borboleta madeleine pereira
Borboleta de Madeleine Pereira, éditions Sarbacane, 2024.

Madeleine Pereira se transforme, le temps d’une BD aux éditions Sarbacane, en papillon, une Borboleta, voletant de souvenirs en souvenirs, pour reconstituer l’histoire d’un pays, le Portugal, et d’une famille, la sienne.

Il est difficile de marcher à Lisbonne : les rues sont pentues, tortueuses, couvertes de pavés glissants comme la mémoire de nombreux portugais qui veulent oublier les années de la dictature de Salazar. Le père de l’autrice fait partie de cette masse silencieuse qui ne souhaite pas se souvenir : il n’a pas le temps, ni l’envie. Il était « trop petit ». Madeleine Pereira ne se satisfait pas de ce silence. La jeune femme française cherche à retrouver ses origines, celles de sa famille et celles de son pays, dont elle ne connait guère que des joueurs de foot. Et un nom propre : Salazar auquel est accolé un nom commun, celui de dictature. Dans l’adaptation graphique de Pereira prétend, le roman de Tabucchi, Pierre-Henry Gomont mettait en images l’existence de Pereira (« Y a quasi plus de Pereira que de Portugais », dit un personnage de Borboleta), silhouette falote, antihéros, petit bourgeois indifférent à la dictature de Salazar, qui va devenir résistant par un concours de circonstances. Nicolas Barral à son tour Sur un air de Fado dessinait un personnage qui accepte en apparence le régime sans combattre. Silences, non-dits, amnésie, sont des signes communs à tous ces ouvrages qui racontent cette période où chacun espionne l’autre. Et c’est aussi à ce mutisme que Madeleine va se confronter. Elle doit aller sur place, apprendre l’histoire d’une dictature dont elle estime à juste titre qu’elle est un peu oubliée alors qu’elle dura de 1926 à 1974, soit une période largement supérieure à celle d’Hitler, de Mussolini ou de Franco.

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« J’ai toujours l’impression que les vieux portugais sont tristes et heureux en même temps », constate-t-elle, deux sentiments qui se confondent peut être avec la joie de vivre en démocratie et le poids d’une période de plomb où chacun fit comme il put. Ce sont les amis de son père qui vont l’aider d’abord en racontant avec une douceur et une formidable tendresse leur passé et leurs histoire personnelle. Jeunes à l’époque, tous sans exception ont eu à souffrir de cette dictature qui rendait même les repas familiaux, lourd de sous-entendus, moments de possibles dénonciations. On cause la main devant la bouche car les murs ont parfois des oreilles. Madeleine Pereira dessine, dans un style a priori enfantin, mais plein de douceur et de poésie, les souvenirs de ces désormais vieux hommes, restés au pays dans l’attente du père parti clandestinement en France, ou de ceux qui, encore enfants, franchirent la frontière pour échapper à la dictature, à la conscription. Ils sont touchants de tendresse et leurs larmes, quand ils reviennent au Portugal, dissimulent ces atmosphères délétères marquées par une éducation scolaire répressive, le poids de l’église, le dénigrement des filles et des femmes, ravalées au second rang. Les souvenirs sont difficiles et n’écartent rien, même pas la description des séances de torture de la Pide, la police politique salazarienne. Peu à peu, de témoignage en témoignage, Madeleine va ainsi réussir à se rapprocher de l’histoire familiale, intimement liée au régime politique dictatorial, jusqu’à peut être réussir à ouvrir une boîte de Pandore, pleine de photographies, celle qui dénouera la mémoire de son père.

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Ce sont près de cinquante ans d’histoire qui sont ainsi racontés avec pudeur, drôlerie parfois, et surtout une envie de comprendre sans jugement. Les petites anecdotes personnelles côtoient l’évocation de l’Histoire qui s’achève un 25 avril 1974 par la « révolution des œillets ». Tout n’est pas sombre et le jaune omniprésent rappelle la lumière des dessins de Cyril Pedrosa. Sous la dictature, le Portugal reste un pays de soleil. Et Madeleine Pereira le fait briller, même dans les circonstances passées les plus sombres.

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Borboleta de Madeleine Pereira, éditions Sarbacane, 2024.

Borboleta de Madeleine Pereira. Éditions Sarbacane. 176 pages. Parution : 3 avril 2024. 24€.

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Eric Rubert
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