Le public présent à l’opéra de Rennes dimanche 17 mars 2019 est resté sans voix. Ce ne fut pas, Dieu merci, le cas des nombreux chanteurs venus présenter la Passion selon Saint-Jean de Jean-Sébastien Bach interprétée par le Banquet céleste sous la direction de Damien Guillon. Un moment presque sacré, à la hauteur de l’enjeu.

Lorsque les meilleurs ingrédients sont rassemblés, tout incite à penser que le résultat sera satisfaisant. Cette remarque illustre parfaitement le concert qui a uni sur la scène de l’opéra de Rennes les forces vives de la musique dite savante dans notre ville. En premier lieu l’ensemble le banquet céleste, dont nous avons à de nombreuses reprises salué les performances, ensuite le chœur Mélisme(s) et son chef Gildas Pungier dont les réalisations sont toujours remarquées et enfin un ensemble qui nous tient particulièrement à cœur, la maîtrise de Bretagne, pour quelque temps encore sous la houlette de Jean-Michel Noël, dont nous avons souligné l’excellence dans un précédent article. En un mot, l’occasion de se réjouir et de revoir des visages amis.

La Passion raconte, en s’appuyant sur l’évangile de Saint-Jean mais également sur des écrits profanes, les derniers jours de la vie de Jésus et les épreuves qu’il dut accepter afin que soient rachetées les fautes du genre humain. La construction de l’œuvre de Bach respecte la chronologie utilisée dans l’évangile : Arrestation – Jésus devant les chefs des prêtres- Jésus devant Pilate – Crucifixion – Mise au tombeau.

banquet céleste
Le Banquet Céleste : La Passion selon Saint-Jean de Jean-Sébastien Bach à l’Opéra de Rennes Mars 2019.
Le Banquet Céleste (Direction Damien Guillon) est accompagné par le Choeur Mélisme(s) et la Maîtise de Bretagne.

Il aura suffi des dix-huit premières mesures avant que n’éclate le chœur « Herr, Herr unser Herrscher », Seigneur, Seigneur notre Maître. Fortement inspiré du psaume 8 de David, c’est sans doute une des pages les plus spirituelles de l’œuvre de Bach, ces lignes contiennent une incomparable intensité dramatique et évoquent avec force l’angoisse ressentie par le chrétien face aux souffrances du Christ. La narration continue avec la question posée aux juifs par Jésus au jardin de Getsémani « Que cherchez vous ? », c’est avec agressivité qu’ils répondent « Jésum von Nazareth. ». Il a beau dire qu’il est Jésus, il ne peut être entendu. La passion se révèle comme un véritable drame, on y observe ce qui pourrait être assimilé à des scènes d’opéra. C’est curieusement le genre musical auquel Bach ne s’est jamais confronté. C’est peut-être lié au fait que le conseil municipal de Leipzig, lorsqu’il a offert au cantor l’emploi de maître de chapelle de la Thomaskirche, lui avait ordonné de limiter sa production à des musiques non théâtrales. Sa rigueur très luthérienne et son sens de l’obéissance ne l’ont cependant pas empêché de produire deux passions dont la trame et le traitement musical très expressifs rappellent les plus émouvants moments d’opéra.

 La particulière beauté de cette œuvre tient également à l’articulation que propose Bach, entre la narration, faite par un personnage appelé l’évangéliste, et les chœurs ou les solistes qui viennent illustrer ses dires en les développant. A ce jeu, le ténor Thomas Hobbs nous inflige une véritable leçon de Bach dans le texte. Il a la voix et l’intelligence d’interprétation qui font de son travail une authentique démonstration. Dans le rôle de Jésus, le baryton Benoît Arnould lui répond avec conviction, comme le feront aussi la soprano Céline Scheen, le ténor Nicholas Scott, et l’excellent alto Paul-Antoine Bénos-Dijan. Soyons honnêtes, mais du point de vue vocal, nous sommes gâtés, les neufs représentants de Mélismes offrent une base solide et expérimentée, les vingt-trois membres de la maîtrise, une pâte musicale frôlant la perfection, il serait difficile d’exiger plus !

Damien Guillon
Le Banquet Céleste : La Passion selon Saint-Jean de Jean-Sébastien Bach à l’Opéra de Rennes Mars 2019.
Le Banquet Céletse (Direction Damien Guillon) est accompagné par le Choeur Mélisme-s et la Maîtise de Bretagne.

La très belle sonorité baroque proposée par le banquet céleste contribue à créer une dimension spirituelle d’une particulière intensité, nous serons parfois submergés par l’émotion, surtout au moment du reniement de Pierre ou de la crucifixion. La musique de Bach décrit les événements avec clarté, le chœur « Nicht diesen, sonder Barrabam », non pas lui mais Barrabas ! Aussi bien que le lancinant « Kreutzige » répété 24 mesures, crucifiez le !! parlent directement à notre âme et font de nous des révoltés. Nous ne le serons pas moins lors de la description des humiliations que subit Jésus, la couronne d’épines, le manteau de pourpre, les quolibets, les gifles, la terrible flagellation. La puissance narrative de Bach est évidente, chrétiens ou pas, tous communient dans une même et muette consternation. Les trois tentatives de Ponce Pilate pour libérer Jésus ne servent à rien, il a beau affirmer qu’il ne voit pas en lui de culpabilité, les juifs lui rétorquent avec hargne « Lassen do diessen los » en forme de menace..si tu le laisses partir !

Toute cette montée de l’intensité de l’œuvre s’apaise avec l’air d’alto « Es ist vollbracht » ; tout est accompli ! Discrètement accompagné par la viole le Christ prononce ses dernières paroles. Après avoir chanté la victoire de Jésus sur Judas, l’alto fait silence, c’est le moment d’entendre la phrase douloureuse et fatidique ; « et il baissa la tête et mourut. » S’ensuit le magnifique chœur ; « Ruth wohl, ihr heiligen Gebeine » Reposez en paix, ô saintes dépouilles, curieusement plus chargées d’espoir que de tristesse. Il y a dans cette musique un absolu de sérénité, une incomparable lumière qui offre à cette passion une dimension supra humaine.

Ce chef-d’œuvre de Bach fut donné pour la première fois le Vendredi saint de l’année 1724 à la Nikolaikirche de Leipzig.Quelle tristesse de constater qu’après sa mort en 1750 cette passion tombât dans l’oubli jusqu’à son exhumation par Félix Mendelssohn en 1833. Bach n’était plus à la mode !

Le grand public a tendance à lui préférer la passion selon Saint-Mathieu, plus séduisante sans doute, et plus brillante, et les choix esthétiques ne se discutent pas. Pourtant cette passion selon saint-Jean, lorsque l’on se donne la peine de l’étudier attentivement est une œuvre d’une profonde spiritualité et d’une musicalité digne de toutes les louanges. Bach avait pour habitude de terminer ses compositions avec le paraphe « A soli gloria deo », ce qui signifie « pour la plus seule gloire de Dieu ». La passion selon Saint Jean en est une vibrante illustration.

PS: Damien Guillon et le banquet céleste viennent de sortir il y a quelques jours à peine un nouveau CD consacré également à Bach. Déjà largement encensé par la critique il nous a absolument bluffés. Cette fois encore, composé avec beaucoup d’intelligence, il offre 74 minutes d’une incomparable musique. Vous le trouverez facilement « Aux enfants de Bohème », le disquaire rennais toujours présent aux concerts, nous vous le conseillons avec enthousiasme.

Photos : Laurent Guizard 

Thierry Martin
thierry.martin [@] unidivers .fr

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