Comment devenir riche dans le New-York des années trente quand on est simple cireur de chaussures ? Mikaël en suivant de près un jeune orphelin raconte son itinéraire mouvementé dans les quartiers pauvres de la mégalopole en extension.

BOOTBLACK MIKAEL

La couverture de Bootblack résonne comme un souvenir récent. Aucun doute, ce trait, ces couleurs spécifiques, ces gratte-ciel, nous ramènent aux albums Giant de Mikaël qui racontaient l’histoire de ces ouvriers constructeurs de tours new-yorkaises.

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Les voitures, les vêtements sont pareillement ceux des années trente. Alors est-ce une suite, un troisième opus? Pas exactement, car des hauteurs on redescend ici sur terre au niveau des rues et des ruelles de cette ville en perpétuelle évolution. Une fois encore, le dessinateur franco-canadien poursuit sa description des quartiers populaires, misérables ou des milliers de migrants se cherchent une identité.

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Des gens fortunés, on ne distingue bien souvent que les pieds, les chaussures que font reluire ces enfants, ces bootblacks pour 10 cents, à genoux, la tête baissée. Par contre, on pénètre l’univers caché des miséreux et des gamins des rues qui survivent souvent en volant des portefeuilles. C’est l’un d’entre eux, Al, que Mikaël nous présente, Al comme Altenberg, un nom venu du village natal de ses parents, en Allemagne. À dix ans il est orphelin et va devoir apprendre à survivre dans la jungle de la ville tentaculaire. Comme Oliver Twist de Dickens, quelques décennies plus tôt, on va le suivre dans sa quête d’une identité qu’il revendique américaine et surtout dans sa quête de survie. Les potes comme Shiny, les mauvaises fréquentations, la pègre, la mafia, constituent l’environnement du gosse devenu adolescent et amoureux de la mystérieuse Margaret.

BOOTBLACK MIKAELPour casser les codes et transformer un récit traditionnel en oeuvre originale, Mikaël n’hésite pas à fractionner son histoire en allers-retours de l’automne 1929 à 1945, rompant la chronologie en modifiant les couleurs dominantes de chaque période. Survivre et trouver une identité sont les deux leitmotiv de ces jeunes qui ne voient de la possible réussite d’un pays neuf ouvert aux plus audacieux que le cuir de chaussures. Souhaitant s’intégrer dans ce pays rêvé, se définissant comme américain, méprisant les « maudits métèques », Al va ainsi s’engager dans l’armée américaine au service d’un pays qui ne lui a pourtant pas offert le bien être économique.

BOOTBLACK MIKAELLa qualité première du premier tome de ce dytique, dont le tome de fin est annoncé pour l’année prochaine, réside dans un dessin superbe, identifiable parmi des milliers d’autres et qui s’appuie sur une évidente documentation. Comme dans un livre photos des années trente, on se met à observer avec attention les moindres détails de cases dans lesquelles la vie quotidienne au ras du sol est décrite avec minutie. On découvre les échoppes, les théâtres, la gare ou le port d’une ville en pleine effervescence quand les langues se mélangent, les classes sociales s’affrontent ou s’ignorent.

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Comme un cinéaste soignant ses cadrages, l’auteur magnifie des vues en contre plongée de la Grosse Pomme, sujet principal de cette BD, où le brouillard nimbe souvent les tours comme pour les rendre plus humaines. Moins fluide que son précédent diptyque et sur un sujet moins original, le dessinateur emmène pourtant son lecteur dans des méandres d’une histoire où les gens de peu occupent une place essentielle loin des Ford, Rockfeller.

BOOTBLACK MIKAELL’Amérique se construit aussi dans ces quartiers ou âgé seulement de 10 ans, Al crie en s’enfuyant de chez lui une dernière fois: « Ici les gens se font tout seuls », même si l’avenir lui prouvera que cette élévation sociale ne se fait pas sans difficultés ou compromissions. Le rêve américain s’est aussi construit sur de difficiles illusions. Mikaël montre superbement l’envers du décor.

BOOTBLACK MIKAEL

BD Bootblack de Mikaël. Éditions Dargaud. 64 pages. Cet album est complété par un magnifique cahier graphique de 8 pages. 14€.

Dessin : Mikaël
Scénario : Mikaël
Couleurs : Mikaël

Public : Ado-adulte – à partir de 12 ans

Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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