« La vengeance est un plat qui se mange froid ». Telle pourrait être le sous-titre de cette BD Gramercy Park digne des meilleurs films policiers des années 50. Un dessin magnifique mis au service d’un scénario noir superbement mené. Suspense poétique garanti.

BD GRAMERCY PARK

Un chaos. Un véritable chaos. Vous mettez sur les pages, des ruches, un crapaud avec des ailes d’ange, un comptable allergique aux abeilles, une maison de repos pour fous, le toit de l’opéra de Paris, un building à Manhattan, des rubans de chaussons de danse, un meurtre, une vengeance. Vous mélangez le tout, et bien d’autres choses, et vous avez entre les mains Gramercy Park une formidable BD limpide et cohérente.

BD GRAMERCY PARK

Le scénariste Timothée de Fombelle, est un écrivain bien connu de la littérature jeunesse. Son scénario pour adultes reste cependant empreint de son talent originel. Dans la plus sourde et noire réalité de la mafia new-yorkaise des années d’après-guerre, par ses mots distanciés et une voix off empreinte de poésie et de mystère, il réussit à faire parfois de son polar noir, un conte, où une petite fille, éloignée de sa mère et distante de son père, mafieux, évoque un monde imaginaire loin des contingences sordides des adultes.

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Le récit est, en apparence, saccadé, haché par une chronologie chahutée, mais le tour de force de ce montage est d’emmener le lecteur avec lui, toujours plus loin, chaque page révélant de nouveaux secrets, dans une compréhension aisée. On n’arrête pas la lecture de cette BD en cours de route. Comme un puzzle magnifiquement construit, chaque page rappelle les grands films noirs américains. Hommes de main véreux, comptable pourri, flics ambigus, amours multiples et contrariés, jalousie, femme fatale, autant d’ingrédients qui tracent en contre-jour les silhouettes d’Audrey Hepburn ou d’Humphrey Bogart.

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Cet univers est illustré à merveille par Christian Cailleaux, au sommet de son art. On n’attendait pas forcément dans ce registre, le dessinateur peintre, qui au cours des derniers mois s’est surtout illustré par des ouvrages de mer et de navigation. Celui (dont Unidivers peut vous annoncer en exclusivité mondiale qu’il dessinera le prochain Blake et Mortimer !) qui peint à merveille les marins au pompon à quai face à l’immensité de la mer, utilise ici de multiples techniques pour coller à la fois au réalisme et à l’imaginaire du récit. Fusain, aquarelle, encres de Chine, mine et estompe, dans un subtil mélange, détaillent à profusion des images d’immeubles ou au contraire laissent de vastes arrière-plans en blanc ou en monochromie. La voix off du récit lui a donné visiblement beaucoup de liberté permettant de ne pas paraphraser le texte magnifique et d’assurer un éclairage des scènes urbaines dignes des plus grands réalisateurs hollywoodiens.

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Fidèle à l’esprit du scénario, Cailleaux multiplie les techniques et les couleurs pour donner au récit toute son ampleur. Un taxi jaune prend en filature, une voiture noire, elle-même à la poursuite d’une voiture blanche. Un triptyque exceptionnel de couleurs qui se fond finalement dans l’orangé somptueux d’une fin de journée. Dans Prévert inventeur, il avait dessiné au cordeau beaucoup de portraits d’hommes attachés au surréalisme. Affinant ici son fin trait noir, il rend le lecteur amoureux de la mystérieuse héroïne Madeleine qui élève des abeilles sur les toits d’un building. Le visage allongé et posé sur un banc comme la sculpture de Brancusi « la muse endormie » vous hypnotise par la force de son ovale parfait et poétique.

BD GRAMERCY PARK

Gramercy Park est un petit parc privé et clôturé du quartier de Gramercy, dans l’arrondissement de Manhattan à New York. C’est là qu’une petite fille du nom de Billie a enterré dix-sept clés de la grille d’entrée. C’est là que peut-être est enterré le secret de l’histoire. Un chaos vous avait-on dit, mais un chaos magnifiquement agencé pour construire une des plus belles BD policières de cette année.

BD Gramercy Park.Scénario : Timothée de Fombelle. Dessins : Christian Cailleaux. Éditions Gallimard Bande Dessinée. 98 pages. 20€. ISBN 978 2 07 065756 8.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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