La salle de spectacles Le Grand Logis, à Bruz, accueillait la première d’Artemisia Gentileschi au mois d’octobre 2021. La nouvelle création théâtrale mise en scène par Guillaume Doucet entame prochainement sa tournée 2022, et sera de passage en Bretagne pour six dates. Portée par le grope Vertigo, la pièce revient sur le procès intenté à l’artiste Agostino Tassi pour le viol de la jeune peintre Artemisia Gentileschi, en 1612… Une mise en abyme théâtrale engagée où le passé se connecte au présent dans une ironie cinglante, mais bienveillante.

En octobre 2021, le Grand Logis de Bruz accueillait la première de la pièce Artemisia Gentileschi, portée par le groupe Vertigo, alors que le mouvement #MeTooThéâtre émergeait, dans la continuité de la libération de la parole des femmes. Comme il est coutumier, le metteur en scène Guillaume Doucet, diplômé de l’école du TNB, propose de nouveau un spectacle fort et riche en messages, résolument politique. Ce fil rouge, omniprésent depuis la naissance du groupe en 2008, révèle une compagnie de théâtre, dont Rennes a été le berceau, engagée dans la transmission de valeurs chères à son cœur.

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Guillaume Doucet © Julien Mota

Une compagnie de théâtre engagée dans son époque

Depuis près d’une quinzaine d’années, le groupe Vertigo développe une ligne autant politique qu’artistique en traitant de thématiques sociales, sociétales et politiques telles le féminisme, les rapports entre les hommes et les femmes, l’anti-capitalisme ou les injonctions de genre. « L’envie était de porter un propos politique en passant par la narration », déclare Guillaume Doucet. Rappelons le spectacle Europeana, à l’origine de la création de la compagnie, qui restituait dans un imbroglio savamment orchestré l’histoire du XXe siècle. Avec un ton incisif et hilarant, le directeur artistique a juxtaposé les événements passés au cours du siècle avec absurdité et vivacité. Le bug du millenium côtoyait l’attentat de Sarajevo, et la création de l’État d’Israël s’entretenait avec l’apparition de la poupée Barbie… Drôle, mais cinglant.

En 2009, la pièce Pour rire, pour passer le temps exposait quant à elle la représentation de la violence et les mécanismes de la soumission à l’autorité. Love & Information en 2016 et Black Mountain en 2019 abordaient les relations hommes-femmes. Le premier dressait un état des lieux du monde contemporain à travers le prisme de l’amour et de l’information tandis que le second traitait de la trahison au sein d’un couple. Et en 2018, Pronom mettait en scène l’histoire d’un adolescent transgenre.

Au choix méticuleux des sujets abordés s’ajoute un engagement dans le choix des interprètes au plateau. « Un soin particulier est porté à la constitution des équipes. La compagnie fait appel à des interprètes sans déconnecter dans leur choix l’artiste de la personne. » L’interprète et le personnage vivent en parallèle, ils dialoguent de différentes manières. Les personnages se révèlent sur scène et racontent une histoire, mais à travers eux, le public est également face à des personnes entrain de travailler, de partager une pensée. « Au théâtre particulièrement, l’humain est quasi omniprésent. On joue avec le vivant », explique Guillaume Doucet. Les intervenant.e.s sont ainsi impliqué.e.s dans les luttes mises sur le devant de la scène, ou du moins dans ces réflexions. « On essaie d’appliquer ce que l’on cherche à défendre au plateau, comme la mise en place d’une politique d’égalité salariale quelque soit la classe : technique, mise en scène, jeu, etc. »

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Artemisia Gentileschi / Mise en scène Guillaume Doucet – Vertigo © C Ablain

Artemisia Gentileschi : miroir de notre temps

De ces bases militantes est née Artemisia Gentileschi, pièce pensée en prisme direct avec la réalité. « Artemisia Gentileschi rassemble les quatre interprètes avec qui je travaille le plus au plateau. C’est une amitié théâtrale et quatre artistes talentueu.ses.x. » L’histoire prend place pendant la Renaissance italienne, en 1612. Neuf mois durant, Rome fut agitée par le procès du peintre Agostino Tassi pour le viol de la jeune peintre Artemisia Gentileschi. Réalisé d’après le texte It’s true, it’s true, it’s true d’Ellice Stevens et Billy Barrett, et les transcriptions du procès intenté au professeur de perspective, le spectacle n’a de cesse d’aborder les enjeux passés pour mieux critiquer la société actuelle et ses dérives.

Aussi incroyable que fut le dénouement de l’histoire pour l’époque, la victoire d’Artemisia (après avoir bien entendu subi tortures physique et mentale), la pièce révèle l’inexorable vérité : en quatre siècles, la situation a connu peu d’évolution, voire quasi aucune. « Il y avait politiquement deux grandes raisons de choisir la figure d’Artemisia. La première est la résonance incroyable de l’histoire avec l’actualité du mouvement #Metoo. Artemisia est un exemple de ce qu’il peut encore se passer de nos jours », partage Guillaume Doucet. Une des plus grandes peintres de l’histoire est ainsi convoquée sur scène pour parler de nous, sans pour autant dispenser un discours moraliste ou un jugement. Seulement des faits maintes fois vérifiés. Des constats tels la décrédibilisation de la victime, la protection de la place de l’artiste reconnu par son milieu qui rend l’agresseur intouchable ou l’injonction à apporter des preuves impossibles à fournir sont exposés sur scène et poussent le public à la réflexion.

En la figure d’Artemisia Gentileschi se dessine également la constatation d’une mémoire trop longtemps bafouée, et seulement en cours de déconstruction à l’heure actuelle. Le groupe Vertigo cherche à réhabiliter celle qui peigna pour les Médicis, le roi d’Angleterre et toutes les grandes cours d’Europe. Celle qui sut atteindre le plus haut niveau de reconnaissance pour son époque et qui, malgré tout, n’est pas enseignée à l’école. « La deuxième raison relève de la question du matrimoine. Très peu de femmes artistes sont connues avant l’époque moderne, voire quasi aucune. Ça montre une désinformation anormale de la connaissance des femmes artistes dans l’histoire de l’art. »

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Artemisia Gentileschi / Mise en scène Guillaume Doucet – Vertigo © C Ablain

« Il y a aussi des raisons dramaturgiques. L’histoire est trépidante et la figure surprenante », continue t-il. Artemisia s’inscrit dans un rapport d’empowerment par rapport à ce qui lui est arrivé : loin de l’image d’Épinal de la victime abattue, la jeune peintre est combative et ne se laisse pas décrédibiliser, et ce malgré la manipulation des témoins et perversion de l’accusé. Au fur et à mesure de l’avancée de la pièce, du procès, les tableaux d’Artemisia Gentileschi accompagnent le propos dans une mise en abyme entre son histoire, celle de son époque et la nôtre. Ils montrent la force créative de l’artiste, son déterminisme, mais ils écrivent également l’histoire de la société de l’époque. « Artemisia peint des figures anciennes, pour la plupart bibliques comme Judith et Cléôpatre, pour faire bouger les lignes de son époque, et nous, on la représente pour parler de la nôtre », précise Guillaume Doucet qui inscrit son travail dans la même démarche qu’Artemisia.

Artemisia Gentileschi - première Le Grand Logis Bruz
Artemisia Gentileschi – première Le Grand Logis Bruz 2021-10-14

Dans un aller-retour permanent entre passé et présent, la pièce montre que les temps communiquent entre eux. Des liens se tissent avec des thématiques contemporaines, telles le street-art. Ancrée dans son époque, la vie d’Artemisia est intrinsèquement liée à l’histoire de la peinture classique, celle racontée par l’histoire de l’art. Mais quand la peintre graffe à la bombe dorée une litanie de « È vero » ( « C’est vrai », en italien), elle convoque l’histoire de la peinture pour mieux guider le spectateur dans les valeurs originales, et militantes, du graff. « Dans l’histoire de la peinture, le doré a toujours été difficile à manier. C’est toujours le cas », raconte le metteur en scène. Et d’enrichir, « Le fait d’occuper les murs est une des formes d’expression actuelles d’une lutte, il y a une filiation avec la part politique de l’art. La scène renvoie aux inscriptions sur les murs et aux collages féministes. »

La question du genre est également intégrée à l’ensemble de la pièce, particulièrement avec le rôle du juge, porté brillamment par la comédienne Gaëlle Héraut. « À l’origine, plusieurs hommes menaient l’instruction, mais j’aimais le regard que ce choix portait sur l’histoire. Il permettait de parler des figures de femmes, comme celle de Ni juge, ni soumis de Jean Libon et Yves Hinant, ou celle de Dixième chambre – Instants d’audience de Depardon », renseigne-t-il. « On y voit aussi la contrainte de la fonction quand c’est une femme qui l’endosse. »

De la même manière, l’inversion des rôles dans la scène où les comédiennes enfilent de fausses barbes est une référence au collectif La Barbe. Ce groupe d’action féministe envahit les lieux traditionnellement dominés par les hommes avec de fausses barbes et félicitent les intervenants en jouant les hommes bourrus. « Dans la pièce, on voit les interprètes au travail et dans cette optique, une personne peut enfiler une perruque et interpréter un personnage masculin. Je cherchais ce rapport performatif au personnage. »

Alors que le groupe Vertigo va entamer sa tournée nationale, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) vient d’octroyer au metteur en scène une aide au concept, dans la catégorie série fiction, pour le développement de sa série ARTEMISIA. Une nouvelle qui présage une belle vie à cette jeune peintre, longtemps oubliée, mais enfin reconnue…

Artemisia Gentileschi, Le Groupe Vertigo, à partir de 14 ans. Durée : 1h30. 

En parallèle, une performance vouée à être jouée en musée a été imaginée. Looking at Judith sera prochainement au musée des beaux-arts de Quimper et au musée des beaux-arts de Rennes. Dates à venir

DISTRIBUTION :

D’après le texte It’s true, it’s true, it’s true d’Ellice Stevens et Billy Barrett, et les transcriptions du procès intenté à Agostino Tassi en 1612 

Traduction, adaptation et mise en scène : Guillaume Doucet
Jeu : Philippe Bodet, Gaëlle Héraut, Bérangère Notta, Chloé Vivarès
Composition, création sonore et régie son : Maxime Poubanne / alternance régie : Anthony Tregoat
Création et régie lumière : Nolwenn Delcamp-Risse / régie lumière : Adeline Mazaud
Costumes : Cassandre Faës, Anna Le Reun
Effets spéciaux : Franck Limon-Duparcmeur
Construction : Philippe Cottais, Hervé Vieusse
Administration : Marianne Marty-Stéphan, Marine Gioffredi
Chargée de production : Claire Marcadé 
Diffusion : Gwénaëlle Leyssieux, Lou Tiphagne / Label saison – lou@labelsaison.com

Production : Le groupe vertigo 
Coproduction : DSN, Dieppe / L’Archipel, Fouesnant / Théâtre du Pays de Morlaix / Centre Culturel Jacques Duhamel, Vitré / La Fédération d’associations de théâtre populaire (FATP) (lauréat coproduction 2021/ 2022)
Soutiens : Le Grand logis, Bruz / Espaces culturels Thann-Cernay / Théâtres Arche-Sillon, Tréguier-Pleubian / Théâtre de Lorient, Centre Dramatique National
Partenaires institutionnels : Ville de Rennes, Conseil Départemental d’Ille et Vilaine, Région Bretagne
Mécénat Artcento 

La pièce It’s true, it’s true, it’s true est représentée en France par Séverine Magois, en accord avec Breach Theatre, Londres
Le groupe vertigo est conventionné par le Ministère de la Culture – DRAC Bretagne.

DATES DE LA TOURNÉE 2022 :

18 janvier 2022 – L’ATAO, Théâtre Gérard Philippe, Orléans (45)

21 janvier 2022 – Théâtre de l’Arche, Tréguier (22)

27 janvier 2022 – Théâtre du Pays de Morlaix, Morlaix (22)

1er février 2022 – ATP de Poitiers, Théâtre Auditorium de Poitiers (TAP), Poitiers (86)

3 février 2022 – Centre Culturel Jacques Duhamel, Vitré (35)

10 février – ATP de Roanne, Théâtre de Roanne, Roanne (42)

24 février 2022 – DSN, Dieppe (76)

1er mars 2022 – L’Hermine, Sarzeau (56)

3 & 4 mars 2022 – L’Archipel, Fouesnant (29)

31 mars 2022 – ATP d’Avignon, Théâtre Benoît XII, Avignon (84)

12 avril 2022 – ATP de Dax, Théâtre de l’Atrium, Dax (40)

15 avril 2022 – ATP de l’Aude, Théâtre Na Loba, Pennautier (11)

22 avril 2022 – ATP de Nîmes, Théâtre Christian Liger, Nîmes (30)

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