Miguel de Cervantès y Saavedra, dont l’Espagne a célébré avec faste en 2016 le quatrième centenaire de la mort, a mené une existence faite d’aventures et de mésaventures, de combats et de revers, militaires, civils et familiaux. Une vie qui comporte encore aujourd’hui bien des zones d’ombres et que ses biographes, dès le XVIIe siècle, ont tenté d’éclaircir à travers les seules traces écrites laissées par le génial écrivain : ses récits de fiction. Une vie que nous raconte magnifiquement l’hispaniste Jean Canavaggio.

CERVANTES

Après un court passage dans une institution académique madrilène, le jeune Miguel, né à Alcalá de Henares en 1547, partira pour l’Italie à l’âge de 22 ans. Il s’engagera alors dans les forces de la Sainte Ligue levées par Philippe II pour stopper la menace turque. Il se retrouvera au cœur de la bataille navale de Lépante, où un méchant coup d’arquebuse lui enlèvera définitivement l’usage de la main gauche. Puis, entre Naples et les côtes catalanes, en 1575, des corsaires barbaresques l’enlèveront et le vendront comme esclave à Alger, ce port enrichi de maints et sombres trafics où cohabitaient Morisques, Chrétiens et esclaves noirs.

CERVANTESLa servitude durera cinq ans et lui donnera la matière du récit du captif dans la première partie du Quichotte. Libéré de ses chaînes par l’entremise « sonnante et trébuchante » des frères Trinitaires, il reviendra en Castille, pour s’y marier, en 1584, à une jeune fille d’Esquivias, parente d’un vieux propriétaire terrien local, don Alonso Quijana, inspirateur, dit-on, de la figure du Quichotte. Cervantès s’éloignera ensuite de ce village de la Mancha, et de sa jeune épouse, pour se faire collecteur d’impôts, avec des fortunes diverses, de 1587 à 1597, en Andalousie, au service des ambitions guerrières d’un Philippe II résolu à lancer son Invincible Armada contre les Anglais. Pendant ces dix années, il arpentera les quartiers de Séville,    observera ses foules bigarrées et interlopes dont il fera les voleurs, entremetteurs et autres vagabonds des « Nouvelles exemplaires ».

CERVANTES

Enfin fixé à Madrid, jusqu’à sa mort, il se consacrera alors pleinement à la carrière des lettres, et rédigera la première partie du Quichotte. Après en avoir lu le manuscrit, le jeune – et déjà fameux- Lope de Vega, dans une lettre du 16 août 1604, décochera ce trait assassin : « Il n’y a pas de poète aussi mauvais que Cervantès » !

Mais qu’importe : en janvier 1605 paraîtra, à l’enseigne de l’imprimeur Juan de la Cuesta à Madrid, l’édition princeps de L’ingénieux hidalgo don Quichotte de la Manche, dont les premiers chapitres annonceront le grand thème de l’ouvrage : un homme à l’entendement troublé par la lecture d’un roman de chevalerie, Amadis de Gaule, entend réincarner à lui seul les valeurs disparues de la chevalerie errante.

CERVANTES
1547-1616

« Lecteur exemplaire, Don Quichotte illustre à sa façon la puissance contagieuse des livres en mettant leur vérité à l’épreuve de la réalité, il révèle ainsi à ses dépens ambiguïté des rapports entre la vie et la littérature […]. Don Quichotte, dit-on, est le premier roman des temps modernes. Parce qu’en donnant la parole aux personnages et, avec elle, la liberté d’en user, ce récit, pour la première fois, a installé à l’intérieur de l’homme la dimension imaginaire : au lieu de raconter du dehors les événements qu’il vit, il recrée le mouvement par lequel il s’invente. […] Le succès immédiat du livre l’a convaincu qu’il avait su répondre à une attente ».Jean Canavaggio.

« Coupée à la même étoffe que la première » écrira Cervantès, la seconde partie du Quichotte, parue en 1615, sera le récit développé des exploits de l’ingénieux hidalgo conduits jusqu’à leur terme : la mort du chevalier à la Triste Figure. « La seconde partie n’a pas seulement confirmé les qualités de la première ; elle a porté le roman à son point de perfection » (Jean Canavaggio).

Roman parfait auquel « la littérature ne cessera de […] rendre hommage, que l’on songe seulement au “Cardenio” (perdu) de Shakespeare, à “Vies et opinions” de Tristram Shandy de Laurence Sterne, à “Jacques le Fataliste” de Diderot ou à “L’idiot” de Dostoïevski. Flaubert qui l’annote dès l’âge de onze ans en sera hanté toute sa vie » (Laure Murat, « Relire », Flammarion, 2015).

Les éditions et traductions se multiplieront dans l’Europe entière. César Oudin le traduira en français en 1614, version revue par Jean Cassou au XXe siècle. La dernière traduction et édition française en date est celle de notre grand biographe cervantiste Jean Canavaggio, parue en 2001.

Dans l’ultime partie de sa vie, Cervantès publiera les « Nouvelles exemplaires » en 1613, le « Voyage au Parnasse » en 1614, l’ensemble de ses Comédies et intermèdes en 1615, et enfin les « Travaux de Persilès et Sigismonde » qu’il achèvera dans les affres de la mort toute proche, le 20 avril 1616. Beaucoup plus en amont, les premières livraisons de « La Galatée » étaient parues dès 1585.

L’immortel créateur de Don Quichotte disparaîtra, par un étrange hasard de l’Histoire, le même jour qu’un autre « géant », William Shakespeare. A la différence du dramaturge anglais, mort dans l’aisance matérielle d’un bourgeois de Strattford upon Avon, l’écrivain espagnol le plus emblématique, auteur de l’un des plus grands mythes de la littérature mondiale, finira sa vie dans un triste dénuement.

Cervantès, Jean  CANAVAGGIO, Éditeur FAYARD, 9/1997,     pages : 382  25.00€

Normalien, agrégé d’espagnol, docteur ès lettres, Jean Canavaggio est professeur à l’université de Paris-X-Nanterre et directeur de la Casa de Velázquez. Spécialiste du Siècle d’or espagnol, il a consacré une large part de ses recherches à la vie et à l’œuvre de Cervantès.

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