Captif des glaces Steinkis
Captif des glaces de Clément Baloup et Hugo Stephan, éditions Steinkis, 2024.

La conquête du Pôle Nord fut une des aventures humaines les plus difficiles. La BD Captif des glaces de Clément Baloup et Hugo Stephan, parue aux éditions Steinkis, nous raconte une des premières expéditions delà du cercle polaire. Glaçant et passionnant.

Difficile d’imaginer aujourd’hui que le Pôle Nord était, il y a un siècle et demi, encore un univers à explorer. Et plus surprenant encore que sa cartographie, sous les injonctions notamment de l’allemand August Pertermann, était fausse puisqu’on imaginait au-delà d’une ceinture de glace initiale, une « mer libre », un bassin polaire où l’eau ne serait pas gelée et bénéficierait d’un climat tempéré ou chaud. Il semblait donc possible d’atteindre le Pôle Nord en passant par l’Océan Pacifique. Telles étaient les connaissances scientifiques le 8 juillet 1879 quand la Jeannette quitta le port de San Francisco pour partir à la conquête de l’Arctique. À la tête de l’expédition, l’« Us Artic Expedition », un « bienfaiteur », James Bennett, propriétaire du New York Herald et mécène, un commandant, De Long et un officier de la marine américaine, George W. Melville. À leurs côtés, trente hommes s’engagent dans l’aventure que nous raconte Clément Baloup et dessine Hugo Stephan, s’appuyant tous deux sur un travail documentaire remarquable.

La BD Captif des glaces nous met utilement dans la tête de ces marins qui découvrent au fil des jours que les préceptes scientifiques du départ sont erronés, avec comme première conséquence le blocage du navire par les glaces, dès le mois de septembre. Peu à peu, les croyances scientifiques du départ s’effondrent et la réalité d’un enfermement sur la glace s’impose. Le retour à la terre ferme devient un rêve.

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Le récit chronologique nous fait partager de manière claire et précise ces doutes, ces terreurs, s’appuyant sur un carnet de bord retrouvé intact avec les corps des marins décédés. On s’attache à la nature humaine et aux étonnants réflexes de survie mis en place face à une situation désespérée. Le lecteur devient le spectateur ébahi de la capacité de l’Homme à penser qu’il lui est possible de dominer les éléments. Les stratégies matérielles et psychologiques pour survivre sont au cœur de ces pages qui contractent le temps : imaginaire, hiérarchie, amusements sont utilisés pour aider à passer le temps et à survivre. Seules les dates inscrites dans certaines cases témoignent de la durée inimaginable d’une vie dans des conditions épouvantables où la température atteint parfois les -50° C.

Le dessin de Hugo Stephan, plus documentaire qu’esthétique, restitue sobrement ces moments de doute. Les couleurs froides, quasi monochromes à dominante bleue ou jaune, nous font frissonner et laissent dès le début du récit peu de place à l’optimisme.

Finalement, le 12 juin 1881, La Jeannette est broyée sur la banquise qui dérive dans l’océan glacial Arctique. Le 7 septembre, les membres de l’équipage se répartissent sur trois canots dont l’un, avec huit hommes, disparaît, corps et biens. En octobre 1881, les deux autres embarcations sur lesquels quatorze hommes avaient pu embarquer, accostent dans l’embouchure de la Léna, avec à peine cinq jours de vivres. C’est le début d’une longue errance qui va séparer les deux équipages alors rescapés.

Captif des glaces Steinkis
Captif des glaces de Clément Baloup et Hugo Stephan, éditions Steinkis, 2024.

De cette expédition incroyable, seuls treize hommes survivront, dessinés à jamais sur une gravure inspirée d’une photographie prise à Iakoutsk en Sibérie en 1882. Enveloppés dans de grands manteaux de fourrure, ils semblent ne former qu’un seul corps, une masse épuisée et vaincue. Précurseurs, il faudra attendre encore quelques années et de nombreux mensonges et controverses toujours vivantes, pour atteindre enfin ce fameux lieu mythique. Les Américains Robert Peary et Frederick Cook affirmeront chacun de leur côté l’avoir atteint en 1909. Histoires d’ego, d’aventuriers mais aussi aventures personnelles qui se doublent d’un projet de mise en souveraineté d’un territoire, n’appartenant à personne. L’universitaire Vincent Piolet, qui a rédigé une remarquable postface, écrit ainsi que « l’Arctique est perçu à partir du XIXème siècle comme une région stratégique pour tout État ayant la volonté de projeter sa puissance politique ». Aujourd’hui, des brise-glaces russes à propulsion nucléaire tendent à redessiner les cartes géographiques d’un univers mouvant. Des cartes comme au temps de Pertermann, objets de fantasmes et de volonté de pouvoirs. Objets de soumission à la volonté humaine. Et à son esprit d’aventure.

Captif des glaces Steinkis
Captif des glaces de Clément Baloup et Hugo Stephan, éditions Steinkis, 2024.

Captif des glaces de Clément Baloup (scénario) et Hugo Stephan (dessin). Éditions Steinkis. 120 pages. Parution : 7 mars 2024. 22€.

Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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