Gaël Henry signe une belle adaptation BD du magnifique roman à succès, Tropique de la violence, qui dessinait un portrait explosif de la société de Mayotte. Un pays où il ne fait pas bon être jeune, sans amour et sans futur.

 

TROPIQUE DE LA VIOLENCE

« Mayotte, cent-unième département français. Mer et cocotiers de carte postale, mais taux de chômage et de criminalité record …. ». Le décor est planté sans concession, sans fard. c’était le point de départ du roman, aux treize prix littéraires, de Natacha Appanah qui avait marqué les esprits lors de sa parution en 2016. Le texte de l’écrivaine était violent, agressif comme peut l’être la vie dans cet archipel oublié de la Métropole. L’adaptation en BD était d’autant plus attendue que l’image risquait d’alourdir ce que les mots dans leur force et leur singularité avaient su particulièrement traduire: le désespoir, la violence extrême, le racisme, la pauvreté, l’homophobie et tant d’autres mots et maux.

Tropique de la violence Nathacha Appanah

Gaël Henry, après un séjour de reconnaissance sur place va réussir ce difficile pari en reprenant à son compte le principe du roman choral et donner la parole à trois personnages et un chien. Il restreint le nombre de personnages du roman pour resserrer l’histoire et en faire une confrontation à quatre. Marie a recueilli un enfant migrant et va l’élever, mère célibataire, jusqu’à sa mort accidentelle. Moïse est cet enfant, au regard vert et noir, comme une malédiction d’un Djinn. Sans histoire personnelle, il va se retrouver seul face au monde et sans recours. Bruce est le diable, jeune chef violent de Gaza « le plus grand bidonville de Mayotte » ou « un dépotoir à ciel ouvert ». Il va enrôler Moïse, le transformer en Mo La Cicatrice, et à ses dépens, en tueur. Bosco, le chien venu tout droit de l’auteur du roman L’enfant et la Rivière, sera la part d’enfance heureuse conservée dans un coin de la mémoire de Moïse.

J’ai quinze ans, je m’appelle Moïse et je suis né de l’autre côté de l’eau.

 

TROPIQUE DE LA VIOLENCE

Comme une tragédie grecque, tout est en place pour un drame deviné et anticipé. Le sort de chacun semble placé sous le signe du destin ou de la malédiction d’un lieu quand l’amour semble ne pas avoir trouvé sa place. Peut on aimer et être aimé quand la force et le coup de poing sont les lois de la rue ? Peut on rire quand la drogue et l’alcool imprègnent les visages des adolescents ?

TROPIQUE DE LA VIOLENCE

Pour répondre à ses questions, Gaël Henry a su trouver le dessin juste, tout en convulsions un peu à la manière de Pierre-Henry Gomont, les épais traits noirs traçant des puissantes arabesques qui traduisent la lourdeur d’une atmosphère étouffante. Il n’en rajoute pas dans l’horreur, s’arrêtant à la porte des drames en sachant suggérer le paroxysme de situations brutales et convulsives. Il s’attarde dans les rues du bidonville et délaisse les plages et cocotiers de rêve. Le soleil ne donne pas le bonheur et ce n’est qu’à son coucher, dans de belles pages poétiques, que Moïse reprend momentanément pied, comprenant la réalité de son histoire et de celle de sa mère, venue le déposer ici dans un monde supposé meilleur. Mais le jour va renaître. Et ses horreurs aussi.
Pour accentuer la proximité entre les quatre protagonistes, l’auteur leur invente des fantômes, les soudant entre eux de manière encore plus forte et indépendante de la chronologie. Le fantôme de Bosco, le chien assassiné, devient une formidable force humaine, décuplant le courage de Moïse, dans une pleine page de toute beauté annonciatrice d’une fin inéluctable.

On sort de cette BD, comme après la lecture du roman : bouleversé. Et on se souvient alors de cette phrase de Natacha Appanah :

Mais c’est la France, ici, quand même…

En douterait-on?

Tropique de la violence de Gaël Henry d’après le roman de Nathacha Appanah. Éditions Sarbacane. 160 pages. 23,50 €. ISBN: 978 2 37731 189 7.

Le dessinateur

Gaël Henry est diplômé de lʼAcadémie de Tournai en section BD. Depuis, il a voyagé un peu partout à travers le monde. Il vit et travaille à Lille. Tropique de la violence est sa troisième BD chez Sarbacane.

L’auteure

Nathacha Appanah est Mauricienne. Elle descend d’une famille d’engagés indiens de la fin du XIXe siècle, les Pathareddy-Appanah.
Tropique de la violence, son septième roman, a reçu de nombreux prix, dont le prestigieux Prix Anna-de-Noailles de l’Académie française 2017 ou encore le Prix roman France Télévisions 2017.

MAYOTTE
Photo : 13 Production

KAZ MAYOTTE, L’ENFANCE EN DANGER

DOCUMENTAIRE
Magazine Inédit Jeudi 28 mars 2019 à 20.55

Réalisatrice Laurence Generet
Production 13 Productions, avec la participation de France Télévisions et Bis Repetita
Durée : 52 min
Année 2018

Qu’ils soient Français ou d’ailleurs, à Mayotte, certains enfants sont des laissés pour compte, des oubliés de la République. Ce film témoigne des cataclysmes intimes que vivent ces enfants, d’un avenir impossible sur le territoire. Un témoignage très fort sur l’urgence à prendre la réelle mesure de la situation et sur l’ampleur du défi, afin de donner à ces enfants, les moyens de pouvoir vivre dignement.

Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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