Alexandre Seurat, auteur de la Maladroite, sera présent le vendredi 3 février à la FNAC de Rennes afin d’échanger autour du sujet du « fait-divers » et de dédicacer son roman. Unidivers vous en offre un avant-goût. Entretien.

Table ronde : Quand le fait divers inspire la littérature
FNAC RENNES, le vendredi 3 février 2017 à 18 h en présence de Alexandre Seurat pour La Maladroite et Harold Cobert pour La mésange et l’ogresse

Table ronde : Quand le fait divers inspire la littérature
FNAC NANTES, le samedi 4 février 2017 à 15 h en compagnie de Véronique Sousset pour Défense légitime, Samuel Doux L’Eternité de Xavier Dupont de ligonnès, et François Bégaudeau Molécules

Unidivers : Alexandre Seurat, pour votre premier roman, La Maladroite (voir ici notre chronique), paru en 2015 aux Éditions du Rouergue, vous avez choisi un fait divers pour créer votre fiction. C’est en suivant le procès de l’affaire Marina, petite fille de huit ans décédée en 2009 dans la Sarthe suite à maltraitance familiale que vous avez ensuite écrit l’histoire de Diana. Est-ce l’indignation face à un tel drame qui a déclenché votre envie d’écrire ?
ALEXANDRE SEURAT

Alexandre Seurat : En juin 2012, je tombe sur le compte rendu d’une audience du procès de l’affaire Marina, qui se tenait devant les Assises de la Sarthe : je suis complètement happé, je lis tous les articles que je trouve. Ce qui m’obsède d’emblée, c’est le caractère tragique de cette histoire, dans laquelle une foule d’acteurs avaient tenté d’empêcher la catastrophe. L’indignation joue donc un rôle, face aux témoignages d’acteurs exprimant une froide distance professionnelle – mais ce qui domine, ce sont des émotions beaucoup plus troubles : une forme de malaise, d’écœurement violent, à ne pas pouvoir vraiment localiser une source unique, une responsabilité unique, émotions qui confinent au sentiment de culpabilité.

U. : Le fait divers est la matière première des journaux. Qu’est-ce qu’un auteur peut apporter de plus qu’un journaliste dans la transmission au public de tels drames ?

Alexandre Seurat : Je suis peu lecteur de faits divers. Ma matière première, au départ, c’est moins le fait divers en soi que la chronique judiciaire – c’est-à-dire un fait divers déjà digéré, pensé, mis à distance, construit par une collectivité et même par une écriture (celle des journalistes que j’ai lus, très respectueux et pudiques, le plus souvent). Par rapport à une chronique judiciaire, peut-être que le roman apporte une structure narrative, qui, en simplifiant la réalité – le moins possible, j’espère –, facilite l’accès du lecteur à la compréhension des faits et lui procure une unité d’émotion. La fiction donne également la liberté de déplacer les projecteurs vers des détails infimes, certains mots révélateurs, certaines scènes survolées par le récit journalistique, et où se loge tout le drame.

U. : En 2015, l’équipe d’Unidivers a particulièrement apprécié la distance que vous avez su tenir pour raconter le martyre de la petite Diana. Difficile de ne pas tomber dans le malsain, le voyeurisme ou le pathos avec un tel sujet. Quels impératifs vous êtes-vous fixés lors de l’écriture pour éviter ces écueils ?

Alexandre Seurat : J’ai essayé de me mettre à la place des témoins : c’est ce point de vue qui gouvernait l’écriture. Ce sont des personnages fictifs – dont j’ai réinventé les monologues – mais très largement inspirés des personnes réelles qui se sont exprimées au procès : cette proximité au fait divers imposait une forme de réserve. Certains mots, certaines expressions des témoins, rapportés dans les articles, s’insèrent dans ces monologues : finalement, le monologue fictif tente de reconstruire un univers subjectif autour de ces bribes que j’avais attrapées. Par ailleurs, ce qui comptait pour moi, c’était l’enchaînement des faits conduisant au désastre : cette structure d’ordre tragique devait suffire à créer un choc pour le lecteur, comme je l’avais subi en lisant les comptes rendus, au plus près des faits. Même si ce texte s’empare de la vie de personnes que je ne connais pas, à partir d’un sujet en apparence « sensationnel », j’espère paradoxalement qu’il dégage une forme de pudeur.

U. : La maladroite donne une voix à une enfant que l’on a empêchée de vivre. Pourtant, dans votre roman choral, vous donnez la parole à tous ceux qui ont croisé la route de Diana sauf aux parents et à Diana elle-même. Pourquoi ?

ALEXANDRE SEURATAlexandre Seurat : Dans la « fiction judiciaire » que j’ai tâché de bâtir, tout se dit après coup, comme à la barre d’un tribunal implicite. Dans ce dispositif de l’après-coup, la petite n’a pas la parole, puisque ce qui le justifie, ce qui le fonde, c’est sa disparition : la parole de Diana ne m’intéresse donc que par ce que les témoins en rapportent rétrospectivement, avec la culpabilité le plus souvent de n’avoir pas su l’entendre et y répondre. Les parents non plus n’y ont pas leur place. Ils ne m’intéressent pas pour l’« éclairage » qu’ils pourraient apporter sur leur acte : au véritable procès, le témoignage des parents de Marina était très pauvre. Quelle explication auraient-ils pu donner ? On ne les entend donc que par la voix de ceux qui ont assisté à leur manège et rapportent leur formidable capacité de manipulation, leur maîtrise du langage médical, leurs oublis prétendus, leur manière de surjouer l’ignorance. Ce texte, c’est l’histoire des témoins impuissants, autant sinon plus que celle de l’enfant martyrisée et de ses parents maltraitants.

U. : De tout temps, le fait divers a inspiré de grands auteurs. Plus récemment, des auteurs comme Régis Jauffret en font leur marque de fabrique, des victimes elles-mêmes racontent leur histoire. Votre second roman, L’administrateur provisoire, paru en septembre 2016 aux Éditions du Rouergue, dans lequel vous dénoncez un aïeul collaborateur impuni, s’inspire aussi d’un fait réel historique (aryanisation économique pendant la Seconde Guerre mondiale), d’un procès. Quelles sont vos sources d’inspiration : des auteurs, des périodes de l’histoire, des faits de l’actualité ?

Alexandre Seurat : Pour avoir l’impulsion d’écrire, il me faut un déclencheur, un choc émotif – qui leste l’écriture, qui lui donne du poids, la charge d’une nécessité que je ne décide pas, ou le moins possible. Dans le cas de La maladroite, ce choc venait de la lecture d’une chronique judiciaire ; dans le cas de L’administrateur provisoire, de la découverte d’un dossier aux Archives. Ce sont pour moi des sources assez diverses. Il y a bien sûr des auteurs qui m’ont permis plus que d’autres de comprendre où pouvait s’ancrer cette nécessité : Woolf, Céline, Thomas Bernhard, Duras, parmi d’autres… Mais je ne m’impose pas de thèmes, de méthodes. J’essaie d’être réceptif.
U. : Qu’est-ce qui pousse un auteur à partir d’un fait divers ? La réalité est-elle plus riche que la fiction ? Est-ce une façon d’interpeller le lecteur plus facilement en s’inscrivant dans une histoire collective ?

Alexandre Seurat
Alexandre Seurat

Alexandre Seurat : La réalité est inépuisable, bien sûr. La fiction n’en est pas séparée : elle fait partie des activités sociales, elle résonne avec les contraintes historiques dans lesquelles nous essayons de nous débattre. Je ne m’intéresse pas à un roman « hors-sol » – si tant est qu’il existe : j’ai besoin que la fiction interroge les évidences de la société dans laquelle je vis. Quand j’écris, cette attitude n’est pas concertée en fonction de l’idée que je me fais du lecteur : au départ, je ne m’intéresse pas au lecteur, je ne cherche pas à l’interpeller – je réagis à ce qui me touche personnellement.

U. : Vos deux romans ancrés dans le réel ont des composantes communes, le silence face à un acte répréhensible, un procès. Est-ce une coïncidence ou y a-t-il dans votre ambition d’écrivain une volonté de briser les tabous, de dénoncer les silences indignes ? Avez-vous déjà choisi le sujet de votre troisième roman ?

Alexandre Seurat : Quand j’écris, je ne cherche pas à « dénoncer », même si sans doute le texte peut finalement produire un effet de cette sorte. Je vais plutôt là où je me sens appelé. D’ailleurs, le procès que met en scène L’administrateur provisoire pour un coupable qui n’a jamais été jugé est en partie illusoire : la fiction n’apporte pas de réparation. Reste certainement une pulsion judiciaire à la source de mon écriture : si le roman ne porte pas le poids de ce que la parole vive est parfois incapable d’assumer, il n’a pas, à mes yeux, de véritable légitimité. Mais ce n’est pas un acte volontaire, au sens où on déciderait d’exprimer son avis dans la page « débats » d’un quotidien pour « traiter » une question. À mes yeux c’est même le contraire : il s’agit de faire entendre une « petite voix » quasi inaudible en temps normal, celle que la transparence, la lumière, les évidences du bon sens – et ses silences – étouffent. Le troisième texte est déjà écrit : à sa manière, il essaie à nouveau de porter cette « petite voix ».

Alexandre Seurat est l’auteur aux éditions du Rouergue de La Maladroite, 2015, 128 pages, 13,30 € et L’administrateur provisoire, 2016, 192 pages, 18,50 €

Table ronde : Quand le fait divers inspire la littérature

FNAC RENNES, vendredi 3 février 2017 à 18h en présence de Alexandre Seurat fnacpour La Maladroite et Harold Cobert pour La mésange et l’ogresse

FNAC NANTES, samedi 4 février 2017 à 15h en présence de Véronique Sousset, Samuel Doux et François Bégaudeau qui présenteront leurs ouvrages : Défense légitime (Éditions du Rouergue), L’éternité de Xavier Dupont de Ligonnès (Julliard) et Molécules (Gallimard).

entrée gratuite dans la limite des places disponibles

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Marie-Anne Sburlino
Lectrice boulimique et rédactrice de blog, je ne conçois pas un jour sans lecture. Au plaisir de partager mes découvertes.

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