jeanine paloma guéran

Pause poétique et picturale avec deux recueils publiés par la Ploemeuroise Jeanine Paloma Guéran, autant peintre que poète.

Deux ouvrages, aux vagues déferlantes de l’anse de la Stole, sous la brise de Groix qui souffle, dans le double feu du phare au bout du monde, et nous voilà naviguant sur le glaz. Le Glaz ? Oui, cette couleur qui définit la Bretagne mêlant le bleu, le vert et le gris, et nous porte en mer et sur terre. Deux volets d’un même regard, d’une même main, maniant qui le pinceau, qui le mot, et l’on entend le grand Leonard de Vinci souffler à l’oreille de Paloma et de Jeanine Guéran, riche de ses deux prénoms, que « la peinture est une poésie qui se voit au lieu de se sentir et la poésie est une peinture qui se sent au lieu de se voir ». Jeanine et Paloma réunies en un même son et lumière : ici l’oreille, l’œil là.

jeanine paloma guéran

Et voilà deux ouvrages semblables à l’ouïe et différents au regard : Ancrages et Encr’âge. Et c’est qu’il y a, dans cette double démarche, paupière pour voir, pavillon pour entendre. Et l’on ne sera pas plus surpris de ces flots qui s’alignent que des mots qui déferlent.

« Je suis bretonne et îlienne, de l’île de Groix, mon ancre depuis quatre générations. De cet univers, le contemple les deux mondes qui sont les miens — la mer et la terre qui s’y côtoient en harmonie, et parfois s’affrontent. Je me suis nourrie du bleu de la mer et du vert de la terre, ces couleurs qui, souvent, se mêlent : Glaz, ce terme breton définit si bien cette harmonie singulière… Toutes ces couleurs s’allient en douceur ou en force comme la vague tumultueuse. »

Tel est le monde de Jeanine Guéran, en peintre, de Paloma Guéran, en poète.

« Sur la terre calcinée, il ne restait rien.
Un nuage de fumée disait l’horreur,
la cendre qui recouvrait la vie, un fantôme de ville au loin. »

Telle est d’emblée l’histoire d’une île perdue au large de Lorient, à un empan de Lomener qui est Ploemeur, cette Groix qui a vu naître l’artiste des mots et des choses. Et là, à l’anse du Stole, la voilà, esseulée et broyant son enfance, qui jette son regard à tout vent, à tout-va :

La terre, ombre
De sienne,
Le jour s’alanguit.
Le silence
Dans les feuillages
S’établit.
La mer soupire
D’aise
Étale.

À l’angle de la fenêtre
La plus haute,
La délicate silhouette
Ombre blonde
D’une fillette s’enfuit.
Son rire fracasse
Le silence
D’une enfance évanouie.

Et l’on sent, dans cette parole économe, ces mos jetés droit devant, la note chantée qui caractérise le parler de cette île, toute cette musique qui, avant toute chose, disait Verlaine, caractérise la poésie. Et sous le regard, sous le halo de la lumière, c’est toujours une découverte, la clarté d’un monde. Un lieu matriciel qui ne peut que renvoyer à l’enfance, dans cette navigation immobile de la mémoire tournant les feuillets enivrants du grand œuvre naturel :

Amplitude de l’envol
Ivresse de l’azur
Et du vent retrouvés.

À l’arête du toit
Le soleil
Se déchire.

jeanine paloma guéran

Car l’enfance qui s’est noyée en nous, en « défaillances successives », disait la grande Colette, nous laisse les mains vides, que nous repeuplons tant bien que mal pour peu qu’on en ait gardé les visions, les écoutes.

« L’enfance froissée par le silence s’était assise sur une pierre de lune au bout du chemin. Un rai de lumière était venu la frôler alors elle s’était élancée pour danser et conter sa confiance. Le monde de la nuit applaudit, l’espace s’emplit de notes de joie égrenées en arpèges. Symphonie.

Et l’on retiendra, pour finir, ce poème qui rallie les « correspondances » baudelairiennes :

Le papillon
A butiné
Le ciel.
Il a dérobé
L’arc-en-ciel.

Sur une fleur
Du jardin
Il m’a offert
Les couleurs
Pour repeindre
Le jour.

Spectre
Du bonheur
Retrouvé.
Légèreté
Des ailes
De l’envol.

Une poésie faite de cris et de chuchotements, proche des haïkus japonais ou, dans le sillage de Federico García Lorca, nommément inspirateur et duende de ces vers, quelque chose comme le Poema del cante jondo. De ces deux beaux livres, l’œil ne se détache, l’oreille ne s’en délivre.

Jeanine / Paloma Guéran, Ancrages, Matisseo, 0977063, 2023

Paloma Guéran, Encr’âge, Chemin Faisant, Ploemeur, décembre 2023, 12 €

Ouvrages en vente à la librairie Sillage, Place de Bretagne 56270 PLOEMEURPloemeur. Contact : librairiesillage@orange.fr

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