Scarface
Scarface, 1983

Mélanie Gourarier, anthropologue, chercheuse au CNRS et auteure de Alpha Mâle. Séduire les femmes pour s’apprécier entre hommes (2017), abordera le masculinisme dans sa construction historique au Tambour de l’université Rennes 2, le 9 avril 2024. Elle répondra également à certains préjugés sur le phénomène médiatique autour de ces questions. Cette rencontre intervient dans le cadre des Mardis de l’égalité du service culturel de Rennes 2.

Mélanie Gourarier Rennes 2
Mélanie Gourarier, photo de Michaël Cayre

Depuis le mouvement #MeToo (2017), les médias s’emparent d’un phénomène à contre-courant des évolutions féministes : la pensée masculiniste. Le discours qui l’accompagne prétend que les nouvelles revendications pour une égalité entre les hommes et les femmes mettent en danger la société telle qu’on la connaît en portant atteinte à l’intégrité des hommes. Le masculinisme tel qu’il est présenté médiatiquement se positionne comme une réponse au mouvement #MeToo et aux développements de discours néo-féministes qui ont suivi, avec pour canal principal, les réseaux sociaux. 

Pourtant, les recherches sur le masculinisme précèdent le mouvement, notamment celles de Mélanie Gourarier, anthropologue et chercheuse au CNRS. Son ouvrage parait dès 2017 et elle y analyse différemment les questions des masculinités. La chercheuse considère le masculinisme comme « une idéologie du patriarcat » qui ne date pas de #MeToo. « Ce qui a changé en 2017, c’est l’intérêt que l’on porte sur le sujet », explique la chercheuse. Le courant masculiniste serait non seulement bien antérieur à ces dernières années, mais il serait aussi bien plus diffus dans notre société. Entretien.

Alpha Male Mélanie Gourarier
Alpha Mâle. Séduire les femmes pour s’apprécier entre hommes – Mélanie Gourarier (2017)

Unidivers – Comment en êtes-vous venue à travailler sur le masculinisme ? Pouvez-vous nous expliquer le cheminement de ce phénomène ?

Mélanie Gourarier – Au début de ma recherche [2007 environ], je ne pensais pas travailler sur le masculinisme. Je ne connaissais même pas le nom ! Mais sur mon terrain auprès des coachs en séduction, j’avais affaire à des hommes qui se plaignaient de souffrir d’être des hommes. Ils m’expliquaient que la société d’aujourd’hui disqualifiait la masculinité, qu’elle était en crise. Mais je notais qu’il y avait un décalage entre la souffrance qu’ils ressentaient et leur position effective dans l’échelle sociale : c’étaient majoritairement de jeunes hommes blancs de classe moyenne vivant dans les grandes villes en France. Ils étaient donc plutôt bien positionnés…

Il est difficile de retracer le parcours du masculinisme, car le masculinisme n’est ni un mouvement politique ni un groupe de personnes, c’est une idéologie. La pensée masculiniste agit partout : sur l’économie, le politique, le rapport à la nature, le travail et bien sûr la sexualité et le genre. 

Unidivers – Le mouvement #MeToo est-il responsable d’un essor de la pensée masculiniste ?

Mélanie Gourarier – Selon moi, le masculinisme n’est pas un courant nouveau. Il est même difficile de dater son apparition tant on retrouve des discours masculinistes à diverses époques. Il s’agit d’une idéologie diffuse qui consiste à penser la masculinité comme socialement problématique, qu’il s’agisse de la réformer ou de la renforcer. Si le terme est assez nouveau, cela ne veut pas dire que la pensée masculiniste le soit, elle est juste catégorisée à présent. Tant qu’elle n’était pas nommée, cette idéologie n’était pas mesurée alors c’est très difficile de savoir s’il y a une hausse.

Unidivers – Si ce n’est pas un essor, qu’est-ce qui a changé depuis #MeToo pour le masculinisme ?

Mélanie Gourarier – #MeToo en 2017 a modifié l’intérêt que les personnes portent sur les questions de masculinisme. Quand j’ai commencé à travailler sur le sujet, la masculinité restait une question marginale dans les sciences humaines et sociales, mais aussi dans les médias. On en parlait très peu. Depuis #MeToo, on sait qu’on ne peut pas faire l’impasse sur les recherches sur les masculinités. On sait aussi que la question, si elle est une question de genre, n’est pas qu’une question de genre. C’est ce que j’ai voulu montrer dans mon ouvrage [Alpha Mâle. Séduire les femmes pour sapprécier entre hommes – 2017]. J’aborde la masculinité comme un nœud central pour comprendre la question du pouvoir, pour comprendre ce qui est advenu de nos sociétés aujourd’hui. 

L’idéologie masculiniste agit aussi de manière réactive vis-à-vis des féminismes. Elle est pour cela une idéologie nécessairement réactionnaire, qui valorise un ordre social toujours présent, mais perçu comme menacé, à réaffirmer donc. On le voit avec la question des populismes et la montée des extrêmes droite partout dans le monde, on a affaire aujourd’hui à un ressac très important d’une pensée conservatrice et ce sur tous les plans : les questions migratoires, écologiques, familiales, etc. S’il y a une « montée du masculinisme », elle fait partie d’un mouvement beaucoup plus large d’essor du conservatisme.

Défaire la crise des masculinités. Penser le changement social dans une perspective féministe

Unidivers – Les médias laissent penser qu’il y a une hausse du masculinisme chez les jeunes, est-ce le cas selon vous ? Quelle place prennent les réseaux sociaux dans cette pensée masculiniste ?

Mélanie Gourarier – Ce serait trop rapide de considérer que les jeunes sont plus touchés par ces idées. Il y a là aussi l’idée que les jeunes seraient plus facilement influençables, dotés d’une moins bonne « subjectivité » politique. À mon sens, pointer systématiquement les jeunes comme étant la cible des discours masculinistes permet surtout de masquer son omniprésence ailleurs que chez les jeunes. Pointer toujours et uniquement les réseaux sociaux est une manière de ne pas penser la globalité du phénomène. C’est ça mon cheval de bataille, quitter le traitement sensationnaliste qui réduit le masculinisme à n’être qu’un épiphénomène touchant un petit nombre de personnes marginales, pour montrer que le masculinisme est une idéologie diffuse qui infuse partout et continue d’ordonner le monde d’une façon que l’on peut qualifier de mortifère. 

Unidivers – Merci, Mélanie Gourarier.

INFOS PRATIQUES

Alpha Mâle. Le masculinisme en questions
En présence de Mélanie Gourarier, anthropologue et chercheuse au CNRS
9 avril 2024 à 18h
Tambour de l’université Rennes 2
Place Recteur Henri Le Moal 35000 Rennes

Alpha Mâle. Séduire les femmes pour s’apprécier entre hommes (2017), Mélanie Gourarier

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