Alfred Janniot fut l’une des plus grandes figures de l’Art déco. Si ce n’est la plus grande. Ses bas reliefs signent l’architecture de prestigieux musées, tels le musée permanent des colonies et le palais de Tokyo à Paris. Son talent de composition, sa maîtrise de l’espace, et son élégance sculpturale ont fait de lui une perle rare que le musée des Beaux-arts Antoine Lecuyer, à Saint-Quentin, met à l’honneur dans une exposition. Les éditions Norma publient un bel ouvrage, Alfred Janniot. Monumental, pour une plongée dans l’oeuvre majestueuse d’un artiste trop peu plébiscité.

« Alfred Auguste Janniot (1889-1969) lègue à la postérité une œuvre considérable, à l’instar des sculpteurs de la Grèce antique, des imagiers du Moyen Âge, des bâtisseurs de cathédrales ou des peintres de l’école de Fontainebleau », tel commence l’ouvrage Alfred Janniot. Monumental paru aux éditions Norma à l’occasion de l’exposition Alfred Janniot (1889-1969). De l’atelier au monumental au musée des Beaux-arts Antoine Lécuyer, du 1er avril au 18 septembre 2022 à Saint-Quentin (Aisne, Hauts de France). Une mise en bouche alléchante qui promet une suite encore plus appétissante…

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Alfred Janniot pendant le chantier du musée permanent des colonies, vers 1931. Archives Alfred Janniot

Soucieux de valoriser le patrimoine des années 1930 et ses collections de l’Entre-deux-guerres, le musée Antoine Lécuyer dédie son exposition actuelle à l’œuvre d’Alfred Janniot, artiste de talent, champion de l’art mural. Récompensé du prix de Rome de sculpture en 1919 (qu’il partagera avec Raymond Delamarre), il est une figure majeure de l’Art Déco, considéré comme l’un des plus grands sculpteurs d’architecture des années 30. Si ce n’est le plus grand.

Parallèlement à ladite exposition, le bel ouvrage Alfred Janniot. Monumental propose de revivre sur papier glacé l’exceptionnel travail du sculpteur à travers les pièces de la collection du musée, mais également des sculptures issues de collections privées, des photographies des bas-reliefs et autres décors sculptés dont il est le concepteur. Les 180 illustrations sont accompagnées de textes rédigés d’une main de maître par Emmanuel Bréon, conservateur en chef du patrimoine, musée des Monuments français / Cité de l’architecture & du patrimoine ; Claire Maingon, maître de conférences en histoire de l’art contemporain à l’université de Rouen ; et Victorien Georges, directeur du service architecture et patrimoine de la ville de Saint Quentin.

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Depuis une monographie en 2003, sans compter les nombreux articles à son sujet, le talent du Français Alfred Janniot, formé à l’école des Beaux-Arts de Paris, n’eut semble-t-il pas la visibilité qu’il mérite. Il fut pourtant celui qui réalisa pour l’architecte Albert Laprade le grand bas-relief de pierre sur la façade du musée des colonies, La Richesse des colonies, construit à l’occasion de l’Exposition coloniale de 1931, aujourd’hui le musée permanent des colonies. Pour Jean Niermans, Aubert, Dastugue, Viard et Dondel, il sculpta les deux grands bas-relief La Légende de la mer et La Légende de la terre à l’arrière du Palais de Tokyo, en 1937, etc. Son oeuvre fait partie intégrante du patrimoine des villes françaises. Paris en détient de beaux spécimens, mais n’oublions pas aussi ses projets dans tout l’hexagone : l’Allégorie de la Ville de Bordeaux avec la Paix et les Muses, tout en dorure, surplombe l’entrée de la bourse du travail à Bordeaux (1936), ses éléments décoratifs sculptent la villa Greystones et ses jardins à Dinard (1938-1950).

Le sculpteur d’architecture s’exporta également Outre-Mer, avec l’impressionnant bas-relief Rencontre des continents américain et européenn commandé par l’architecte américain Wallace Harrison pour la maison française au Rockefeller center à New York (1934). Et il ne s’agit là que de ses œuvres les plus célèbres… Plus jeune, il sculpta Hommage à Jean Goujon à l’occasion de l’Exposition internationale des arts décoratifs en 1924. C’est d’ailleurs grâce à cette participation qu’il devint l’un des sculpteurs en vogue…

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Alfred Janniot, hommage à Jean Goujon, Musée Calouste Gulbenkian, Lisbonne, 1924.

L’histoire entre Alfred Janniot et la ville de Saint-Quentin commence après la Première Guerre mondiale. À la fin de la reconstruction du musée des beaux-arts Antoine Lecuyer, en grande partie détruit par les assauts de 1917-1918, la Ville acquiert trois sculptures et un dessin afin de compléter sa collection d’Art déco avec des pièces de l’un des plus grands noms du moment. On est au milieu des années 30, et Janniot est au sommet de sa carrière. Eros (vers 1921-1922), Enlèvement d’Europe (avant 1936), Torse de femme (1936), et Marie-Madeleine, œuvres maîtresses de l’artiste, rejoignent les réserves, en plus de La Ville de Bordeaux dans la paix, don de Janniot lui-même.

Reflets de l’élégance, de la délicatesse et de la préciosité de l’orfèvre qu’il était, les pièces sont également révélatrices des motifs de prédilection du sculpteur, la mythologie et le nu féminin, particulièrement Éros, placé au centre de son oeuvre. « Le sculpteur fut aussi un classique, amoureux de la mythologie, mais il ne copie jamais l’antique, ni ne poursuite la voie naturaliste ouverte au milieu du XIXe siècle », écrit Claire Maingon. Dans ses sculptures ou « tapisseries sculptées » , l’héritage de la statuaire classique se marie à une exubérante créativité. De cette subtile combinaison émerge une modernité singulière dans laquelle le passé communique avec la tradition antique et renaissante.

Il ne s’agit que d’images, mais il est facile d’être hynoptisé par ses sculptures à la grâce classique, ses grands bas-reliefs qui révèlent sa maîtrise de l’espace et de la composition. Pour cette raison, Alfred Janniot. Monumental porte bien son nom. Au fil des pages, le lecteur découvre la monumentalité d’une oeuvre par la taille des pièces conçues, mais également le talent impressionnant de son concepteur.

Et au-delà d’établir avec précision l’importance du travail d’Alfred Janniot, les auteurs et autrices se veulent didactiques dans leur discours. En introduction, le directeur du service architecture et patrimoine de la ville de Saint-Quentin Victorien Georges plante le décor et dresse l’historique des pièces conservées au musée de Saint-Quentin ; la maître de conférences Claire Maingon prend appui sur le travail du sculpteur, adepte du bas-relief plus que de la ronde-bosse, pour expliquer la sculpture d’architecture dans des termes accessibles, et la relation entre sculpture et architecture. Et, le conservateur en chef du patrimoine Emmanuel Bréon s’attache quant à lui à expliquer les rencontres et relations entres les architectes commanditaires, parfois également amis de Janniot.

La lecture est agréable, les images magnifiques. Que faut-il de plus ?

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Alfred Janniot. Monumental, Emmanuel Bréon, Claire Maingon, Victorien Georges, éditions Norma. 192 pages, 180 illustrations – Parix : 45 € – Parution : avril 2022

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