Franchement à contre courant de la vague consumériste qui occulte avec une certaine âpreté le message spirituel de Noël, l’opéra de Rennes proposait mardi 17 décembre une œuvre sacrée de Rossini, sa petite messe solennelle. Si vous pensez que cela resituait les événements dans une plus juste perspective, vous êtes dans l’erreur la plus totale, car c’était sans compter sur la mise en scène complètement inattendue qu’en propose le facétieux pape du burlesque, le Belge Jos Houben.

ROSSINI OPERA RENNES

Plutôt de quoi être décontenancé n’est-ce pas ?? et bien pas tant que nous, sachez le !
Le décor de Oria Puppo en forme de salle de sport est en soi une première interrogation, qu’est-ce qu’a à voir cette salle de gymnastique avec une œuvre religieuse ? Peu à peu la scène s’encombre de personnages dont l’aspect et la gestuelle n’ont rien de particulièrement explicites, à cela s’ajoute l’arrivée d’un monceau d’objets transformant l’espace en une sorte de vide-grenier dérisoire, tenant plus d’un incompréhensible fatras que d’une célébration religieuse. Cerise sur le gâteau, le chef d’orchestre, en l’occurrence Gildas Pungier, apparaît vêtu en tenue de mécanicien et aménage lui même son pupitre et ses partitions avant de donner le coup de baguette libérateur.

Fiat musica et musica fuit !

ROSSINI OPERA RENNES

Après ces moments volontairement malicieux, pendant lesquels il nous a fourvoyés, l’intention de Jos Houben apparaît en filigrane et nous éloigne de toute interprétation fallacieuse. Il n’est en rien question d’attaque de la dimension sacrée par une présentation ridicule d’une célébration, le geste iconoclaste est absent, la mise en scène tout au contraire nous renvoie sur ce qu’il y a d’humain, de multiple, de complexe et aussi de fragile. Dans cet humain il y a bien sur le rire, et sans être tonitruant, il nous invite à éviter l’excès de sérieux, d’emphase, et nous incite à un regard bienveillant.

ROSSINI OPERA RENNES

L’attention est sans arrêt stimulée par de multiples trouvailles, des écrans de télé placés en bord de scène diffusent des images de tableaux anciens de Raphaël, Fra Angelico et autres, alors qu’un simple encadrement de bois passant de mains en mains fait revivre pour un instant fugace d’autres œuvres picturales. Au centre de la scène, les acteurs et chanteurs se regroupent, portant les éléments d’un mannequin de magasin et ressuscitent pour un instant, avec une divertissante créativité, une scène de descente de la croix.

opéra rennes mozart messe en ut mineur
La musique est bien servie par l’ensemble Mélismes toujours impeccable dans ses interprétations. C’est l’occasion de retrouver la soprano Violaine le Chénadec qui saura mettre à profit ses qualités vocales pour nous offrir des airs pleins de délicatesse et d’assez jolis moments. Digne de louanges, la voix de basse de Ronan Airault, soutenue par une belle diction, propose une pâte musicale alliant autorité et sensibilité. La palme revient pourtant à l’alto solo, Blandine de Sansal qui imposera un silence extatique lors de son interprétation d’un vibrant Agnus Dei. Un vrai moment d’émotion au cours duquel le mot sacré retrouve tout son sens. Du côté instrumental, Colette Diard, au piano, est une véritable colonne vertébrale et entraîne d’une main sûre toute la troupe sans jamais vaciller. Découverte des plus troublantes, l’accordéoniste Élodie Soulard propose de son instrument une vision nouvelle. Entre orgue et piano avec des langueurs d’harmonium, elle crée avec sagesse et pas mal de talent de nouveaux horizons musicaux.

ROSSINI OPERA RENNES
Il n’y a pas de contradiction entre la dimension sacrée de l’œuvre et l’intervention du comique dans le travail de Jos Houben, il convient plutôt de considérer cette vision du metteur en scène comme une parabole. Rossini est d’ailleurs célèbre pour ses opéras plus que pour ses œuvres sacrées, il n’y a donc pas sujet de s’étonner si, à certains moments, la forme opératique semble pousser sa corne sans que la dimension spirituelle y perde quoi que ce soit. Le livret donné aux auditeurs contient une phrase qui résume à la perfection cette situation :

Œuvre profane, elle a très largement dépassé par son lyrisme et sa force dramaturgique le contexte liturgique.

Vous l’aurez sans doute compris, nous avons été un peu déstabilisés par cette approche truculente d’une mise en scène à laquelle rien ne nous préparait. Pourtant, les éléments qui lui donnent vie peu à peu s’estompent, seule reste la musique et pris dans une apaisante lumière que distille avec beaucoup d’adresse et de subtilité Christophe Schaeffer, nous subissons la fascination d’un quelque chose qui nous tire irrémédiablement vers le haut.
Les ultimes notes de cette petite messe furent suivies d’un long silence tant il importait que la magie et l’émerveillement ne soient pas brisés. C’est à cela que l’on mesure un succès.

Mardi 17 et mercredi 18 décembre 2019 à 20h, petite messe solennelle de Rossini avec l’ensemble Mélismes à l’opéra de Rennes. Mise en scène Jos Houben et Emily Wilson.

Crédit photo : Laurent Guizard.

Bon Dieu. La voilà terminée cette pauvre petite messe. Est-ce bien de la musique sacrée que je viens de faire ou de la sacrée musique ? écrit Gioacchino Rossini, une fois sa Messe solennelle composée en 1864.

https://youtu.be/5DQYfCQ1Vrs

Jos Houben & Emily Wilson : Mise en scène

Oria Puppo : Décors et costumes
Clémentine Tonnelier : Assistante aux décors
Christophe Schaeffer : Lumières
Marie Bonnier : Régie générale
Chœur de chambre Mélisme(s), Gildas Pungier, direction
Mezzos : Sylvie Becdelièvre, Stéphanie Olier et Anne Ollivier
Ténors : Marlon Soufflet et Etienne Garreau
Basses : Jean Ballereau et Julien Reynaud
Gildas Pungier : Direction musicale
Colette Diard : Piano
Élodie Soulard : Accordéon
Estelle Béréau et Violaine Le Chenadec : Sopranos solo
Blandine de Sansal : Alto solo
Sahy Ratia : Ténor solo
Ronan Airault : Basse solo
Nathalie Baunaure, Jofre Caraben et Marc Frémond : Une comédienne et deux comédiens

Thierry Martin
thierry.martin [@] unidivers .fr

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