Dans les années soixante, une jeune fille de Tokyo va devenir progressivement « Ama », découvrant sur une île éloignée un mode de vie ancestral. Elle pourra y déposer son secret de famille. Une histoire originale magnifiquement illustrée.

BD AMA LE SOUFFLE DES FEMMES

C’est une BD à l’histoire fluide, limpide comme le magnifique dessin de couverture qui dit ce qu’est une « Ama »: une « femme de la mer » qui plonge en apnée, nue, pour pêcher des coquillages, des ormeaux notamment. Nous sommes dans les années soixante à Hegura, une petite île japonaise de pêcheurs.

BD AMA LE SOUFFLE DES FEMMES

Sur cette île, les femmes plongent, procurent les ressources des foyers. Les hommes, les « Tomaé », pilotent la barque et assurent la sécurité de la plongeuse en tenant la corde qui la relie à elle. Cela semble venir de la nuit des temps, une pratique ancestrale qui fait de ces femmes des personnages forts, véritables cheffes de communauté, féministes avant l’heure.

BD AMA LE SOUFFLE DES FEMMES

Ce sont elles, aux corps légèrement dessinés, sans ostentation, aux courbes discrètes, qui assurent le fondement de l’histoire. Parmi ces femmes, délurées, sans complexe, qui se rebellent, affrontent un pitoyable intermédiaire commercial, Isoe, qui dirige à sa manière cette communauté d’Ama.

BD AMA LE SOUFFLE DES FEMMES

Elle accueille un jour, sa nièce, Nagisa, une jeune citadine tokyoïte, aux manières policées, effacées, pudiques, qui débarque lestée d’un secret et d’un mode de vie urbain à l’opposé des nageuses. Sous les exhortations de sa tante, elle va devoir apprendre à plonger dans les profondeurs de la mer comme dans sa nouvelle vie.

BD AMA LE SOUFFLE DES FEMMES

Sous l’eau, le silence devient le compagnon de Nagisa, et l’aide à se transformer, à accepter son corps dans la nature, à quitter son kimono de citadine. Les cases sous marine magnifiques, emplies de silences et de lumière bleutée, montrent par leur douceur et les traits simples de visages figés dans un sourire, la lente évolution. Les sourcils apeurés et timides de Nagisa se froncent au fil des pages pour devenir forts et assurés.

BD AMA LE SOUFFLE DES FEMMES

Acceptée, elle pourra ainsi dévoiler son secret et assumer une vie qu’elle aimera en connaissance de cause, une vie qui hésite entre la volonté de poursuivre un métier rude, proche de la nature, conforme à la tradition, et l’envie de retrouver sa vie citadine d’avant, dans laquelle elle pourra notamment choisir elle même son mari. Ce passage des années, on le suivra par ellipses et l’épilogue, 40 ans plus tard, nous dévoilera le choix de Nagisa. Le scénario de Franck Manguin, traducteur, interprète de japonais, nous fait découvrir un pan peu connu de la culture japonaise, mais aussi le diptyque conflictuel tradition et modernité, inhérent à cette société.

BD AMA LE SOUFFLE DES FEMMES

Le récit chronologique, construit remarquablement, laisse la place aux moments de plénitude que procurent la plongée, le rayon de soleil transperçant les profondeurs. Le dessin de Cécile Becq, dont c’est ici la première BD, fait merveille. Choisissant un traitement en trois couleurs, toutes en nuances, où le bleu par son infinitude enveloppe une poésie des fonds marins, elle nous invite à prendre notre temps. La pêche des Ama existe depuis des siècles alors pourquoi se presser ? Le trait noir plus ou moins épais permet de montrer des visages forts, autoritaires de femmes qui sont les véritables maîtresses des lieux. Les hommes, qui se déguisent en femmes lors de cérémonies, ne sont en apparence que des comparses, mais ils ont quand même le pouvoir de décider de la vie de leur fille dans une société patriarcale où le quotidien est dirigé par les femmes, mais les décisions de vie appartiennent encore aux maris. Avec « Ama » nous plongeons intimement à la rencontre d’un choc culturel, entre deux modes de vie, entre les hommes et les femmes, entre le passé et le présent. On se laisse emporter par l’ivresse des profondeurs sous le charme de dessins magnifiques et d’un récit original. Une première réussie. 

AMA, le souffle des femmes. Scénario: Franck Manguin. Dessin: Cécile Becq. Éditions Sarbacane. 112 pages. 21,50€. 27 mai 2020.

Franck Manguin est né en 1986 à Ajaccio. Après une enfance entre la Méditerranée et les Alpes. Il entreprend des études de japonais après avoir lu «pays de neige» de Yasunari Kawabata. Diplôme de langues, littérature et civilisations japonaises en poche, il s’exile durant trois ans au pays du soleil levant. Il y écrit un mémoire sur l’art traditionnel d’Okinawa, fabrique des animations pour machines «pachinko» et enseigne l’anglais. Franck est actuellement bibliothécaire et traducteur/interprète de japonais dans le milieu culturel.

Cécile Becq est née dans le sud de la France, près de la mer, en 1979. Après une licence d’arts plastiques, elle sort diplômée de l’école Emile Cohl à Lyon. Installée à Grenoble depuis 2005, elle commence à travailler comme illustratrice dans divers domaines, principalement pour l’édition. Son univers est tendre, sensible, poétique et coloré. Dans son travail, elle aime aussi bien réaliser des illustrations numériques que des illustrations peintes à la gouache ou à l’acrylique.

Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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