Dans le centre Finistère, aux abords de la presqu’île de Crozon, un site empreint de mystères continue de susciter la fascination des promeneurs. Depuis bientôt deux siècles, le village de Landévennec accueille dans ses environs des escadres de guerre qui gardent l’entrée du méandre de l’Aulne. Aujourd’hui encore, ces géants des mers continuent d’habiter l’anse de Penforn dans l’attente de leur ultime voyage.

Au fur et à mesure que le printemps point, la venue des beaux jours rappelle qu’au sortir de nos quotidiens routiniers un ailleurs est toujours à notre portée. Inutile de rechercher l’évasion par-delà nos frontières, la Bretagne regorge d’espaces dépaysants qui sont autant d’exutoires naturels où échapper à l’austérité ambiante. Plage de galets, plaines battues par le vent, maisons en pierre nappées d’ardoises… On ne vous fera pas l’affront d’insister une nouvelle fois sur la richesse et la diversité des reliefs qui s’offrent à nos yeux, d’autres que nous l’ont déjà fait et continuent de le faire avec bien plus de justesse. Cet article n’a ainsi pas prétention à être lu comme une énième invitation au voyage. Considérons-le plutôt comme une modeste lucarne ouverte sur un site aussi emblématique qu’énigmatique du patrimoine breton.

Les habitués du coin connaissent l’endroit. Pour les autres, ceux qui ne se sont encore jamais aventurés sur la touristique presqu’île de Crozon dans le centre Finistère, nous nous efforcerons de broder une description de ce à quoi peut ressembler un passage dans ce lieu hors du temps.

anse Penforn cimetière bateaux Landévennec
© Gurvan Le Bouette

Passé le village du Faou, au cœur du Parc Régional d’Armorique, la route départementale 791 en direction de Crozon se noie dans une flore luxuriante. Le ciel bleu azur est à demi-masqué par les conifères et se réverbère sur l’Aulne, qui peu à peu se dévoile. L’œil attentif saura capturer derrière les branches les contreforts de l’ancienne abbaye de Saint-Guénolé qui trône sur la rive d’en face. Aux abords de l’île de Térénez, le fleuve s’enfonce dans un méandre. Là se dressent les silhouettes de géants, qui pourtant semblent inoffensifs au milieu du havre vert. Entre ciel et mer, plusieurs monstres d’aciers sommeillent dans le creux de la anse de Penforn, près de Landévennec.

cimetière bateaux landévennec anse de penforn

« cinq monstres de guerre léchés par la rouille attendent, leurs canons dérisoires pointés sur le paysage paradisiaque, le jour où la morsure des chalumeaux viendra déchirer leurs flancs »

Extrait de la bande dessinée Les aventures du club des cinq, Le cimetière des géants (Rosenzweig/Dufossé/Marcello), Hachette, 1984

Le spectacle de cette escadre fantôme est étrangement apaisant. À la fois en décalage et en communion avec ce décor flamboyant, ils attendent en toute quiétude un repos bien mérité après leurs longues années de service. Seuls quelques rares plaisanciers, ainsi que des oiseaux ayant trouvé refuge dans l’antre de leurs imposantes coques, sont autorisés à leur tenir compagnie dans ce qui ressemble à une dernière parade offerte au crépuscule de leur vie. Étrange d’imaginer que ce purgatoire à ciel ouvert fut autrefois un lieu d’animation qui faisait vivre le petit bourg de Landévennec.

L’anse de Penforn ne fut pas toujours un cimetière de bateaux. Aux origines, le site était une station navale installée dans les années 1840 afin d’accueillir des escadres en réserve. Les hauteurs environnantes et la profondeur des fonds firent de ce méandre qui s’enroule autour de l’île de Térénez un endroit de choix pour la Marine. Des garnisons étaient alors en poste aux abords du village, qui pendant des années profita de la station comme d’un poumon économique. Les commerces locaux battaient au rythme des allées et venues des navires, les équipages arpentaient les rues et surtout les bars, des rencontres entre certains de leurs membres et des jeunes filles du bourg donnaient naissance à des unions. L’osmose dura près d’un siècle jusqu’à l’Occupation.

L’arrivée des troupes allemandes durant l’été 1940 contraint la Marine française à évacuer sa flotte du port de Brest ainsi que de la station navale. L’anse de Penforn étant moins exposée que l’arsenal de la cité du Ponant, les Allemands tirèrent à leur tour profit du site en y aménageant en atelier l’Armorique, un navire école datant de la fin du siècle dernier, ainsi que d’autres vaisseaux récupérés à la Marine française. En août 1944, face à la défaite imminente, l’armée du Reich sabote le bateau dont l’épave hante aujourd’hui les profondeurs du méandre. Il faudra attendre 2007 pour que les plongeurs de l’Expédition Scyllias redécouvrent le corps de l’Armorique.

Au sortir de la guerre, le site est transformé en station de mouillage pour des coques en attente de démantèlement ou « d’océanisation », exercices de tirs en pleine mer aujourd’hui interdits. Depuis lors, l’anse de Penforn a pris le nom de cimetière de bateaux de Landévennec, une appellation par ailleurs discutable puisque seule l’épave de l’Armorique git en ses eaux. Des petites frégates aux plus imposants croiseurs, les vieux seigneurs de guerre de la Marine Nationale y sont acheminés avant d’être remorqués vers des chantiers de démolition. La durée de leur passage peut varier. Certaines coques stationnent seulement quelques mois, d’autres attendent là plusieurs années avant d’entamer leur dernier voyage.

coque de guerre cimetière de bateaux anse de Penforn Landévennec

Les Landévennecois sont attachés à ces vieillards rongés par l’usure des années en mer. Pour le maire de la commune, Roger Lars, ce cimetière de bateaux est un vestige d’un âge béni durant lequel le stationnement des escadres faisait rayonner le petit bourg. L’époque est aujourd’hui révolue et plus aucune vie ne semble désormais émaner du corps des géants. Désertés par leurs équipages, privés de leurs armes et abandonnés par leur flotte, ils ont néanmoins conservé une grandeur magnétique qui n’a de cesse d’exercer la fascination des curieux.

Unidivers.fr tient à remercier Monsieur Roger Lars, maire de Landévennec, pour les informations fournies afin de construire cet article, ainsi que pour son engagement afin de préserver ce site exceptionnel du patrimoine breton.

Texte : Hugo Le Doaré

Photographies : Gurvan Le Bouette

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