Dans le court-métrage Mémorable de Bruno Collet, Louis, artiste peintre, et sa femme Michelle vivent d’étranges événements. L’univers qui les entoure semble en mutation. Lentement, les meubles, les objets, des personnes perdent de leur réalisme. Ils se déstructurent, parfois se délitent… Prix du Jury Junior Annecy 2019, nomination aux Césars, grand prix à Sundance et 60 autres prix remportés – mémorable !

 

Mon beau navire ô ma mémoire
Avons-nous assez navigué Dans une onde mauvaise à boire
Avons-nous assez divagué De la belle aube au triste soir.
(Guillaume Apollinaire)

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MÉMORABLE est le sixième court-métrage d’animation du Rennais Bruno Collet. Diplômé des Beaux-Arts de Rennes, il a notamment réalisé le magnifique « Le Dos au mur », primé à la Semaine de la Critique en 2001, l’émouvant « Jour de gloire… » (2007) – un film en marionnettes animées sur le statuaire de la Première Guerre mondiale – et le cultissime « Le Petit dragon » (2009), un hommage animé à Bruce Lee multi-primé. Mémorable ne déroge aucunement à la finesse poétique et à la perfection technique auxquelles la réalisation de Bruno Collet nous a habitués. Entrez dans la maladie d’Alzheimer par… l’intérieur.

Mémorable est un film de 12 minutes qui mélange marionnettes animées et effets spéciaux en 3D créés par ordinateur. Il a été réalisé à Rennes, où la fabrication des décors et des marionnettes, le tournage et la post-production ont duré 12 mois. La musique originale a été composée par Nicolas Martin. Les comédiens André Wilms et Dominique Reymond prêtent leur voix aux personnages de Louis et de Michelle.

Découvrez « Mémorable » et « La Tête dans les orties », le nouveau film de Paul Cabon. Les 2 films sont programmés samedi 22 juin à 11h à l’Arvor. L’entrée est gratuite dans la limite des places disponibles.- Les films de ce programme sont conseillés à partir de 10 ans.

DANS LE REGARD D’UN ÊTRE CHER par Bruno Collet

“Depuis ses origines, le cinéma nous invite à explorer des contrées inconnues. À découvrir des univers lointains ou inaccessibles que seule l’imagination débridée de certains réalisateurs nous permet d’entrevoir.

Un de ces mondes mystérieux m’intrigue. Cette terra incognitaa beau être foulée chaque jour par des prétendants de plus en plus nombreux, aucun d’eux n’en est revenu pour nous conter son expérience. Alors, la question reste en suspens. Que se passe-t-il dans l’esprit d’un malade d’Alzheimer ?

Paradis ou enfer ? La question peut sembler ironique. Elle ne l’est pas. Véritable drame pour la famille et pour les proches, cette dégénérescence neuronale est source d’un grand désappointement et de souffrance. Quoi de plus douloureux que de chercher désespérément dans le regard d’un être cher les dernières traces d’un souvenir commun.

Mais que se passe-t-il réellement pour le malade ? Si l’on connaît les symptômes qui touchent le patient durant les premières années de sa maladie, cela devient beaucoup plus flou quand la communication devient difficile, voire inexistante.

Plusieurs films d’animation ont déjà traité de la maladie d’Alzheimer. Je pense au long-métrage espagnol La Tête en l’aird’Ignacio Ferreras, dans lequel on découvre la vie pleine d’imprévus de locataires d’une maison de retraite ; ou au court-métrage anglais Lost Propertyqui nous dévoile avec sensibilité les efforts d’une vieille dame pour aider son mari à retrouver la mémoire.

Dans ces deux films, nous observons la maladie à travers les yeux de l’entourage du patient. Avec Mémorable, je propose aux spectateurs un autre point de vue : se glisser dans la peau du malade et découvrir sa vision du monde.

William Utermohlen
William Utermohlen, Self-Portrait with Saw 1997, Oil on canvas, 35.5×45.5cm

Mémorables’inspire du travail réalisé par l’artiste William Utermolhen. Ce peintre américain est diagnostiqué « Alzheimer » en 1995. Malgré cela, il continue de travailler jusqu’à son hospitalisation. Pendant plus de cinq ans, il n’aura de cesse de réaliser une incroyable série d’autoportraits qui nous dévoile le regard qu’il porte sur lui-même.

Ce témoignage pictural est bouleversant. Alors que Utermolhen possédait, selon son épouse, une très bonne technique que l’on pourrait qualifier de réaliste, son style évolue. Peu à peu, sa peinture perd en détail, devient plus abstraite. Puis, les aplats de couleurs se font plus crus avant de complètement disparaître pour laisser place à un graphisme épuré.

Étrangement, si l’on observe ses nombreuses toiles, on a l’impression que le peintre a volontairement revisité les principaux mouvements picturaux du XXe siècle. Expressionnisme, cubisme, surréalisme ou abstraction, le style de l’artiste est en perpétuelle mutation.

William Utermohlen a-t-il volontairement choisi ce qu’il veut nous montrer ou nous montre-t-il simplement ce qu’il peut encore percevoir ? Nul ne le sait, mais c’est en s’appuyant sur la deuxième hypothèse que j’ai débuté l’écriture de mon scénario.

Tout comme W. Utermolhen, Louis, le personnage principal du film est un peintre souffrant d’Alzheimer. Si son humour corrosif l’aide à supporter cette terrible dégénérescence neuronale, la maladie altère profondément sa vision du monde. Autour de lui, lentement, des objets, des visages s’effacent. L’ordre dans lequel ces derniers disparaissent n’a rien d’aléatoire. Il est profondément lié à l’intérêt ou à l’indifférence que Louis leur porte. Un cousin éloigné, un sèche cheveux peu usité, n’ont que peu de chance de demeurer dans sa mémoire.

Face à cet univers qui s’effiloche, le cerveau de Louis réagit. En puisant dans les souvenirs encore présents, le subconscient de l’artiste tente de colmater les brèches ouvertes par la maladie, de recréer ce qui tend à s’évanouir. Mais que reste-t-il dans la tête de Louis ? Plus grand chose, si ce n’est certaines images liées à son unique passion : la peinture.

Construit à partir de références artistiques qu’il a acquises durant sa jeunesse, un nouveau monde se dessine autour de Louis. Différents styles picturaux cohabitent pour créer un univers insolite censé le préserver du néant.

Nul ne peut contrecarrer l’inéluctable. Pourtant, face à la maladie, le couple résiste. Cette lutte, Louis et Michelle vont la mener jusqu’au bout, avec comme seules armes l’amour et surtout l’humour.

Face aux questions auxquelles il ne peut apporter de réponse, le peintre, d’un naturel moqueur, a très vite compris l’intérêt qu’un jeu de mots ou une plaisanterie peuvent avoir. Pour lui, pratiquer l’ironie n’a même que des avantages.

Bruno Collet Festival d'Annecy
Bruno Collet au Festival d’Annecy le 11 juin 2019

Par son humour grinçant, Louis déstabilise son interlocuteur, qui en oublie sa propre question. Cette ironie lui permet aussi de conserver, par ce qui s’apparente à une vivacité d’esprit, sa capacité à briller en société. Son ton sarcastisque pourra être interprété par son entourage comme la preuve d’une incroyable lucidité et d’un véritable courage dans le combat qu’il mène face à cette terrible maladie. Ultime avantage pour le peintre, qui lui permet sans doute de participer à construire sa postérité…

Comme en témoignent les nombreux portraits que le peintre a faits de sa compagne, ce couple de septuagénaires s’est connu très jeune. Malgré les années, rien dans leur vie n’est venu émousser leur amour, bien au contraire. De nombreux signes d’affection émaillent leur quotidien et révèlent la tendresse qu’ils portent toujours l’un envers l’autre.

Quelques détails vestimentaires et musicaux ne laissent aucun doute. Ces deux-là ont très bien connu la mouvance hippie et ses corollaires. De cette époque, ils ont gardé une liberté de ton et un comportement quelque peu décalés, ce qui pour des personnes de leur âge participe grandement à les rendre sympathiques.

Si Michelle est une personne plutôt calme et consensuelle, Louis a gardé son tempérament de frondeur. Fier et indépendant, cet artiste ne peut pas accepter que la maladie le transforme en un assisté. Pour tenter de contrer cette déchéance programmée, l’ironie fait partie de ses antidotes.

Avec un humour grinçant, il tente de brouiller les pistes. Essayer de dissimuler par un bon mot, un oubli, une défaillance est devenu son quotidien. Ce subterfuge sème le doute parmi ses proches. Lui-même semble vouloir se convaincre que cette maladie n’est qu’un jeu sordide dont il maîtrise les règles.

Malheureusement, ce n’est pas le cas. Louis commence à perdre pied. Pour éviter de couler, il se bat. Réunissant ses derniers souvenirs, il les assemble et se construit un nouveau monde. Un univers associant ses deux amours, sa femme et la peinture. »

bruno collet
Bruno Collet

BRUNO COLLET

Né en 1965 à Saint-Brieuc, Bruno Collet obtient en 1990 le Diplôme National Supérieur d’Arts Plastiques (Beaux Arts de Rennes). A partir de 1993, il travaille comme décorateur sur de nombreux films (dont L’Homme aux Bras Ballantsde Laurent Gorgiard, Prix spécial du jury au Festival d’Annecy 1998), séries et vidéomusiques en volume animé. En 1998, il réalise la série courte Avoir un bon copainpour Canal+. En 2001, son premier film en stop motion, Le Dos au mur, est primé à la Semaine de la critique à Cannes.

En 2011, le Forum des Images lui propose une carte blanche tandis que le festival belge Anima programme une rétrospective de ses courts métrages. La même année, le Festival national du film d’animation de Bruz présente La main au COLLET, une exposition qui retrace ses dix ans de réalisations courtes.

En 2014, il réalise la bande annonce officielle (en stop motion) du Festival International du Film d’Animation d’Annecy.

En novembre de la même année, il est l’invité du festival Cinanima à Espinho.

Le film d’animation Mémorable est présenté mardi en première mondiale au Festival International du Film d’Animation d’Annecy. Il remporte le prix du Jury junior. Il sera diffusé sur France 2, dans l’émission Histoires Courtes, dimanche 16 juin après minuit.

Animation / 1 x 12’
Un film écrit et réalisé par Bruno Collet
Avec les voix de Dominique Reymond et d’André Wilms
Chef décorateur : Bruno Collet
Décorateurs : Fabienne Collet, Maude Gallon, Vincent Gadras
Création marionnettes : David Roussel, David Thomasse, Anna Deschamps
Animation marionnettes : Gilles Coirier, Bilitis Levillain, Marion Le Guillou, Souad Wedell
Animation 3d : Rodolphe Dubreuil, Julien Leconte
Image : Fabien Drouet
Compositing : Thibaut Richard, Léo Régeard, Sylvain Lorent
Montage : Jean-Marie Lerest
Montage son, bruitage et mixage : Léon Rousseau
Musique originale composée par Nicolas Martin
Direction de production : Mathieu Courtois assisté de Caroline Lafarge
Un film produit par Jean-François Le Corre et Mathieu Courtois

 

Bruno Collet

Après un DNSAP (diplôme national supérieur d’arts plastiques) à Rennes, Bruno Collet commence l’animation comme décorateur sur des productions de volumes animés en 1993. « Je faisais de la sculpture. Un jour il y a eu un appel à sculpteurs pour la création de marionnettes pour une publicité. C’est comme ça que j’ai découvert le monde de l’animation. Ensuite on a réalisé L’homme aux bras ballants (1997), avec Laurent Gorgiard. Le film a reçu le prix du jury au festival d’Annecy l’année suivante et tout est allé très vite. » explique le réalisateur. Bruno Collet se lance comme auteur-réalisateur en 2001.

Adepte des mélanges de techniques d’animation visuelles (animation 3D, sculpture, dessin animé, etc.), il découvre le stop motion, longtemps utilisé pour réaliser les effets spéciaux des films dès les années 30, bien avant l’émergence du numérique. Bruno Collet raconte : « Avant les films étaient tournés en pellicule 35 mm. Les conditions de tournage étaient différentes parce qu’une prise de vue ne pouvait pas être faite à infini, à l’instar du numérique. Tout était minutieusement calé, nous n’avions pas le droit à l’erreur. L’arrivée du numérique a facilité les tournages et on a gagné du temps. » Le numérique a apporté bon nombre de possibilités de retouches en postproduction. « On est moins minutieux sur les plateaux de tournage. Si on laisse traîner une paire de ciseaux, tant pis, on pourra la retirer avec Photoshop par exemple. Mais on passe, de fait, beaucoup plus de temps à corriger nos inattentions », explique le réalisateur.

Mémorable

L’arrivée du numérique et internet a permis l’ancrage de deux maisons de production d’animation rennaises : Vivement Lundi! et JPL Films. « Lors des tournages en 35mm, les pellicules devaient se faire développer à Paris. Les nouvelles technologies nous permettent de tout réaliser, sans passer par la capitale, et ainsi créer un noyau solide de techniciens audiovisuels dans le bassin rennais. Vivement lundi! a un partenariat avec France TV, les productions sont distribuées à l’international » explique Bruno Collet.

Un succès Mémorable 

Depuis peu, Louis, artiste peintre vit d’étranges événements. L’univers qui l’entoure semble en mutation. Lentement, les meubles, les objets, des personnes perdent de leur réalisme. Ils se déstructurent, parfois se délitent…

Avec une réception de 40 prix et d’une sélection aux Oscars et aux Césars 2020 : Mémorable connaît un succès international. Ce court-métrage est né d’une gestation de 9 mois : 3 de conception, 3 de tournage et 3 de postproduction. Si le court-métrage illustre avec réalisme certains comportements neurologiques de la maladie, le réalisateur confie ne pas s’être beaucoup documenté : « J’ai écouté des témoignages de personnes atteintes d’Alzheimer, bien sûr, mais le court n’a pas vocation à être un film médical. Je donne un des aspects de ce que peut être cette maladie. »

Mémorable

Bruno Collet avait l’idée d’un tel film en tête depuis longtemps. Il ne lui manquait plus qu’à trouver l’angle idéal : « Deux personnes m’ont inspiré. Le peintre William Utermohlen en a été le point de départ. Cet Anglais a réalisé ses autoportraits pendant plusieurs années alors qu’il était diagnostiqué Alzheimer. Les tableaux sont bouleversants : du figuratif à l’abstrait, on peut voir la perception qu’il a de lui-même au fil du temps et de la maladie. L’acteur et Peter Falk (Colombo), atteint d’Alzheimer également, s’était perdu dans Los Angeles un jour. De peur, sa femme l’avait enfermé dans son atelier de peinture. On retrouve cette référence dans Mémorable. »

« Les retours que j’ai eu sont complètement inattendus. Les jeunes ont été touchés, parce qu’ils ont des grands-parents parfois atteints d’Alzheimer. Les aidants se retrouvent aussi dans le film », s’étonne Bruno Collet. Dans Mémorable, le réalisateur a fait attention à chaque détail, de la lampe de bureau au poste de radio : « J’ai été très minutieux, je voulais donner l’image d’un couple de soixantenaires dynamique, et non tomber dans le cliché de petits « papy Brossard ». Le couple est séduisant, au même titre que Louis garde son humour jusqu’à la fin.»

Mémorable

Le cinéma d’animation à destination des adultes peine à trouver son public. Film plutôt adressé à un public ado/adulte, le succès de Mémorable est une avancée. « Les longs métrages d’animations sont souvent confrontés à un problème économique : ils sont chers à produire et le public est restreint. À l’inverse les dessins animés sont plus rentables. Les dessins sont souvent faits en Asie à moindre coût. » Si les films de Disney brillent par leurs audiences, dans l’imaginaire collectif film d’animation rime encore trop souvent avec enfant.

En attendant les grandes cérémonies, Bruno Collet est déjà en plein travail en tant que décorateur sur la réalisation d’Interdit aux chiens et aux Italiens, un long métrage d’animation signé Alain Ughetto.

 

Mémorable

 

Photos: Vivement Lundi! et Laurie Musset

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Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il a créé en 2011 le magazine Unidivers dont il dirige la rédaction.

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