Tel Anubis (dieu égyptien de la mort et de l’embaumement des corps), la Rennaise Delphine Durand restaure les êtres perdus, blessés, les âmes errantes de 61 poètes, peintres ou anonymes, torturés. Vers sombres chamarrés de peintures énigmatiques, aux tâches évaporées, Connaissance de l’ombre est son premier recueil.Connaissance de l'ombre

C’est sa rencontre avec l’écrivain Hubert Haddad qui a planté la première graine de ce recueil de poèmes. “Je n’avais jamais écrit de poème et il m’a dit : « vous êtes un poète” explique l’auteure. Connaissance de l’ombre lui est d’ailleurs dédié. Elle poursuit : “Nos univers sont semblables, comme des miroirs jumeaux. J’ai toujours admiré son travail. Un rêve de glace, qui est son premier roman, est très important pour moi. Son dernier roman Un monstre et un chaos fait d’ailleurs écho à mon recueil. Il parle avec une grande beauté de la monstruosité chaotique de l’homme, de la shoah, de cette horreur qui revient sans cesse. »
En retour, Haddad commentera Connaissance de l’ombre avec un très beau texte sur le site Poezibao.

“Pour ce premier ouvrage, je voulais rendre hommage à ma famille de nuit, aux grands poètes qui m’ont inspirée. Aujourd’hui la poésie aurait tendance à tomber dans une certaine fadeur.” Et c’est chose faite. Entre autres : Emily Dickson, Giovanni di Paolo, Yeats, Alexandre Block, Zlnaïda Raïkh, Kafka, Haïm Nahman Bialik… Entre pulsion de la mort et dépassement de la lumière, Delphine Durand se laisse traverser par les ombres et accouche sur le papier les quelques 61 poèmes : “J’ai une écriture plutôt médiumnique. Connaissance de l’ombre n’est pas seulement un titre ténébreux. Je me mets en état de spirit et je me laisse envahir. C’est assez inexplicable.”

Serge Kantorowicz
Illustration de Serge Kantorowicz pour le poème Anna Akhmatova.

Après deux ans de gestation (et une sélection drastique par l’auteure et l’éditeur parce que, des poèmes, Delphine Durand en a écrit bien plus que cela), l’écrivaine sort Connaissance de l’ombre aux édition le Réalgar en février 2019.

Les vrais poètes secouent, brutalisent, crèvent les yeux pour forcer à voir l’innommable. Ils crèvent les yeux pour faire voir la lumière dans l’au-delà. – Delphine Durand.

“Mon but était de redonner à la poésie une faveur originelle et un humanisme lumineux. Il y a des lambeaux de beauté à travers même l’horreur”, raconte Delphine Durand. Pour illustrer ce recueil, l’écrivaine a fait la rencontre de Serge Kantorowicz. Pendant des mois, l’artiste a dessiné et peint ces illustrations inédites pour faire écho aux mots sombres fragmentés. Cette association Durand-Kantorowicz n’est pas sans rappeler les livres enluminés du Moyen Âge. “Parfois l’illustration griffe sur les mots, il y a une fusion presque charnelle, entre, la chair du mot et la chair de l’image”, explique Delphine Durand. Elle poursuit : “ Nous sommes les fragments d’un tout originel, comme ces illustrations. Serge Kantorowicz était le meilleur interprète de mes ombres. »

Ces ombres, elles explorent la mort, les génocides de la Shoah, l’horreur de l’humanité, une violence absolue qui semble perpétuer malgré l’Histoire. “J’utilise des mots simples et brûlants. Il faut que la poésie brûle, sinon ce n’est pas de la poésie.” Dans une critique pour la revue Dissonance, Tristan Felix parle de “Lambeaux de chair palpitants arrachés aux mots”, ce que Delphine Durand acquiesce, ajoutant que ces lambeaux de chair résistent à l’horreur, faisant toutefois éclore des fleurs ténébreuses .

Serge Kantorowicz
Illustration de Serge Kantorowicz pour le poème Antonin Artaud.

Un poème qui la touche plus que d’autres ? “La soeur de Trakl, je l’aime beaucoup. Il a cette forme d’érotisme noir qui me plaît, cette histoire incestueuse, maléfique, et en même temps terriblement romantique. Egon Schiele aussi c’est un de mes peintres préférés. J’ai écrit le poème Egon dans une sorte d’extase. Mais … c’est difficile de choisir !”

“Mon frère m’a emmenée au jardin

Pour m’ouvrir de sa main qui écrit

Surtout reste mortelle”

– Extrait du poème La soeur de Trakl

Son prochain roman s’intitulera Le coeur des ombres et sortira chez le Réalgar également. Delphine Durand en touche quelques mots : “Ni roman ni nouvelles, ce sera un long poème surréaliste où je revisiterai des figures d’écrivain, de poètes ou des anonymes qui ont péri dans les camps de la Shoah.”

L’auteur donnera également une conférence-performance sur Victor Hugo le 14 décembre 2019 dans l’auditorium de la médiathèque de Thorigné Fouillard. Plus d’informations ici.

Delphine Durand
Delphine Durand lors d’une conférence.
Connaissance de l’ombre, Delphine Durand aux éditions le Réalgar (collection l’Opriment). Illustré par Serge Kantorowicz. 216 pages, 22 €.

Lire un extrait ici.

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