Maltempo Alfred
Maltempo d'Alfred, éditions Delcourt, 2023.

Alfred aime l’Italie. Avec Maltempo aux éditions Delcourt, il clôture en beauté une trilogie qui dit beaucoup de l’adolescence, du soleil, des amours. De la vie.

De quoi tu as peur comme ça, Mimmo ? La peur c’est quand on a quelque chose à perdre … Mais toi, qu’est ce que tu as à perdre ? ». Cette question, c’est Cesare Biasini qui la lance à la figure de son ami Mimmo Maltempo, comme un défi. C’est vrai qu’ils n’ont rien à perdre, Mimmo, Cesare, mais aussi leurs potes Guido et Gennaro. Quatre ados désœuvrés dans un petit village du sud de l’Italie. Ils sont de leur âge : simples, amoureux, idéalistes, soucieux de plaire. Rien d’original ni d’approfondi dans leur comportement mais chacun traîne son fardeau familial : une mère mourante, un père qui déteste « les autres », un mari désœuvré qui attend le retour impossible de sa femme. Leur meilleur compagnon reste finalement cette Vespa qui leur donne un sentiment de liberté, qui permet d’accéder aux rivages magnifiques. Aussi lorsqu’une étape d’un télé-crochet national passe dans leur commune, Mimmo rêve de reconstituer leur groupe de rock fondé jadis, gagner le concours et quitter enfin leur ville sans avenir, pour Rome : la musique, le meilleur moyen d’évasion.

Chaque ado cache ses secrets. Derrière la forfanterie de chacun, se terrent des souffrances personnelles qui se conjuguent aux difficultés de la société italienne : nostalgie du fascisme mussolinien de jeunes colleurs d’affiches, rejet des migrants, présence souterraine de la mafia … Italie aux paysages sublimes et à la chaleur estivale pesante, Italie en prise avec ses tourments politiques et sociaux, Italie chère à Alfred qui avec Maltempo clôt une trilogie commencée avec Coma Prima (Fauve d’Or d’Angoulême 2014), puis Senso, ouvrages qui se sont succédé naturellement, sans idée de suite. Celui qui dit voyager dans son « Italie affective » en inventant ses histoires, s’est fabriqué lors de ses longs séjours italiens des carnets de notes, des « vide-têtes », des fragments de vie qu’il a utilisés successivement à la façon d’une mosaïque, jusqu’à constituer une fresque où les souvenirs de ciels étoilés, de vagues se fracassant sur le rivage, de cyprès ployant sous le vent côtoient les vieilles dames alourdies par le sac de commissions, les rendez-vous amoureux sous la lune où le « fou » du village chevauchant un cheval imaginaire. C’est un pays de contrastes, une chronique de tendresse et de violence qui apparaît au fil de ses récits indépendants qui disent des souvenirs d’enfance, qui disent un pays aimé et chéri.

Alfred est au sommet de son art graphique : le trait est sûr, pur. Il contourne et cerne les personnages comme les paysages. Et puis il y a la chaleur, la moiteur, les ciels et les nuits bleues. Quand la lumière du mois d’août devient trop forte, le bleu s’efface au profit du blanc. Alors Mimmo Maltempo (qui signifie « mauvais temps ») se détache, prend de l’importance, cherche son futur dans les étoiles ou sur la mer. On sent la moiteur qui colle les chemises sur la peau, on sent l’air chaud dans ces vastes aplats de couleurs ou dans ces croquis saisis qui tracent des moments de sérénité et de communion avec les éléments. Comme pour donner encore plus de consistance à la rupture des jeunes avec leur vie quotidienne, l’auteur, libéré de la nécessité du trait, se lâche lorsqu’il dessine les répétitions du groupe en reconstruction. Dans des scènes magnifiques, aux coups de crayons de couleurs vibrants, tels des partitions musicales endiablées, on le devine à sa table de dessin, la tête en mouvement, les pastels à la main, le rock à fond dans les écouteurs.

L’écrivaine Silvia Avalone, racontait dans son roman D’Acier, la vie dans une cité ouvrière italienne de deux adolescentes, Anna et Francesca qui cherchaient à sortir de leur condition de filles d’ouvriers. Mimmo tente, dans une petite ville du sud qui veut survivre en construisant des hôtels pour touristes, de grandir et d’exister grâce à la musique. Les chiens des rues, comme des chœurs antiques, guettent le jeune homme dans cette tentative de métamorphose. Pour le dévorer ou le contraindre à s’enfuir ailleurs ? Une question, un paradoxe parmi d’autres dans cette magnifique BD qui balance entre beauté et violence, espoir et désespoir, présent et futur.

Maltempo de Alfred. Couleurs : Laurence Croix. Éditions Delcourt. 180 pages. Parution : 11 octobre 2023. 23,95€.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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