nom rose Manara Glénat
Le Nom de la rose de Milo Manara, tome 1, Glénat 2023.

Avec ce premier tome de l’adaptation du roman Le nom de la rose de Umberto Eco, publié aux éditions Glénat, Milo Manara montre l’étendue d’un talent protéiforme. Il nous fait pénétrer dans l’antre meurtrière d’une abbaye italienne du XIVème siècle.

Milo Manara, en vieillissant, revisite de plus en plus fréquemment l’Histoire. Il nous a enchantés avec son Caravage. Il continue à remonter le temps en se plongeant dans le Moyen-Âge, osant adapter en bande dessinée le roman culte de Umberto Eco, Le Nom de la Rose, paru en France en 1982 et publié à soixante millions d’exemplaires dans le monde. Les défis que propose une telle adaptation sont nombreux. D’abord celui de condenser en cent-vingt planches un volume de plus de 600 pages. Ensuite, oublier les images du film de Jean-Jacques Annaud sorti en 1986. Enfin, rester fidèle à l’esprit du roman que l’on désigne souvent comme le premier polar médiéval.

Inutile de faire durer le suspens plus longtemps : Milo Manara a réussi magnifiquement dans son entreprise. Nous entrons de plain-pied dans le roman avec une fidélité étonnante : Guillaume de Baskerville, ancien inquisiteur franciscain aux traits empruntés à Marlon Brando, accompagné d’un jeune novice bénédictin Adso de Melk, se rendent dans une abbaye bénédictine du nord de l’Italie, officiellement pour préparer un congrès, mais de manière plus officieuse pour élucider un meurtre déguisé en suicide. Le défunt est un jeune enlumineur. Ce meurtre est bientôt suivi d’autres assassinats qui vont mettre à rude épreuve la perspicacité du moine enquêteur.

Comme dans un Cluedo, l’intrigue nous emmène dans une visite minutieuse des pièces immenses  de l’abbaye, de la cuisine au réfectoire en passant par le scriptorium. Un endroit semble cependant au cœur du mystère, la bibliothèque inaccessible au commun des mortels, une salle qui renferme le savoir et probablement l’hérésie. Milo Manara met alors des images sur les mots de l’historien italien et nous révèle une des multiples facettes de son immense talent : un trait fin et léger capable de montrer une architecture gigantesque. Avec de magnifiques mises en perspective, il nous fait pénétrer dans les passages souterrains sombres et inquiétants comme dans les lumineuses cuisines, dont il nous fait sentir les odeurs, et qu’il décrit dans le détail, à la manière d’un Brueghel. La sobriété des couleurs, appliquées par la fille de l’auteur, magnifie la nature, densifie le minéral et rend parfaitement compte de l’immensité de l’abbaye, plus proche d’une forteresse que d’un lieu de prières. Le dessin noir et blanc au lavis de pages presque monochromes, renforce le sentiment d’isolement, d’enfermement d’un lieu, huis clos étouffant et dissimulateur de secrets mortels.

au nom de la rose bd

Ces images magnifiques accompagnent les textes denses de Eco, retranscrits, quand ils sont retenus, à l’identique. Après le Cluedo pour les lieux, une galerie de portraits à la manière d’Agatha Christie, permet de dresser une liste des possibles suspects. C’est l’occasion pour Manara de dessiner de surprenants visages décrivant les moines les plus érudits comme les plus inquiétants. Des lieux, des suspects, il reste à découvrir le mobile qui lui est bien d’époque, cette période où l’écrit joue un rôle essentiel dans la transmission du savoir mais aussi du Bien et du Mal, de l’orthodoxie et de l’hérésie. Eco était un historien de haut niveau dont l’érudition affleure dans le récit qui dépasse alors l’enjeu d’une simple enquête policière.

Manara déclare : « la seule chose qui peut m’ennuyer c’est de redessiner les mêmes choses »1. Avec ce retour au XIVème siècle, historiquement juste mais propice à l’imaginaire, il s’est visiblement amusé et a abordé des thèmes nouveaux. Il a pu dessiner des trognes improbables de moines érudits ou fantasques à la manière de Rembrandt, peindre les silhouettes monastiques à la façon de Zurbarán, s’inspirer de la fantaisie de Jérôme Bosch. 

Pourtant à la fin de ce tome, le dessinateur dévêt une superbe jeune fille, comme lui seul sait les dessiner. Il pense être obligé de préciser que « la scène où la fille se déshabille a été écrite par Eco ». On ne lui en tient pas rigueur car ces dernières cases clôturent magnifiquement ce premier tome. Par leur inquiétante beauté, leur sensualité, leur douceur, elles donnent envie de découvrir rapidement la suite et la fin de cette magnifique adaptation.

Le Nom de la Rose de Milo Manara. Éditions Glénat. Tome 1. 72 pages. Parution : 20 septembre 2023. 17,50€.

La sortie du tome 2 est prévue pour fin 2024.

1 Extrait de l’interview réalisée par Frédéric Bosser dans la revue dBD de Juillet Août 2023

Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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