alterne l’ironie, la noirceur, le suspense mais avec cette fois-ci des thèmes qui résonnent de manière contemporaine dans nos esprits: comptes anonymes dans des banques suisses, fraude fiscale, indépendance de la justice, rôle de la presse, caractère artificiel des fortunes boursières, pédophilie, autant de travers qui rendent le propos de l’auteur plus profond et plus cynique que ces précédents ouvrages. On rit jaune quand Charles se trouve nommé à la tête d’une commission chargée de lutter contre la fraude fiscale, lui qui a toujours combattu l’impôt. On maugrée lorsque des grandes fortunes envoient leur argent en Suisse sur des comptes anonymes. L’auteur nous promène ainsi, allègrement, d’un monde à l’autre, celui de l’aéronautique à celui de la presse, celui de 1929 à celui de 2018.

CAHUZAC

En refermant l’ouvrage, malgré le siècle écoulé, on a le sentiment étrange de lire une histoire d’aujourd’hui. Comme si rien n’avait changé. Comme si l’actualité et la politique faisaient du sur-place. Comme si Charles Péricourt pouvait s’appeler Jérôme Cahuzac ou la crise de 1929 être celle des subprimes. Et cela est particulièrement déroutant. Et surtout, passionnant.

Couleurs de l’incendie un roman de Pierre Lemaitre. Éditions Albin Michel. 535 pages. 22 €.

1 février Pierre Lemaitre à Amiens
Rencontre et dédicace à partir de 18h à la librairie Martelle.
3 rue des Vergeaux
80000 Amiens

2 février Pierre Lemaitre au Havre
Rencontre et dédicace à partir de 18h à la librairie La Galerne.
148 rue Victor Hugo
76600 Le Havre

3 février Pierre Lemaitre à Yvetot
Rencontre et dédicace à partir de 11h à la librairie La Buissonnière.
10 Place Victor Hugo
76190 Yvetot

Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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