BD Clémenceau Benoît Mély

Il y a cent ans exactement, Georges Clémenceau rencontrait Marguerite Baldensperger. Une correspondance retrouvée permet à Benoît Mély de raconter ainsi les dernières années du « Président ».

« Clémenceau » dit le titre de la BD. Mais de quel Clémenceau s’agit-il ? Du « Tigre », celui qui a mené la France à la victoire de la Première Guerre mondiale ou du lettré, ami et protecteur de Monet ? Un sous-titre nous donne une idée : « Le crépuscule du Tigre ». Ce n’est donc pas une biographie qui nous est proposée mais plutôt une évocation de ses dernières années et le bilan d’une vie incroyable. Père la Victoire en 1918, après avoir contribué à la signature d’un armistice très défavorable à l’Allemagne, il se retire aux beaux jours, quelques années plus tard dans une petite maison vendéenne à St Vincent sur Jard, près des Sables d’Olonne. Là, en 1923, avec pour seul horizon l’océan Atlantique, il va entamer une correspondance avec Marguerite Baldensperger, que les hasards de la vie lui ont fait rencontrer à Paris. Elle est éditrice, a quarante ans, des enfants, un mari. Elle a perdu une petite fille dans des circonstances particulières. Il a plus de quatre-vingts ans, une santé fragile, la solitude, puis la mort comme perpectives. 

« Je vous aiderai à vivre … et vous m’aiderez à mourir », déclare Clémenceau, sentence qui deviendra le titre d’un joli roman de Nathalie St Cricq (1) auquel cette BD fait immédiatement penser. Deux êtres dissemblables, que rien ne devait réunir, vont tout au long d’une correspondance, enflammée et impatiente pour lui, prudente et réservée pour elle, déclarer des sentiments qu’il appartient au lecteur de définir. Amour, passion, amitié, tendresse, fougue, réserve, les adjectifs possibles sont nombreux et variés, et l’écriture de l’auteur laissent la place à la variété des possibles. 

Marguerite aura la bonne idée de ne pas détruire les 668 lettres que le Tigre lui a adressées. Clémenceau qui possédait des talents oratoires indéniables se révèle un écrivain de son temps qui ferait pâlir les hommes et femmes politiques actuels. On dit d’ailleurs que cette correspondance aurait inspiré celle de François Mitterand et d’Anne Pingeot. Les formules sont précieuses et recherchées, elles ont le charme d’une époque révolue. 

« Vous me découvrez une qualité qui me faisait défaut : la ferveur épistolaire… Comme on dit, je ne vous écris pas, je vous cause ».

Un portrait de Clémenceau se dégage de ces pages, celle d’un battant, d’un homme qui ne croit guère, contrairement à Jaurès, à l’Homme. Il est omniprésent, omnipotent, cultivé, attachant, combattant. Lucide sur ses forces, ses faiblesses, Mély l’anime avec vivacité pour montrer sa passion et ses indéfectibles convictions. Par sa silhouette merveilleusement croquée, sa vieillesse, et son expérience unique de la vie publique habilement racontée, il en impose. Il soutient ceux qu’il aime comme Claude Monet, menacé de perdre la vue, mais il n’écrase pas Marguerite, dont la frêle silhouette prend de la consistance au fil des pages. 

Les portraits épistolaires sont tendres et doux. Tendre à l’égard de l’homme politique, sympathique comme un vieillard ébouriffant. Doux, pour décrire Marguerite animée par le trait fin et léger de Benoît Mély qui pose des couleurs pastel sur les mots. 

Céleste Albaret et Proust, Lydia Delectorskaya et Matisse, Jacqueline Roque et Picasso sont proches de l’histoire de Marguerite comme toutes ces femmes, amante, amie, employée, modèle, qui accompagnèrent ces hommes célèbres à la fin de leur vie et laissèrent une trace dans leurs biographies. Publiées en 1970, ces lettres retrouvées par Pierre en 1936, un des fils de Marguerite, rendent un bel hommage à une maman meurtrie par l’existence mais régénératrice de vie.

Les vacances approchent et une petite visite à la maison modeste et discrète de St Vincent sur Jard s’impose. En observant la mer du bureau de Clémenceau, il vous sera impossible de ne pas penser au vieil homme, penché sur la feuille de papier blanc, concentré pour trouver les mots à adresser à celle qui lui procurera les dernières émotions de sa vie. Il manque juste un encrier. Celui que Clémenceau a légué à sa mort à « Madame Baldensperger ». À Marguerite, plus simplement. 

Clémenceau. Le crépuscule du Tigre de Benoît Mély. Éditions Des ronds dans l’O, avril 2023. 140 pages. 23€.

(1) Paru en mars 2021 aux éditions de l’Observatoire, bientôt adapté en téléfilm avec Pierre Arditi. 

BD Clémenceau Benoît Mély
Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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