Nouvelle parution chez les éditions Coop Breizh ! Marie-Aline Lagadic et Klervi, chanteuses mère et fille publient Le Chant des sardinières. Installées en pays Bigouden, elles nous font découvrir leur région natale par le biais d’un beau livre riche de photos d’époque et d’un travail de recherche socio-historique impressionnant.

Issues d’une famille de chanteurs sur plusieurs générations, les deux femmes se sont fait connaître grâce à des participations à des festivals (Festival de Cornouailles, Festival Interceltique de Lorient) mais aussi par deux albums musicaux : d’abord en 2007 avec Le chant des sardinières, coup de cœur du jury de l’Académie Charles Gros. Le projet relate en musique le conflit des Penn Sardin, ouvrières des conserveries de Douarnenez conduisant à des révoltes au début du XXe siècle. Une décennie plus tard, en 2016, paraît Tout le monde sur le pont ! qui évoque les bouleversements sociaux de l’entre-deux-guerres en pays bigouden, région du sud-ouest du Finistère. Ce terme, dont la première occurrence connue apparaît dans un texte de 1833, trouve son nom dans la pointe de la coiffe locale portée par les femmes. De Pont l’Abbé à Penmarc’h, les autrices mettent en mots leurs mélodies et proposent un voyage dans le temps, qui aborde de façon ludique et poétique la vie de labeur de ces bretons et bretonnes du siècle dernier.

Photo : Eric Boffy

Née à Pont l’Abbé, Marie-Aline Lagadic a baigné toute son enfance dans ce milieu breton bigouden. Petite, elle est bercée par le son des chanson(nette)s, des gavottes, des paroles d’Aragon ou d’Eluard ou des airs de Brassens. Son premier contact avec la tradition orale du cru, dit-elle, s’est fait par sa tante Lisette Maréchal et le chant Ma labousig ar c’hoat que lui chantait sa grand mère. Ses grands-parents étant illettrés et sans notions de français, le breton s’est révélé nécessaire à la communication. Davantage qu’une collecte d’informations, le travail de Marie-Aline tient plutôt de l’héritage et à ce titre, elle fait partie des dernières chanteuses de sa génération à tenir son répertoire directement des femmes de sa famille.

Le Chant des sardinières, par des textes et partitions d’album, s’attache à décrire sous le prisme sociologique et historique la vie en pays bigouden et à Douarnenez au début du XXe siècle. Les textes informatifs sont accompagnés de somptueuses photographies issues de collections privées ou muséales et illustrant le propos. Cette génération de la fin du XIXe, sur laquelle se penche l’ouvrage, est marquée par la vie traditionnelle : le bistro, le café-crêpes ou encore le riz au lait cuit au four du boulanger, sont les marqueurs de ce style de vie encore tourné vers le passé. Dès le Moyen Âge, la prospérité de la région est due au dynamisme des ports et chantiers navals de la région comme Penmarc’h. Le commerce de chanvre, de toile ou de grains s’étend afin de toucher les côtes espagnoles de Galice ou d’Asturies et la pisciculture ou les marais salants font leur apparition. Pendant des siècles, le mode de vie des âmes vivant en pays bigouden demeure inchangé et relativement austère. Au XIXe siècle, l’habit aussi reste simple et toute la famille dort dans la même pièce. Les demeures sont généralement constituées d’un sol en terre battue, d’une paillasse, d’un banc et d’un coffre. Progressivement, le bétail est relégué dans un autre bâtiment et la cheminée s’affirme comme le cœur de la maison.

Brasparts, Botbern. Logis daté de 1696. Pièce commune. Bègne, Bernard

La grande pauvreté reste fréquente en cette fin du XIXe siècle. La pêche à la sardine, interdite au siècle précédent, revient et dynamise des villes comme Saint-Guénolé qui doivent leur (sur)vie à la sardine. Les populations des terres viennent sur le littoral, contraintes par la ruine des grandes exploitations agricoles et attirées par de meilleurs salaires. Le XXe siècle marque un tournant : la scolarisation et la technologie font des progrès tandis que la guerre va faire entrer la région dans le monde moderne.

Chanter pour survivre

La première partie de l’ouvrage de Marie-Aline Lagadic et Klervi Rivière, au titre éponyme, aborde les conditions de travail pénibles des Penn Sardin, ces femmes bretonnes ouvrières. En 1795, Nicolas Appert, invente l’appertisation, procédé de conservation par stérilisation à la chaleur, dans des récipients hermétiquement clos. A partir de là, le secteur de la sardine se développe en Bretagne sous l’impulsion des conserveurs nantais. Les sardines sont étêtées, éviscérées et cuites, l’espace libre étant ensuite rempli d’huile végétale parfois enrichie de condiments. A l’instar des biscuiteries, chocolateries ou confiseries, la mise en boîte des sardines rassemble surtout des ouvrières. Dans Le Chant des sardinières, on apprend que ces femmes commençaient à travailler entre 12 et 15 ans et l’emploi durait de juin à septembre. Les horaires et la vie dans la région, conditionnées par l’arrivée du poisson, un climat défavorable était bien souvent synonyme de famine. Le travail débutait à six heures du matin et se poursuivait jusqu’à 10 h, 11 h le soir, voire jusqu’à 2 ou 3 h du matin. Certaines fillettes travaillaient même dès 10 ans pour des journées « réglementaires » de huit heures. Ces ouvrières étaient parfois amenées à suivre le poisson le long de la côte Atlantique pour des revenus supplémentaires. Aux yeux des industriels, elles étaient une source de main d’œuvre docile, malléable qui ne recule pas devant la difficulté de l’emploi et des horaires. Prêtes à tout pour survivre, elles étaient donc largement sous payées.

« Quand les bateaux arrivaient, il fallait que les sardines soient mises en boîte tout de suite. Les ouvrières arrivaient à pied à toute heure du jour ou de la nuit et, pour ne pas avoir peur, elles chantaient sur la route. Quand il n’y avait plus de travail ici, on les envoyait comme du bétail aux Sables-d’Olonne, au Croisic ou à Saint-Jean-de-Luz. Là-bas, les ouvrières logeaient dans des dortoirs. »

Yves Buannic, L’enfant du large, 2007

Les autrices rendent hommage à la bravoure de ces femmes qui évoluaient dans une odeur de friture et de restes de poisson imprégnant les vêtements et les cheveux. La pénibilité du travail, les conditions lamentables d’un travail peu, voire pas réglementé (pas de repos dominical), conduisent rapidement à un syndicalisme de gauche très présent dans la région. Pour supporter le dur labeur et se donner du courage, les ouvrières chantaient en suivant le rythme du travail : Lisette Maréchal a parlé à ses nièces du métier et des chansons. Ces chants, instruments d’humanité et vecteurs d’unité, d’émotions, leur permettaient d’évoquer en cœur leurs joies, leurs peines mais aussi leurs espoirs et idées. Instruments d’autant plus puissants que la plupart de ces femmes ne savaient pas lire ni écrire. Issues de la tradition orale et des airs patrimoniaux, les « gwerzioù », ou complaintes, évoquaient le quotidien, les luttes ou des faits réels tragiques, tels des journaux musicaux où elles apprenaient les nouvelles.

Chanter pour protester

Marie-Aline Lagadic décrit ensuite minutieusement les mouvements sociaux qu’a connu la région. Contraintes à ce mode de vie extrême, les ouvrières de plus en plus nombreuses se soulèvent au cours des années 1920 afin de demander un droit syndical et des hausses de salaire. Le mouvement de contestation s’étend et après de multiples grèves générales, elles obtiennent gain de cause. On apprend qu’en réaction, les patrons ferment les usines et affament la population. Dans un climat de tension et de violence qui facilite la répression policière, les chants accompagnent encore ces femmes. Dans leur sillage, résonnent des airs révolutionnaires comme l’Internationale ou le Drapeau Rouge. La colère gronde et L’Église, pourtant omniprésente n’intervient pas, dénonçant l’influence du Parti Communiste sur toutes les municipalités de la côte bigoudène (hormis Loctudy et Penmarc’h).

Grande manifestation des ouvrières des conserveries à Pont-l’Abbé, le 2 août 1926

La seconde partie de leur ouvrage Tout le monde sur le pont !, se penche sur la période de l’entre-deux-guerres, marquée par la misère et porteuse de mutations profondes en Pays Bigouden. Cette époque troublée sonne le glas de la société traditionnelle basée autour de la cellule villageoise. L’on assiste au fil des pages à l’essor de la vie urbaine et du prolétariat. La langue vernaculaire mute, tandis que le français s’institutionnalise. L’habit aussi évolue, les couleurs sont abandonnées en ces temps de deuil et les matériaux évoluent (velours, soie). Les hommes renoncent à leur petit veston traditionnel (le chupenn) pour adopter la veste de ville. Quant à elles, les femmes abandonnent aussi le costume ou le font évoluer – les décolletés s’échancrent et les coiffes (témoignage de la situation économique) disparaissent libérant les cheveux. À Lambour, les femmes travaillent, choisissent leur mari, vont au bal, bravent la morale de l’Église, s’autonomisent après l’absence des hommes pendant la guerre. Le livre nous expose l’importance de la fête. On remplace le biniou par l’accordéon lors des bals qui deviennent l’activité principale des jeunes qui viennent à vélo « guincher » ! La musique est une fois de plus présente, puisque se mêlent (à la stupéfaction des anciens) polka, fox-trot ou jazz. Les chants demeurent et la figure de Théodore Botrel émerge. Ces chansons permettent la sauvegarde d’un patrimoine en voie d’extinction.

1940. Collection Bernard Lasbleiz 

A travers ses 128 pages, Le Chant des sardinières de Marie-Aline Lagadic et sa fille Klervi Rivière retrace de façon scientifique l’évolution naturelle des chants, parallèle à celle de la société bretonne. Sur fond de net recul du sentiment religieux en Bretagne et de mécanisation, cette vie bigoudène intègre de nouvelles influences sans perdre sa spécificité culturelle. D’une richesse exceptionnelle, Le Chant des Sardinières est un ouvrage fourmillant de détails, d’images et d’anecdotes sur lequel planent les mélodies de toutes ces femmes. Destiné tant aux néophytes, qu’aux curieux ou aux connaisseurs de notre région, il saura conquérir tous les publics.

Penn sardines, un film de Marc Rivière, 2003

Le chant des sardinières, Marie-Aline Lagadic, Klervi Rivière, Éditions CoopBreizh, 128 pages + 2 CD. Parution : 22 mai 2022. 35€

Lire un extrait du Chant des Sardinières

Retrouvez Marie-Aline Lagadic et Klervi Rivière

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