l'honorable partie de guerre Jean-david Morvan Roberto Melis
L'honorable partie de guerre de Roberto Melis et Jean-David Morvan, d'après le roman de Thomas Raucat, éditions Sarbacane, 2024.

Cette adaptation graphique d’un roman vieux d’un siècle de Thomas Raucat nous emmène au Japon et nous révèle les fondements d’une société nippone très éloignée de celle des européens. Aux éditions Sarbacane, L’honorable partie de guerre de Melis et Movan est irrésistiblement drôle et profondément caustique.

Je prie les honorables lectrices et lecteurs des présentes lignes de m’excuser de les importuner par ces quelques mots sans valeur. Je leur demande humblement de bien vouloir m’accorder quelques secondes de leur magnifique et unique existence. Je serais très honoré de capter leur attention pendant quelques minutes et suis très heureux de constater que votre lecture s’est poursuivie jusqu’à ces modestes syllabes indignes de figurer dans votre mémoire.

C’est ainsi qu’Unidivers, version japonaise, pourrait décrire, en forçant à peine le trait, cette très belle BD qui montre notamment l’immense fossé culturel passé, mais peut-être aussi actuel, entre la société Japonaise et la société européenne. Nous sommes en 1922. Alors que le Pays du Soleil Levant accueille l’exposition universelle de la Paix, un Suisse propose d’emmener une jeune japonaise, inconnue, jolie mais sans argent, visiter l’île de Enoshima. Tout pourrait se dérouler comme le début d’une simple amourette si un homme d’affaires japonais ne décidait de les accompagner. L’européen est séduit et veut juste vivre de rares moments avec l’inconnue. Le Japonais y voit là une occasion de briller auprès de ses amis en accompagnant un important fonctionnaire européen. Deux hommes, un fuyant, l’autre s’imposant, vont ainsi être les révélateurs de deux conceptions de l’amour, de la séduction, du monde environnant et de deux continents dissemblables. Avec un suspens à la clé : notre ami suisse va-t-il réussir à vaincre les obstacles qu’oppose la société japonaise à ses ambitions amoureuses ?

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Cette histoire, Jean-David Morvan l’a découverte il y a une vingtaine d’années en lisant le premier roman de Roger Emmanuel Alfred Poitaz, dissimulé sous le patronyme de Thomas Raucat, un texte publié en 1924. Le scénariste infatigable nous en livre ici une adaptation ironique souvent, cynique parfois, mais toujours drôle et plaisante, bien que parfois, le lecteur ait envie de secouer le cocotier (ou plutôt le cerisier en fleurs) devant tant de mignardise, d’hypocrisie et de faux semblants. Même si l’attitude de l’homme européen, qui porte le nom de Raucat, n’est pas exempt de tout reproche notamment à l’égard des femmes, il n’en demeure pas moins sympathique par rapport à son compagnon japonais et à son sentiment de supériorité culturelle. La BD séduit dans cette formidable manière de montrer le gouffre qui sépare deux civilisations, un gouffre symbolisé par les croquis des pages de garde : un simple dessin pour montrer l’homme suisse attachant une serviette autour de sa taille. Six dessins pour décrire la mise en place de l’obi autour de taille de la jeune japonaise. Efficacité et praticité d’un côté. Tradition et beauté de l’autre. Tout est codifié dans le pays hôte, de la couleur de l’obi en fonction du jour ou des saisons, à l’extrême politesse qui devient aux yeux des occidentaux le comble de la superficialité et de l’hypocrisie. Même le rapport au temps a ses principes : « j’ai failli arriver en retard sur l’avance que j’avais prévue ».

On rit, on s’amuse, mais aussi on s’agace. Le machisme qui régit les règles sous l’apparence du respect de la dignité de la femme dissimule un profond dédain de l’épouse, simple objet de convenance à la société « lassante », alors que la prostituée, « spirituelle geisha », représente la vraie vie. Chacun fait semblant. Et les mots sont le support de cette hypocrisie, les mots volontairement grandiloquents, sages et dignes, dissimulant souvent les sentiments les plus bas. Les mots pour cacher le vrai.

Ainsi derrière la comédie, comme au théâtre, se cache une forme de dictature celle de l’apparence, du respect de la forme quitte à transformer la réalité pour la soumettre à un récit correct, conforme aux normes de bienséance et de bien-pensance. C’est bien de théâtre qu’il s’agit lorsqu’un pont effondré faute d’entretien, devient l’objet d’un acte de résistance, ou d’un acte de terrorisme, selon les narrateurs, pour devenir finalement un événement grandiose à la gloire du Japon et de son empereur. La dictature revêt souvent la forme de l’absurde.

On ne peut évoquer le Japon sans penser à ses magnifique estampes et Roberto Melis se révèle à la hauteur du défi que propose un récit se déroulant au Pays du Soleil Levant, à l’instar de cette superbe couverture qui dit le contenu de l’album aux couleurs minimales qu’embrase parfois le rouge comme celui du drapeau nippon. Le dessin magnifie les costumes, les paysages, mais révèle aussi à la perfection l’envers du décor et se montre sans concession à l’égard des personnages imbéciles et pleutres, dont les visages peinent à dissimuler la veulerie.

Les livres de Shimazaki, la BD Les Mauvaises Herbes notamment, les livres d’histoire contemporaine, renvoient actuellement des images négatives du Japon et de son passé. Ce récit ironique et cinglant ne va pas dans le sens des admirateurs du pays des mangas, mais il affine la critique avec un talent rare et sans jamais se prendre au sérieux.

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L’honorable partie de guerre de Roberto Melis et Jean-David Morvan, d’après le roman de Thomas Raucat, éditions Sarbacane, 2024.

Aussi, à la fin de cette chronique je m’incline humblement devant la patience des honorables lectrices et lecteurs qui ont bien voulu accompagner mes mots de leur attention. Modestement, et grâce à l’honorable Président de la République qui nous éclaire de sa sagesse et de sa bienveillance, je vous propose donc de découvrir cette bande dessinée qui porte un regard acéré sur la confrontation de deux cultures si différentes. Elle le fait dans les règles opportunes de bienséance et de courtoisie. Vous prendrez bien un thé ?

L’Honorable partie de campagne de Jean-David Morvan (scénario) et Roberto Melis (dessin) d’après le roman de Thomas Raucat. Éditions Sarbacane. Parution : 7 février 2024. 128 pages. 22€.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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